Écritures, billets, nouvelles, contes, brachygrammes, poésies, prosoésies, ludilemmes, romans...

Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

vendredi 26 novembre 2010

Épiderme (troisième apostille de Vent violent)

Ton ongle écorche la surface, mes nerfs se révulsent, ma peau se love, amoureusement.
Ton bras entoure le mien, guide avec gourmandise ma main vers des buts possibles, de noirs horizons et autant de résolutions. Chair, toutes chairs confondues, suspension du derme, petites traces délicatement posées sur ta poitrine, sur la mienne, sur nos corps tout pareils, si différents.
Marées, commandez nos sucs ! Menez nos hormones !
Ton ongle écorche la surface de ma peau ; douleur, douceur.

lundi 22 novembre 2010

Chien stupide (JPH n°98)

Jeu littéraire à consignes du forum À vos plumes : écrire un texte où apparaît un aveugle et dont le premier et le dernier mot sont identiques (ce même mot ne peut être répété dans le texte).

Feu mon père nous laissa en héritage, en plus de sa cave dont le nombre de bouteilles vides dépassait de loin celui des pleines, son chien, un corniaud aveugle – et stupide, lui-même le disait. Et parce qu’il appréciait autant l’alcool que la littérature, il baptisa la pauvre bête Fante, en hommage au célèbre écrivain qui avait discouru avec le talent que l’on sait sur la bêtise de son propre animal.
Si Fante était d’une crétinerie sans nom, il aimait son maître avec passion et force léchouilles. À cause de leur étroite promiscuité, mon père emportait partout avec lui ce remugle canin caractéristique fait de poil mouillé et de bave parfumée à la viande de mauvaise qualité. Cette odeur épouvantable était en quelque sorte, à en croire mon père, sa façon de rendre au chien son affection. Et d’affection, Fante en débordait à tel point que, lorsque les employés des pompes funèbres voulurent emmener le corps de mon père, le molosse habituellement inoffensif s’en prit à eux avec une rage incontrôlable ; ils y laissèrent, pour l’un un morceau de pantalon, pour l’autre une tranche de mollet découpé à l’arraché. Pour circonscrire toute velléité de plainte de la victime, notre famille dut se résoudre à payer l’incinération prévue au prix d’un enterrement de première classe.
C’est ainsi que l’urne trônait crânement sur le manteau de la cheminée du salon et, chaque fois que je m’en approchais, je m’étonnais qu’elle ne dégageât pas la puanteur canine dont mon père avait fait l’une de ses caractéristiques. Fort heureusement, Fante palliait ce manque olfactif et le fumet qu’il répandait partout – fumet que tout autre que moi eût regardé avec répulsion – m’émouvait particulièrement. Le chien, quant à lui, occupait une grande partie de ses journées à l’immobilité, le nez pointé vers l’urne dans une cécité confiante ; peut-être son odorat surfin détectait-il quelques traces de la pestilence passée ?
À la tombée du jour, Fante se couchait immanquablement au même endroit, le museau face à la fenêtre qui s’ouvrait vers l’ouest, la queue vers la cheminée. Le soleil qui rougeoyait se reflétait dans ses yeux opaques, les colorant d’érubescence, lui donnant un regard fou, digne de l’enfer d’un Dante paronyme. Ainsi posé, le corps du chien semblait être un intermédiaire entre la lumière, fût-elle déclinante, et les cendres paternelles et l’on eut pu gloser longtemps sur les intentions canines et l’éventualité qu’il fût une sibylle velue – où les êtres hors normes sont souvent considérés comme simples d’esprit. Toujours est-il que cet embrasement oculaire formait deux cercles vifs qui redonnaient lustre à son poil sombre et terne. Aussi, chaque soir, je m’asseyais près de Fante, je caressais avec vigueur sa fourrure, portais mes doigts à mes narines, inspirais profondément et, comme une drogue mémorielle, l’effluve infect se répandait, titillait mes neurones, illuminait mon cerveau ; par alchimie synesthésique, l’odeur devenait image, celle de mon père qui s’installait à mes côtés, puant mais vivant, à nouveau dévoré d’alcool et de feu.

jeudi 18 novembre 2010

Savinienne auréolée de blancheur - 18

Savinienne se presse contre moi, les yeux alternativement ouverts et clos, la fatigue l’envahit, une fatigue teintée de paresse et d’abandon.
Elle penche sa tête, presque en ralenti, pose avec délicatesse son visage sur mon bras, succombe à l’affection. Son poids est celui d’une plume, son attente celle d’un océan.
Je caresse ses cheveux, tendrement, elle sourit, extase de l’âge. Je caresse ses cheveux, quelques fils blancs se détachent, entremêlés à mes doigts.

mardi 16 novembre 2010

Par vent violent - 12

Il est une qualité merveilleuse née de la chute dans les profondeurs, c’est l’absence de gravité. Se jouant de l’attraction, on en vient à nier le haut comme le bas, à jouer de son corps comme en défaillance d’atmosphère.
Je suis désarticulé, je suis plein, de vie, d’envies, de vices. Je tournoie, je me frotte à la caresse de l’eau, je jouis de sa limpidité sur ma peau. Mes doigts dessinent des volutes au creux des courants, mes phalanges se palment, je suis amphibie. Amphibie parfaitement, ni homme, ni poisson, créature pélagique ; tout en moi aquatique se fond, et mes limites sont abolies, mes pores s’ouvrent, le sel y pénètre. Quelques particules de plancton effleurent mes lèvres, sur ma langue comme la salive d’un baiser les diatomées fourmillent.
Dénouerai-je la corde qui me retient, liant ma cheville ?

jeudi 11 novembre 2010

Par vent violent - 11

Je tourne mon poignet et ma main, mobile et théâtrale, commande aux éléments. De ce seul geste, je balaie l’irrésolution qui me taraudait, je déchiffre les signes sibyllins, j’élucide les crêtes spumeuses.
Les vagues chahutent mon champ de vision et, entre deux éruptions d’eau, l’horizon mouvant se dessine, ainsi que les lignes du destin. J’y entrevois des possibles, quelques uns, une multitude, un seul peut-être mais le néant semble refluer vers le cloaque des profondeurs, prêt à surgir, demain, plus tard.
Je suis libre par ajournement de l’éternité ; je me gausse de la permanence. Je grave les lettres une à une dans ma chair, j’en couvre mon bras, mon ventre, mes cuisses. De temps à autre, la pointe traverse l’épiderme, deux ou trois gouttes de sang perlent, se diluent dans les flots qui miens deviennent, transmutés qu’ils sont de mes organites. Je perce les délimitations, j’ouvre les garde-fous et, par logique, la folie s’échappe, saine folie qui me rappelle à l’ordre.

lundi 8 novembre 2010

Post coïtum (JPH n°97)

Texte à consignes du forum À vos plumes sur le thème : Obsession. La première phrase est imposée.

C’est la première fois que je ne suis pas triste quand il part. Et pour cause ! Il ne le sait pas encore mais il ne m’a pas quittée entier, pas cette fois. Je reste ici, étendue sur le lit ; je reste ici, avec son âme au creux de ma main – et il l’ignore ! Son âme qu’il m’a vendue pour une jouissance de plus, un plaisir pathétique.
Il se vautre sur mon corps, il le malaxe, le serre sous l’étau de son poids, il ahane, il éructe, il jouit enfin, enfin ! Et moi je crie, non pas de lascivité, je lui crie mon désir d’enfant, je veux sentir la chair grouiller dans ma chair, je veux que la glu blanche qu’il répand me fertilise, je hurle à la maternité. Et lui de s’obstiner à sa pauvre concupiscence, de répandre son sperme dans son réservoir de latex, de gomme stérile. Je le déteste mais sa semence est en moi, elle m’inonde de sa prodigalité et me voici enfin féconde, il n’a fallu presque rien, juste percer d’un trou minuscule les préservatifs dans leur emballage. Une épingle a suffi, cet objet insignifiant. Il y a sans doute un parallèle formel entre l’épingle et l’aiguille qui, jadis, procédait aux avortements ; mais de cet insuccès, jamais ! Les cellules se multiplieront, deux, quatre, seize, multitude, bras, jambes, sexe, visage. Je tiendrai dans mes mains cet être de peau, chaud et faible, que je protégerai de tous, bec et ongles. Et parmi ses gestes, dans ses traits, je verrai s’animer mes propres cellules, je trônerai au firmament, divine génitrice et, d’un simple revers de la main, je gommerai les gènes paternels devenus vains.
Utérus, conduis mon sang, divise ma chair, ordonne les particules ! Que de ces divines manipulations naisse un germe, une radicelle, une étincelle !

Il part et son âme sanguinolente s’écoule dans ma paume, mes ongles la déchirent, avec voracité, violence pour violence. J’allume un feu – divine sorcellerie – et au cœur du chaudron, je place l’organe rouge, ses palpitations irrégulières signent son agonie. J’y déverse le sirop de mon humiliation et, dans un bouillonnement âcre, s’élèvent vapeur et soufre. Sonnez, cloches ! Harcelez les tympans des honnêtes gens ! Fermez les portes, les clefs tournent en grinçant, les clenches jouent, définitivement.
Il part et jamais je ne le reverrai. Mieux, j’élèverai mon enfant dans la haine de cet individu, cette chose, moins qu’un homme. Lui qui m’a avilie pour mieux m’engrosser, à son insu. Lui qui ne voyait en moi qu’une poupée, objet de débauche, sans émotions, sans cervelle, sans vie. Je dévorerai son souffle captif, je serai carnassière, je m’enfuirai dans les secrètes tanières du ressentiment pour y faire croître ma descendance et je l’observerai, lui, souffrir à mes pieds, suppliant ; à terre la mâle verge ! Gémis si tu le peux, implore-moi si tu l’oses ! Tu n’as pas d’enfant car je suis toute puissante et, dans ma magnanimité, je ferai en sorte qu’il t’abhorre. Ainsi, tu auras la place que tu mérites : aucune. Et encore, c’est presque trop.

mardi 2 novembre 2010

Présomption de la soif (seconde apostille de Vent violent)

J’ai souffert de tout, de présence, d’absence et de faim ; mais rien ne saurait égaler la douleur de l’attente. Attente du renouvellement, de la renaissance comme une ligne d’horizon immuable, jamais troublée.
Antiques pleureuses, sanglotons ensemble, emplissons nos coupes de larmes et que, par l’art de l’évaporation, elles se muent en nuages salins et se répandent ensuite au sol en pluies acides, corrompant ce qui ne mérite de vivre. Là, l’herbe brûle, ici, la terre se putréfie. J’altérerai mon corps de traces et, aux endroits que les scarifications délimitent, tu passeras ta langue, tu assouviras mes passions, tous mes poils hérissés.
Eau, je te bois, purifie-moi !
Ondines, venez à moi, de vos mains avides, de vos bras liquides, tendres, humides partout. Tritons, hissez-moi hors de mon corps !

Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
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