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Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

mardi 3 février 2009

Conte à rebours

Petit billet à la manière d'une parodie de conte, écrit après avoir vu "La vraie fiancée", magnifique spectacle d'Olivier Pi, librement - mais génialement - inspiré des contes de Grimm et de leurs archétypes.

C’est au beau milieu de l’hiver, lorsque le vent est glacial et vous coupe le visage, que débute cette histoire. Il fait nuit – ou presque, c’est le crépuscule, car il est bien connu que l’entre-deux est le domaine des loups, et de tous les prédateurs en général, qu’ils aient visage humain ou animal.

Dans les contes pour enfants – souvent plus horribles que ceux des adultes – l’héroïne est toujours sans défense, souvent belle, immanquablement martyrisée. Celle-ci ne déroge pas à la règle (encore que sa chevelure soit, chose inhabituelle, rousse) qui accueille son inévitable belle-mère, forcément détestable. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, elle vient accompagnée du fantôme de sa propre fille, morte il y a peu dans les tourments de la maladie.

La marâtre serait à plaindre si elle n’était aussi cruelle ; pire, elle prend habitude et plaisir à tourmenter notre héroïne pourtant forte tête. Dans un premier temps, celle-ci ne s’en laisse pas compter et s’en va auprès de son père se plaindre de ces mauvais traitements. Mais le père est ensorcelé par sa nouvelle épouse, au sens propre comme au figuré car, pour le malheur de notre jeunette, il s’agit d’une véritable empoisonneuse qui ne tardera pas à faire subir à son époux un sort définitif.

Ce qui devait arriver advient : le père meurt, sa fille est chassée au plus profond de la forêt. Là, non contente d’être effrayée par les silhouettes fantomatiques des arbres et mordue par quelques araignées, elle est poursuivie par une meute de loups qui confondent sa chevelure d’un roux flamboyant avec un chaperon rouge. Elle ne doit son salut qu’à son bon sens qui lui rappelle que ces bestiaux ne grimpent pas aux arbres où elle se réfugie, non sans moult égratignures qui dessinent des petits traits sanguinolents sur ses joues.

Mais les animaux affamés sont nombreux et les meilleurs chasseurs de la meute se relaient au pied de l’arbre pour en faire le siège. La nuit est au plus noir ; la jeune fille n’entend plus d’eux que leurs pas feutrés sur la mousse et parfois un halètement sordide. Sa peur la fait trembler ; ses larmes coulent, se mêlent aux gouttes de sang qui perlent de ses joues, ruissellent jusqu’au pied de l’arbre où les prédateurs se régalent de cette mise en bouche, promesse de délices prochains.

La fatigue aidant, l’innocente s’endort à son insu. L’humidité de la nuit fait son office et rend l’écorce glissante ; la fille relâche son étreinte et choit – mot qui convient davantage à un conte que tomber. Elle meurt – les histoires pour enfants regorgent de retournements de situation brutaux, vous en conviendrez ; les loups se jettent sur son corps démantibulé et le dévorent sans autre forme de procès. La chute (c’est le cas de le dire) paraît cruelle ; il faut bien pourtant que se nourrissent les carnivores, et les loups sont en réalité des animaux paisibles, injustement pourchassés. D’ailleurs, les corbeaux ne sont pas en reste, ils se régalent des reliefs de la carcasse. Et les cheveux de la belle ornent leurs nids de reflets automnaux.

Ce qui est terrible ici, ce n’est pas tant le sort de la jeune fille car, après tout, il est bien connu qu’il est dangereux de monter aux arbres ou de se promener seule en forêt lorsque l’on a les cheveux roux. Non, ce qui est triste, c’est qu’au point où en est notre histoire, plus personne ne se soucie de la marâtre et de sa souffrance d’avoir injustement perdu sa propre enfant. Une douleur si intense qu’elle contraint son fantôme à demeurer auprès d’elle, jusqu’à ce que sa peine soit apaisée ; ce qui, vous vous en doutez, n’arrivera jamais.

Avant même son ultime impact sur le sol, l’âme de notre innocente rouquine a sans doute été cueillie par quelque fée qui avait oublié d’être sa marraine – à moins que son père n’ait pas cru en elles (les fées pas les marraines) et ait omis de la placer sous leur protection. Ils auraient alors bien mérité tous deux leur sort mais, rassurez-vous, ce n’est pas le cas et la jeune infortunée flotte sans doute à présent dans un paradis rose et brillant ou, pire, dans le monde merveilleux de qui-vous-savez !

Lecteurs de contes, entendeurs d’histoires, explorateurs de récits, n’oubliez jamais que les méchants ne le sont jamais sans raison ! Pleurez la marâtre – qui perdit son enfant ainsi que sa raison – et sa fille, dont le spectre, à jamais enchaîné au désespoir de sa mère, ne trouve ni repos, ni amour, ni même grâce à nos yeux.

1 Comment:

Lunatik said...

En rouquine célèbre, il ne faut pas oublier Ariel (la Petite Sirène)

Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
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