Écritures, billets, nouvelles, contes, brachygrammes, poésies, prosoésies, ludilemmes, romans...

Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

lundi 30 mars 2009

燕 (JPH n°59)

Jeu littéraire du forum A Vos Plumes. Contrainte : illustrer le proverbe "Une hirondelle ne fait pas le printemps".

Comme un lotus, les idées éclosent délicatement dans l’esprit d’Isamu. En l’honneur du Seigneur Egawa, il créera une œuvre parfaite – un recueil divisé suivant les quatre saisons et, pour chacune d’elle, dix-sept haïkus, chiffre idéal pour ces poésies d’autant de mores. Ainsi, chaque chapitre sera en lui-même un haïku composé de ses semblables.

Isamu tente de faire sienne la maxime de Maître Bashō qui affirme que le haïku n’est pas dans la lettre mais dans le cœur. Il sait également qu’une fois le premier mot trouvé, l’inspiration suivra.

Pourrait-il se trouver un moment plus propice pour débuter ? Les premiers jours du printemps sont délicieux ; quelques nuages flottent paresseusement. Isamu les observe, cherche à y deviner des formes imprévues. Sa contemplation est troublée par l’ombre éphémère d’une hirondelle. C’est le signe qu’il attendait : le premier poème de la saison débutera donc par tsubame, l’hirondelle.

Mais il s’agit d’un mot de saison ordinaire. Aussi, pour le magnifier sans basculer dans la grandiloquence, il le sublimera par sa calligraphie, il peindra un idéogramme exemplaire qui imitera l’hirondelle, son galbe fuselé, sa vitesse foudroyante, son cri aigu. Tout cela en quelques traits d’où découleront les mots du haïku et ceux de toute la saison.

Sans plus tarder, il s’attelle à la tâche. Les rouleaux de papier de riz s’étalent devant lui. Isamu saisit le pinceau et trace le premier trait, horizontal et pur. Dès le deuxième trait, il est insatisfait. Le papier est jeté, Isamu imagine les différentes parties du signe : l’une suggère la tête, une autre le corps, les ailes de chaque côté, la queue enfin en bas.

Les résultats se suivent dans leur imperfection. Isamu juge un bec trop long, des ailes asymétriques, un dos trop carré, une queue improbable. C’est cette dernière surtout qu’il trouve problématique. La partie inférieure de l’idéogramme la représente par quatre traits courts mais pour Isamu, ils font penser à quatre pattes. Une fois cette idée en tête, il ne peut s’en défaire et chaque caractère semble un oiseau monstrueux aux pattes surnuméraires.

Le lendemain, Isamu est confronté aux mêmes difficultés. Après une semaine d’effort, le sol de son atelier est jonché d’hirondelles difformes qui gisent, promises à l’abandon pour cause de tératologie.

Les semaines passent mais son pinceau reste fourbe, la pierre paraît rechigner à moudre l’encre et cette dernière lui désobéit. Les feuilles de papier s’accumulent et lorsque le vent s’insinue entre les panneaux, leurs bruissements lui rappellent son échec.

Enfin, un matin, Isamu trace le caractère qu’il attendait, proportionné et vivant, son chef-d’œuvre. Il l’observe avec passion, le moment est magique. Il est si ému qu’il ne peut retenir ses larmes ; l’une d’elle coule sur sa joue et s’écrase sur la calligraphie, la ruinant irrémédiablement.

Toutes les choses ont une signification aimait à répéter son Maître. Le pinceau d’Isamu lui échappe, laisse en glissant sur son kimono une ligne noire et désabusée. Il se fait un silence puis son attention est attirée par le vrombissement des insectes au dehors.

Isamu fait coulisser un panneau, le jardin s’offre à sa vue. La lumière est vive, l’air chaud. C’est déjà l’été.

vendredi 27 mars 2009

Dura Lux sed Lux 7

La série « Dura Lux sed Lux » se propose de réaliser des prosoésies, paraphrases personnelles de photographies de Loretta Lux. Une unique contrainte hormis la brièveté du texte : que chacun d’eux inclue un néologisme ou autre mot-valise.

« The wanderer»

Quelques (faux) pas, écartés des hommes, oublieux. Ton univers concave, ineffable – et frais sur la chlorophylle. La mort pourrait t’y surprendre, alanguide, et te fondre à sa glaise.

Terre : ressource, ciel en songe. Tout en instant détruit par l’intrusion.

Déréliction…

lundi 23 mars 2009

Chromographie 3 - Blanc > (o)dieux

Blanc, ce qui passe, ce qui en reste
Blanc, l’univers plié sur lui-même
L’oubli aussi
Blanc, inaccessible – le diable l’emporte
Aidez-moi, (o)dieux !

vendredi 20 mars 2009

À la grâce des dieux (JPH n°58)

Jeu Presqu’Hebdomadaire du forum À Vos Plumes. Texte à consignes : situer l’action dans l’antiquité et débuter par « La construction du palais allait bientôt commencer ».



La construction du palais allait bientôt commencer sur la plus haute plateforme de la ziggourat. Le bâtiment dominerait ainsi la ville d’Uruk et serait, dans un an à peine, le siège du lugal Gilgamesh. Rien ne l’égalerait en splendeur sur toute la terre de Kiengi.

Pour la glorification de ce descendant des dieux, un temple consacré au culte d’Innana serait également bâti. La magnificence de la demeure royale et la sainteté du sanctuaire rayonneraient bien au-delà de la cité.

À la différence de la populace enthousiaste, je restais réservée. Père, lettré parmi les lettrés, m’avait offerte au temple pour y devenir hiérodule. J’avais vu sa propre main graver la tablette d’argile qui m’immolait à ce sort. Son calame n’avait pas tremblé en apposant mon nom ; sa faveur auprès du roi en serait décuplée.

Un prestige certain rejaillissait sur toute famille dont la progéniture était sujette à l’hiérogamie. Mais, par le biais de Père qui hantait la cour du lugal, je connaissais les coulisses du pouvoir depuis mon enfance. Officiellement, seul le roi lui-même m’honorerait à chaque lunaison, pour rappeler son ascendance divine et apporter les bénédictions sur le peuple. Innana n’était-elle pas la déesse de l’amour, de la guerre et de la fertilité ? Gilgamesh se devait de l’adorer et la craindre simultanément.

Dans la réalité, je savais bien qu’hormis ce rituel d’union, je deviendrais l’objet des prêtres, des devins de haut rang et sans doute même des kurgarrû, ces extatiques pervers. Pour Père même, je perdrais mon statut de fille pour n’être plus qu’une prostituée sacrée. Qu’Asag l’emporte et lui fiche son calame dans le cœur ! Puisse-t-il tous les traîner dans un enfer de poussière et d’oubli !

Je serai parée d’or et vêtue de soie, ointe d’onguent. Des peignes de nacre rarissime orneront mes cheveux. Tant de somptuosité jusqu’à ce que mon corps se mette en gestation. Tous me regarderont alors avec horreur, comme une divinité déchue, impure. Je serai bannie du temple, répudiée loin du palais, dans d’odieuses maisons si Utu me sourit, sinon abandonnée aux esclaves. Innana se verra offrir d’autres vierges et pendant ce temps, Père sera l’oreille du roi – gloire au seigneur Gilgamesh !

Depuis hier, Asarluhi, le dieu des ondées, sans doute ému par mon désarroi, faisait s’abattre une pluie serrée, retardant d’autant le séchage des briques d’argile nécessaires à la construction. Après tout, il faudrait presque une année pour que le palais et le sanctuaire soient achevés et se parent de leurs ultimes hauts-reliefs.

La vie des hommes était dédiée au service et au confort des dieux. Que dire alors de celle des femmes ? Je serai la glorificatrice des Annunaki, la parèdre du roi, la servante de Père.

Ce matin, Père m’a offert un collier de perles d’argent magnifiquement travaillées. Il a saisi mes mains, posé son regard dans le mien et m’a murmuré :

« Vois Nintu, ma fille, il y a une perle pour chacune de tes années. L’an prochain, lorsque tu seras vénérée dans le temple, nous en ajouterons une neuvième. »

dimanche 15 mars 2009

Ada (roman - extrait 3)

Ada a quatorze ans.

Et soudain elle disparaît, déserte ma vie, s’absente de l’existence. Mon souffle se raréfie, suspendu ; insondables journées de craintes et d’espoirs mêlés. L’accablement s’empare des heures, ma patience est anéantie.

Évidemment, je songe au pire – qui n’est sans doute pas la mort ; comment pourrais-je supporter d’évoquer même son corps pur maltraité ? Les hommes déjà la regardent, elle dont les seins précoces et la silhouette féminine envoûtent. Qui l’aura prise, emmenée, et où ?

Elle me revient pourtant, après deux semaines de disparition inexpliquée.

Deux semaines de torture et de questionnement durant lesquelles la chair de ma chair m’a échappé. Deux semaines de séparation, de fugue peut-être comme le suggère le commissaire avec la délicatesse des hommes coutumiers du pire.

Deux semaines d’éternité, le temps s’interrompt : je n’ai pu voir son visage, contempler ses gestes qui me fascinent, humer son parfum qui partout répand l’odeur de la félicité. Que n’ai-je subi ses colères et son indifférence qui me rendent fou, moi son père, moi qui souffre de l’imaginer malheureuse, de la savoir pleurer.

Enfant, déjà, elle m’entraînait dans des sous-bois animaux, le long de sentiers exclusifs. Nous cheminions ensemble parmi les pistes encombrées de mûres ; notre relation est cette sente serpentine où parfois nous nous perdons de vue sans jamais nous éloigner. Lorsque je la précède, elle s’oriente sur la ligne de mes épaules – si elle montre le chemin, je poursuis son odeur, ses phéromones guident mes pas.

Qui peut parler d’amour qui n’a pas connu cette passion violente, toute entière prenante, cette ivresse de se savoir idéalisé, comblé, parfait ?

vendredi 13 mars 2009

Dura Lux sed Lux 6

La série « Dura Lux sed Lux » se propose de réaliser des prosoésies, paraphrases personnelles de photographies de Loretta Lux. Une unique contrainte hormis la brièveté du texte : que chacun d’eux inclue un néologisme ou autre mot-valise.

« The rose garden»

Hélas, nulle rose n’est unique ! Mais le mensonge perdure, déjà au temps du Prince… Que n’effleure tes cheveux une lueur – un tendre désappointement.

Et ta moue, et tes lèvres pulpérines, empourprées de doute et de désillusion.

Et ta joue, douce, parfumée de l’odeur du pétale.


dimanche 8 mars 2009

Araçanash

Araçanash est un démon malicieux.

Il s’avance parmi les hommes, l’air de rien et soudain leur souffle au visage des vérités toutes nues. Évidemment, ça choque ! Les humains sont souvent pudibonds, d’ailleurs plus souvent à cause du qu’en-dira-t-on que d’une réelle pruderie.

Araçanash est un démon licencieux. Il rit de les voir embarrassés, il s’amuse encore davantage de savoir que cet embarras est un masque. Alors, avec une finesse toute rabelaisienne, il effleure les reins des femmes et bouscule les hommes vers elles. Certains rougissent, d’autres se fâchent, quelques claques enfin fusent. Bref, c’est la gabegie car tous sont tiraillés entre leurs désirs et leur moralité. Mais c’est aussi la foire d’empoigne ; des individus moins pudiques que les autres profitent de la confusion pour mettre leurs mains par-ci, leur nez par-là, et le reste à l’avenant.

L’homme est ainsi fait : comme vous, lecteurs, il s’emberlificote dans les nues, des images lui apparaissent depuis son cerveau reptilien, il suit ses inclinations ou son éducation, il écrit dans sa chair.

L’homme est ainsi fait (et je parle bien entendu aussi des femmes) : comme vous, lecteurs, il oublie les vérités – pourtant toutes nues.

Araçanash est un démon consciencieux.


Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
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