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Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

samedi 28 février 2009

Canis lupus lupus

Si le loup est d’un naturel grégaire, il n’est guère représenté en meute mais solitaire, sombre, erratique aux creux des forêts. De cet animal éminemment sociable, on a fait un prédateur fascinant et sexuel ; de son pelage sauvage et racé un habit pelé ; de son allure altière et vive un chien maigre et sournois. Que dire de ses yeux devenus chassieux ! D’ailleurs, que lui reproche-t-on, si ce n’est de faire peur ?

Lorsque le conte nous promène au fond des bois, on le retrouve tapi derrière chaque fourré, ourdissant sans cesse le même plan : dévorer, voire déflorer, des enfants. Et la concurrence est rude : loups, ogres, sorcières et autres créatures doivent se partager le gâteau. C’est dire si à ce jeu anthropophage, on trouve beaucoup d’appelés mais peu d’élus.

Pourtant, l’histoire regorge de marmousets plus ou moins naïfs prêts à s’offrir corps et âme pour satisfaire leurs spectateurs. A chaque scène, on les observe – horrifiés ! – se plonger, c’est le cas de le dire, dans la gueule du loup. Mais croyez-vous qu’ils avancent vers l’autel de l’immolation en poussant force cris et gémissements ? Que nenni ! Parmi les arbres soudain silencieux, ils fredonnent quelques lancinantes comptines :

Nous sommes sept dans les bois,

Qui cheminons cahin-caha.

Le loup en prend un par le bras ;

Qu’advint-il de celui-là ?

Ce secret jamais ne déflora …

Nous sommes six dans les bois …

Évidemment, lorsque ces événements surgissent, c’est la nuit – ou mieux, le crépuscule ! Car l’entre-deux est le territoire du loup, et d’une manière générale, de tous ses congénères prédateurs. La ribambelle des enfants s’y étire, les chants se font confus, le plus sot s’égare ; fin du premier acte !

C’est un étrange théâtre que celui où nous regardons, stoïques et voyeurs, la chair de nos chairs devenir chair à pâté. Et pourtant, le rideau ne se baisse jamais sur un horizon mortifère. La morale et la vertu sont sauves, même si elles ont été souvent durement malmenées. C’est pourquoi les processions d’enfants s’égayent malgré l’ogre tapi, c’est pourquoi les théories d’encore-innocents musent sous nos yeux attendris mais tendus. À grands renforts épiques, les sortilèges se dénouent, rendant aux ensorcelés leur figure d’antan, humaine et ordinaire.

Mais toujours reste en mémoire le souvenir du héros transfiguré par l’acte magique, titubant sur le fil manichéen du rasoir. C’est lorsqu’il tâtonne sur le chemin que nous y voyons notre reflet, non lorsqu’il atteint un but que nous savons hypothétique. L’enfant tourne son regard vers le ciel, les pieds embourbés, les mains piquetées d’épines. La sève envahit sa chair, la mousse couvre la peau, partiellement d’où émerge notre sosie composite d’humanité et de conte, de réalité et d’espoir. Par un procédé magique de dessiccation, étranger au processus naturel de nos sous-bois, les sujets se figent et d’un pied de nez à l’impermanence défient illusoirement le temps.

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Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
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