Écritures, billets, nouvelles, contes, brachygrammes, poésies, prosoésies, ludilemmes, romans...

Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

jeudi 18 juin 2009

Savinienne dévoile son sein - 6

Savinienne gît sur son lit, en presqu’inconscience. Médicalement, elle décompense. Un masque à oxygène dissimule sa bouche, déguisement grotesque sous ses yeux clos. Sa respiration est hâtive, son corps recherche avec avidité l’air qui lui fait défaut.
Son lit est si surélevé qu’elle semble assise. Sa casaque, enfilée rapidement, a glissé, dévoilant son sein mou et émouvant de fragilité.
On ne connaît pas les causes de la décompensation physiologique, on ne peut évaluer ses conséquences : rétablissement partiel ou total, décès. Je rajuste son vêtement, peut-être mon dernier geste envers elle.

mardi 9 juin 2009

Hallali (JPH n°64)

Jeu littéraire à consigne du forum À vos plumes. Écrire un texte ayant pour support la peinture de Norman Rockwell "The run-away".

Planté derrière son comptoir, Liam me sert un lait-fraise accompagné d’un regard salace. Celui-là, je le déteste ! Je m’étais juré de ne jamais remettre les pieds ici mais nécessité fait parfois loi.
À côté, le policier me parle avec bonhomie ; il fait sans doute partie de ces individus qui pensent que les enfants n’ont pas de cerveau, le genre de personne pas contrariante. Il fera parfaitement l’affaire – dommage qu’il soit un peu gras…
Il s’enquiert de mon baluchon ; je n’ai qu’à broder une histoire de fugue cousue de fil blanc et le voilà qui se sent soudain investi d’un rôle protecteur, il est si prévisible. Il me tape paternellement sur l’épaule et propose de me raccompagner chez moi. Évidemment, j’accepte, je ne suis là que pour ça, mais je prends quand même le temps de terminer mon verre de lait. En partant, je chipe même une bouteille de soda qui traîne sur le bar, Liam me doit bien ça.
Dans la voiture de police, un ventilateur tourne à plein régime en produisant plus de bruit que de vent. Je supplie mon chauffeur de mettre la sirène à fond et de rouler à tombeau ouvert, mais il reste inflexible.
Nous arrivons à la maison et Maman ouvre la porte. Elle est vêtue d’une robe légère et fleurie, assez suggestive. La climatisation ne fonctionne pas, il fait très chaud, une goutte de sueur délicate perle de sa gorge vers sa poitrine. Je sens le gars se raidir imperceptiblement, il est ferré, mission accomplie. Je m’éclipse dans le jardin et m’assieds sur la balançoire.
Maman a toujours eu un faible pour les uniformes et j’aime lui rendre service. Celui-là a été bien plus facile à manipuler que le pompier de la dernière fois. Je me demande si Maman serait sensible à la salopette de l’électricien…
À tous les coups, Papa va encore les surprendre. Pour le pompier, il a été furieux. Il a poursuivi le pauvre type, nu, dans toute la propriété avec sa batte de base-ball. Quelle rigolade ! Et j’ai même pu jouer un peu avec son casque. N’empêche que suite à ça, on a passé la nuit à creuser un grand trou près du portique. Le sol était dur et je me suis blessé la main avec ma pelle mais je n’ai pas osé me plaindre, Papa était trop en colère. Ce n’est qu’au petit matin qu’on a fini de tout reboucher ; ça faisait un drôle de rectangle de terre noire. Aussi, Maman en a profité pour planter quelques rosiers, des rouges, ses préférés. Elle peste toujours contre Papa qui n’entretient pas le jardin.
C’est décidé, le mois prochain, je rabats l’électricien, il est jeune et costaud, sans un poil de graisse. Maman est menue, presque fragile et je la connais, elle va râler parce que le policier est trop gros à son goût. Et puis, ce sera son anniversaire, je peux bien lui faire ce petit plaisir. Comme le dit notre institutrice, il ne faut rien refuser à sa mère.
Je vais prendre un bon goûter, il me faut des forces ; je parie que ce soir, je serai encore de corvée d’excavation. Cette fois, je vais essayer de garder la casquette du policier. Mais sûr qu’après, Papa et Maman vont se disputer pour savoir quelles fleurs planter…

jeudi 4 juin 2009

Savinienne jusqu'à la lie - 5

Délicatement, je coiffe les cheveux de Savinienne, rares ; elle s’observe dans la glace sans aménité, presque avec rudesse. Ses yeux noirs brillent, presque une fente. Puis l’expression change, brusquement sa coiffure la satisfait.
Je masse son visage, ses mains, avec douceur et parcimonie. Savinienne s’assoupit, bercée par les caresses, enivrée de souvenirs. Son esprit vogue, sa jeunesse l’effleure, ses amants l’admirent, d’autres se jettent à ses pieds.
Elle s’éveille progressivement, son siècle se manifeste à nouveau, transfiguré. Ses lèvres esquissent un sourire. Un mince filet de bave s’écoule de sa commissure, translucide, élastique, écume de l’âge.

Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
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