Écritures, billets, nouvelles, contes, brachygrammes, poésies, prosoésies, ludilemmes, romans...

Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

jeudi 16 février 2012

50 noms - tallimat (JPH n°128)

Jeu littéraire du forum À vos plumes : écrire un texte ayant pour thème la culpabilité et incluant la phrase "Elle serra de plus belle le livre contre elle comme pour le protéger". Contrainte supplémentaire de mon cru : ce texte fait suite à celui du précédent jeu, 50 noms - sitamat

Lorsque j’avais poursuivi la Créature, elle s’était engouffrée dans son antre – amoncellement composite le long de la rive tamiséenne. J’y pénétrai à mon tour et la découvris, assoiffée d’émotions, tremblante de faim, étreignant dans ses bras les objets hétéroclites qu’elle avait entassés en son repaire, babioles, débris non identifiables, un livre également. J’approchai mes doigts de sa main ; elle observa le sang qui s’écoulait de la mienne et, comme je tentai de la toucher, elle se contracta autour de ses possessions dérisoires. Elle serra de plus belle le livre contre elle comme pour le protéger. S’échappèrent néanmoins quelques plumes, peut-être de cygne, qu’elle avait amassées tel un trésor. 
Fasciné par sa beauté énigmatique et, sans doute éternellement enfiévré par la morsure dont elle m’avait fait cadeau, j’étais demeuré auprès de la Créature. Nous nous étions apprivoisés, dans le froid qui toujours enlaçait sa tanière. Aussi, aujourd’hui, serrais-je entre mes bras notre enfant que j’avais emmailloté de la fourrure blanche qui jamais ne quittait sa mère ; protection dont cette dernière n’aurait plus jamais besoin. Son corps gisait, épuisé de folie, détruit de parturition. Entre ses jambes, une traînée rouge signait sa fin et je songeai avec amertume aux Deux petits éléphants blancs (43 et 44, même à les considérer siamois) de Maurice Carême : 
C’était deux petits éléphants blancs, […] 
Lorsqu’ils mangeaient de la tomate, 
Ils devenaient tout écarlates. 
Mais si, avec poésie, les pachydermes recouvraient leur coloris immaculé en buvant du lait, rien n’aurait rendu à ma Créature sa vie ivoirine, sa tendresse sauvage et nivéenne. 
J’avais abandonné mon existence parisienne sans que la logique ou la civilisation aient pu me raisonner. La cicatrice de ma main était un souvenir lointain dont je sentais pourtant l’extension jusque dans mes veines. 
Dans mon giron paternel et fautif, j’observai ma fille, sa peau blanche, ses yeux pâles, un fin duvet virginal recouvrait l’entièreté de son épiderme et je ne doutais guère qu’en grandissant, ses oreilles prissent une forme épointée, non plus que ses dents. J’avais tué la Créature de mon aveuglement, j’avais créé un être que l’on montrerait du doigt. 
Je pris le livre de contes de la Créature, sa plus grande (et seule) richesse et en lus le contenu, comme si mon enfant pouvait le comprendre – ou en hommage désespéré à sa mère. 
45 – Blanche-Neige 
46 et 46 ½ – Le Serpent blanc (des frères Grimm mais aussi conte chinois – bái shé zhùan – l’ouvrage faisait se suivre les deux versions dont le titre était d’ailleurs le seul point commun) 
47 – Le Loup blanc (une histoire amérindienne) 
48 – Edelweiß (en allemand dans le texte, que je connaissais également du nom poétique d’étoile des glaciers, en guise de 48 et quelques). 
Tandis que j’imaginais les poils qui couvriraient le corps de notre fille, ses pupilles claires et effrayantes, m’apparut l’avanie dont elle serait l’objet en tant que monstre auquel elle ne manquerait pas d’être assimilée. N’avais-je pas considéré sa mère en Créature, même avec une majuscule ? Et comme je sanglotais, je tournai une page du livre, le titre de l’histoire suivante s’étala avec une ironie aussi sombre que limpide : 
49 – Croc-Blanc.

Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
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