Écritures, billets, nouvelles, contes, brachygrammes, poésies, prosoésies, ludilemmes, romans...

Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

samedi 25 décembre 2010

Par vent violent - 13 (Épilogue)

Doucement, je longe la rive – la barque est restée loin derrière, point infime, point de mire, à peine.
Doucement, je penche mon visage vers l’eau, le reflet se trouble, comme le vent, comme la tourbe qui mon cœur envahit. De toute terre ne naîtrait-il pas quelque événement ? Événement de larmes, événement de liesse, éventuellement.
Jamais je n’ai su faire de ricochets, la pierre toujours coulait à l’endroit du premier rebond. Jamais je n’ai pu, et toujours j’ai jalousé ta facilité, toi qui multipliais les impacts sur la surface de la rivière, au plus profond des âmes, en méandres évidemment tortueux, souvent lascifs. Mes cailloux plongent vers le lit torrentueux, mon corps suivrait-il le même chemin ? Une simple éclaboussure en marquerait la fin, peut-être, si le courage ne me manquait.
J’oblique vers le septentrion, inexorablement m’éloigne de la chaleur du sud. Pourtant, la vie s’y trouve sans doute, prise dans les glaces, seulement ralentie, n’attendant que le brasier de mes paumes et – espérons-le ! – celui de mes baisers.

mercredi 22 décembre 2010

Météore (JPH n°100)

Texte à consigne du forum À vos plumes sur le thème "Il y a 100 ans, en 1910". Devaient également être inclus les homonymes suivants de 100 : sans, s'en, sens ou sent (du verbe sentir) et sang.

J’aime Duncan, ses yeux, sa peau, tout en lui.
J’aime Duncan et il me méprise ; jamais ses regards vers moi ne se tournent, jamais sa voix ne s’immisce à mon intention. Son corps entier illumine – comète, traînée incandescente – ses ondulations en charment d’autres, son odeur aucunement ne m’appartient.
Ô Cieux, rendez-moi justice, soyez à l’image de ma passion ! Conduisez Duncan dans ma maison, qu’il y pénètre, qu’il s’y installe, qu’il y trône ! En majesté, car je veux l’idolâtrer, telle une esclave, sans limitation aucune, je veux ramper à ses pieds, je suis prête à tout.

J’aime Duncan, ses mots, ses phrases, ses intonations.
J’aime Duncan et, si j’en suis éprise, jamais ses mains ne se referment sur moi, jamais ses doigts ne comptent le nombre de mes désirs. Ses gestes ondulent, ses mouvements écorchent mes lèvres, petits stigmates du dédain. Son aura est un soleil – et c’est un poncif navrant – qui brûle tout à proximité et moi, calcinée, l’épiderme croûteux de son feu, je dépéris, je deviens folle, je me cogne contre un mur, encore et jusqu’au sang, comme une mouche épileptique.
Ô nuit, étends tes ombres sélènes sur moi, sur nous enfin ! Il s’en faudrait de si peu pour que ton intercession me comble, rapproche-le de moi, étreins-moi de son contact, de haut en bas, partout où la chair quémande !

J’aime Duncan, son inconséquence, son mépris, sa froideur même.
Ô Nyx, porte-moi dans tes bras, que je m’y love telle une enfant. Ô Nyx, fais parvenir jusqu’à moi un signe patent de mon destin et, malgré les obstacles, je m’obstinerai jusqu’au cœur de Duncan, quitte à l’en extraire sanguinolent de ma main avide.
Et là, soudainement, l’astre étincelant me hèle, le ciel enténébré se déchire d’un joyau clair qui le traverse de sa multitude, qui m’émeut. La lumière métamorphose la nuit, en éclaire les moindres recoins, embrase mes tréfonds, y transfigure l’image de mon amant. Il sera mien, les Cieux m’en sont témoins, les Cieux nimbent de leur clarté son visage et je sens poindre enfin un épilogue de jouissance.
J’aime Duncan et sa vie m’appartiendra.
J’aime Duncan, son existence, son corps, son sexe même. Et si nous avons un fils, nous le nommerons Halley.

lundi 13 décembre 2010

Le monde selon Mathusalem

Dans un siècle, j’aurai deux cent quatorze ans ; encore cent années de torture et de vie, et peut-être plus encore. La nature – cette exécrable ennemie – m’a doté d’une santé parfaite, d’un esprit vif, d’une mémoire alerte et d’une unique ignominie, l’anageria. Maladie rarissime, sans doute singulière, assurément extravagante : je ne vieillis pas, ou peu s’en faut, si lentement que les décades ne sont pour moi qu’années. Je suis condamné à une presque éternité, du moins à l’aune de la misérable existence humaine.
J’ai vu la science se ruer sur mon corps, en extraire le sang, en analyser le génome, tout cela en vain. Mon asénescence irrésolue ne saurait m’être ôtée, mon martyre s’écoule seconde après seconde avec une horripilante lenteur et la jalousie de tous. Lorsque j’étais tout jeune encore, je n’avais pas plus de cinquante années (et quelques poussières… l’anageriaque ne serait-il pas également sujet à la coquetterie ?), le dépit des simples mortels m’a failli coûter la vie et, bien que je la comptabilise parcimonieusement, elle m’apparut alors précieuse. J’ai fui les insultes, j’ai dévié les regards envieux, j’ai évité les pogroms, j’ai changé d’identité, encore et encore. Mes personnalités apparentes se succèdent, toutes différentes, je m’approprie des noms, et toujours ces mille images se heurtent à ma pensée comme autant de souvenirs de décennies fugaces.
J’ai pris femme, j’ai enfanté ; mon épouse est morte décatie quand j’étais un jeune homme, mes enfants d’adultes sont devenus vieillards et sous mes yeux désespérés sont morts, dans mes bras bercés de sanglots j’ai caressé leurs cheveux blancs, leurs rides amères, moi qui, comme un dieu pathétique et éternel, jouait de mon corps sans cesse agile. Et le rire s’est transmuté en larmes ; depuis dix ans, vingt ans, cent ans, les minutes sont soixante pleurs, impossibilité de l’oubli, pleurs dont le sel ravinerait mes joues si j’étais un homme de chair mortelle. Mais ma peau lisse me nargue car, tel un Narcisse inversé, je ne rêve que de voir mon reflet se faner, j’aspire aux flétrissures de l’âge, tous ces petits signes délicieux. Je veux éprouver la paresse des muscles, la courbure des os, les douleurs de la vieillesse. Mais peut-être serai-je dans le futur exaucé, qui sait si cette tare inique ne m’octroiera pas une sénilité aussi intense et longue que l’est ma vie ? Des dizaines d’années, des siècles d’arthrose, de décrépitude, de déliquescence des tissus. Et plus que tout, de solitude, moi qui ne peux m’apparier sans souffrance ni séparation. Et pourtant, qui de vous ne souhaiterait ma place malgré mes mises en garde et mon évidente déréliction ?
Dans un siècle, j’aurai deux cent quatorze ans ; si seulement la longévité m’avait apporté quelque sagesse… Mais de discernement point et je sens sourdre en moi le courage qui m’avait jusqu’alors fait défaut. Les choix sont multiples afin que cesse enfin mon exaspérante agonie : le poison, le fusil, la défénestration, que sais-je encore ? Difficile de trancher, j’atermoie toujours, il me faut le temps d’une mûre réflexion, encore un jour, peut-être une année, pourquoi pas un siècle ?

samedi 11 décembre 2010

Voilà

Viola a été violée. Voilà le voile, le voile enlevé qui voit la vie volée. Violentée, elle veut laver son désaveu – vainement.
Les vilains vont et viennent, la vilenie au ventre, visant la vivante Ève qui vivra avilie. Ils l’avachissent, ils la vautrent. Elle voudrait vivre, elle veut voleter de villes en vallées, lavée de la veulerie. La lave violente la vise, l’envie de vomir évince son éveil, évidemment. Le levain de la vengeance se lève, il va livrer les loups velus, les larves involuées qui la visèrent. Mais les lèvres sont closes, les siennes, les leurs, vivement l’oubli scellé en son sein !
Viola avale la digitaline, elle incise ses veines, s’envole sur le voilier du vent.
Viola a été violée. Voilà.

Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
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