Écritures, billets, nouvelles, contes, brachygrammes, poésies, prosoésies, ludilemmes, romans...

Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

dimanche 9 octobre 2016

Lalbehyrinthes est mort, vive Łálßєħўrιnтђeș !

Je cesse aujourd’hui d’alimenter ce blog de toute façon déserté depuis deux ans. D’autres textes s(er)ont à suivre sur Łálßєħўrιnтђeș - successeur moins rouge que son devancier.

mardi 20 septembre 2016

Augural et mutin

     Je suis devant le miroir ; Luka m'a quittée. Mes cheveux, c’est ce qu’il préférait chez moi, des cheveux longs, très longs, d’un noir de jais. 
     Je n’ai jamais été ce qu’on appelle une belle femme, j’ai la mâchoire trop carrée, le corps un peu gauche. Mais j’avais ces cheveux-là que Luka refusait de me voir attacher. Il les désirait, volant autour de moi, comme un éventail sombre, un fouet les jours de vent. 
     Évidemment, je suis allée chez la coiffeuse. Comment, devant chaque miroir, imaginer Luka caressant mes cheveux ? Quand je me suis assise sur le fauteuil et qu’elle m'a demandé quelle coupe je désirais, j’ai éclaté en sanglots. La pauvre fille est restée pétrifiée : j’aurais dû comprendre que j’avais affaire à une empotée. Entre deux crises de larmes et autant de reniflements, j’ai bredouillé un carré court inintelligible que la pauvre fille a pris pour un carrément court. Moralité : j'ai quitté le salon démoralisée avec une coupe à la garçonne minimale. Je voulais me défaire de Luka, mais pas à ce point. 
     C’est ce visage marqué par les pleurs, ce visage défiguré de cheveux que reflète mon miroir. À moins que ce ne soit celui de ma rage amère contre Luka. Je n’ai jamais été un parangon de féminité mais, au lieu de la souligner, cette coupe en a gommé toute trace de mes traits. La boulangère ne s’en est pas trompée qui m'a accueillie tout à l'heure avec un « Et pour Monsieur, ce sera ? ». Elle n’a pas été plus ébranlée dans sa certitude quand elle a entendu ma voix. 
     La boulangère a sans doute passé le mot au miroir. Celui-ci s’obstine à me renvoyer le visage d’un jeune homme. Un jeune homme d'ailleurs plutôt bien fait de sa personne et à l’humeur accommodante. Lorsque je regarde vers la droite (ou la gauche), il se tourne dans la même direction et m’adresse de surcroît un léger sourire. Je suis sûre d’avoir entraperçu un clin d’œil. 
     J’ai pris une chemise de Luka, une chemise qu'il a abandonnée avec moi, ou peut-être l’une de celles que j’ai cachées pour qu’il ne les reprenne pas. Une chemise un peu cintrée qui mettait son buste fin et sa musculature déliée en valeur. Je l’enfile, le contact du tissu qu’il a porté est troublant ; je me bats un moment avec le boutonnage inversé et j’interroge le miroir. Pour un peu, je serais charmée par mon reflet. N’est la poitrine qui gâche toute masculinité et jure terriblement avec ce visage structuré. J’ôte la chemise et bande mes seins, les entourant encore et encore de Velpeau, aussi serrée que possible. C’est douloureux mais, le vêtement remis, l’illusion est parfaite. Je n’avais jamais particulièrement aimé mon corps ; j’en ai un nouveau, augural et mutin, comme dirait Ričardas Gavelis. Un corps et une prestance annonciateurs de plaisirs. 
     J’observe mon visage, sa mâchoire volontaire, sa coupe si virilement désinvolte. Je me demande de quoi il aurait l’air avec une ombre de moustache ou, pourquoi pas, des favoris, même s’il s’agit d’attributs d’une autre époque. Je suis résolue à essayer de nouvelles excentricités pilaires. J’hésite à rajouter une cravate mais, après bien des atermoiements (atermoiements que j’ignorais que les hommes pussent avoir), j’opte pour plus de décontraction, défait le premier bouton de la chemise, la laissant à peine entrouverte. 
     Je suis désormais prête à oublier Luka. En face de moi, l’homme soulève un sourcil et esquisse un sourire canaille. 
     Je n’ai jamais été aussi beau.

samedi 23 août 2014

Figuration libre

J’avais accroché le tableau au mur et je n’ai retrouvé, sur la table basse, que les miettes de mon gâteau au chocolat. 
Puis je me suis assoupi sur le canapé et j’ai entendu un souffle rapide, puis un halètement chaud. Il léchait consciencieusement les rares miettes oubliées, a levé vers moi des yeux amicaux. Je ne connais rien aux races de chien mais son pelage roux et blanc était du plus bel effet. Je suis allé lui chercher une autre part de gâteau et l’ai baptisé Timmi, un nom de chien policier berlinois. Timmi a dévoré le second morceau puis s’est immobilisé un instant, le corps de profil, la tête tournée vers la droite. C’est là que j’ai fait le lien avec le tableau – et sur la toile, plus de chien. Le vent y agitait toujours les herbes avec délicatesse et je me suis demandé si l’homme n’avait pas légèrement levé son visage, sans doute en quête de l’animal. 
Timmi a regardé ostensiblement l’assiette vide, j’ai caressé son crâne plat et doux ; la bête s’est enfuie et, d’un bond leste, a franchi le cadre du tableau pour retourner batifoler dans sa prairie. La paume de ma main s’était teinte de roux et dégageait une forte odeur de térébenthine. Un spectateur extérieur aurait pu trouver la situation extraordinaire, pourtant je demeurais aussi calme que si la chose avait été commune. À ma décharge, je n’avais auparavant jamais eu de chien. 
Plus tard, un souffle chaud s’est posé sur mon cou. J’avais les yeux clos mais, même ainsi, je devinais qu’il ne s’agissait pas de Timmi. D’ailleurs, si l’odeur de térébenthine était toujours présente, elle se mêlait à un arôme de fruit mûr, un peu entêtant. J’ai soulevé les paupières, la femme était penchée sur moi, ses cheveux avaient le même coloris que le pelage de Timmi mais c’était surtout sa robe bleue qui m’hypnotisait. Non pour sa teinte de feuillage extra-terrestre, mais pour les formes généreuses qu’elle moulait. J’ai posé ma main sur sa hanche en cherchant désespérément un nom pour la baptiser. J’hésitais entre Gudrun et Inge quand je me suis aperçu qu’au roux de ma paume s’ajoutait du cobalt, les deux nuances jurant d’ailleurs affreusement. Lisant sans doute mes pensées, Gudrun-Inge a ôté son vêtement, acte on ne peut plus encourageant, d’autant plus que la teinte de sa carnation donnait à la mienne, en s’y appliquant, un léger hâle. L’odeur de térébenthine me montait à la tête et j’avais perdu, je l’avoue, tout sens des réalités. 
Mais j’y ai été ramené par un aboiement bref. J’ai d’abord cru que Timmi, tel un voyeur canin, nous observait depuis le cadre du tableau mais j’ai vite compris son avertissement. L’homme n’était plus assis devant sa porte ; Gudrun s’en est également aperçue et Inge a récupéré sa robe. Sur mon canapé beige, à présent ruiné, s’étalait la trace bleuâtre et abstraite laissée par la robe. La femme s’est dirigée vers la toile et moi vers la cuisine ; je l’ai rattrapée à temps et lui ai confié une part de gâteau pour Timmi, notre ange gardien. Ce fut un moment d’intense émotion, puis elle a rejoint son support rectangulaire, fêtée par un Timmi sautillant. J’observais la scène en me demandant si Gudrun ou Inge n’auraient pas également aimé une part de fondant, tandis que ma peau commençait à me démanger furieusement – sans doute une allergie à la térébenthine. 
Uniquement vêtu de cette irritante teinte carnation, je m’apprêtais à décrocher le tableau avant que n’en sorte le mari bafoué quand j’ai senti entre mes omoplates un souffle tendu.

Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
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