Écritures, billets, nouvelles, contes, brachygrammes, poésies, prosoésies, ludilemmes, romans...

Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

lundi 28 mars 2011

-er glaciaire (JPH n°107)

Jeu littéraire du forum A vos plumes : écrire un texte dont un des personnages principaux est une créature fantastique. Consigne supplémentaire : n'utiliser que des verbes du premier groupe.

Je visitai le désert, son sable crissait sous mes pieds, la chaleur qui s’en dégageait s’immisçait dans tout mon corps. Je ne rencontrai point de créatures animales ni de végétation, tout juste quelques rares touffes rugueuses émaillaient-elles l’immensité jaune – et sur cette étendue, si tout semblait sujet à la dessiccation par l’entremise de la stérilité du lieu, l’imagination dessinait des formes irréelles, des mirages magnifiques, parfois dotés d’une apparence charnelle, voire charmante.
Ainsi se présenta Lyane, enchanteresse de granite, sirène sèche et mythologique. Elle arborait une tenue excentrique, voiles diaphanes aux reflets d’indigo dont la teinture avait parcheminé son épiderme d’empreintes bleuâtres. Ces traces formaient des signes ésotériques, des lettres et, comme j’en ignorais le sens, elle écarta les bras, lova mon visage contre ses seins, l’appliqua au creux de son ventre et m’enseigna la lecture de ses incantations peaucières. Je les mémorisai toutes, jour après jour, sans efforts puisque chaque mot se paraît de la beauté de Lyane, toute syllabe s’égrenait au rythme de sa respiration. Elle régnait sur chaque grain de sable, elle ordonnait aux tempêtes qui, en son nom, s’élevaient, corrodaient les imprudents, tourmentaient le vol des oiseaux de proie. Ensemble donc, nous régentâmes les cieux, nous domptâmes les insoumis et, avouons-le, je trouvais un plaisir certain à disposer ainsi d’un pouvoir presque sans limites. J’aimais la magie, j’aimais la puissance qu’elle m’octroyait, j’aimais Lyane par-dessus tout, non seulement pour sa sensualité mais pour l’osmose qu’elle avait créée entre nous. Et ce lien, s’il se découpait également sous la sinuosité d’un cordon nous garrottant pour une presqu’éternité, était marqué d’une telle intensité que j’en pleurais quelquefois, au grand dam de Lyane pour qui larmes et eau ne représentaient qu’une souillure indigne de sa vastitude désertique.
Les années passèrent, les siècles se succédèrent et, malgré la science et les incantations de Lyane, ma chair se putréfia peu à peu ; nous comptâmes enfin les jours qui nous séparaient de notre épilogue, nous sanglotions de concert en songeant à notre imminente et définitive séparation. Et tant pis si ces torrents de chagrin générèrent des oasis où l’homme mortel trouverait asile. Enfin, j’expirai dans les bras Lyane, bercé par ses chants, embaumé de ses baisers et, pour toujours, allongé aux tréfonds des sables, là où la fraîcheur se manifestait. De ces profondeurs aréneuses, je diffusai la froidure dans laquelle je baignais vers la surface, vers Lyane qui les discerna. En écho à la douleur qui me taraudait à perpétuité, les charmes de Lyane se vrillèrent, leur contrôle lui échappa. Ainsi tombèrent, en signe de son deuil, dans cette contrée de soleil et de brûlure, quelques flocons, puis des nuages entiers, enfin la neige qui se précipita sans mesure, habilla rapidement le désert d’une gangue de glace et de blancheur, aussi immaculée que la mort, gangue qui décima d’ailleurs la rare faune locale. Mais ces extinctions ne symbolisaient-elles pas avec exactitude la fin d’un temps, celui où la ruine de toute chose se justifiait ? Surprise climatique, permanence nivéenne, désespoir, éternellement.

Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
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