Écritures, billets, nouvelles, contes, brachygrammes, poésies, prosoésies, ludilemmes, romans...

Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

mercredi 3 juillet 2013

Chat noir, chien blanc (JPH n°162)

Jeu littéraire du forum A vos plumes : écrire un texte sur le thème "un conte sous le baobab". 

Beaucoup aiment s’étendre à l’ombre des arbres, l’herbe y est toujours fraîche et le ciel se découpe dans le labyrinthe des branches. Aiment s’étendre à l’ombre des feuilles, ce qui est tout à fait impossible sous un baobab. Le feuillage culmine à trente mètres de haut et ne perdure qu’un trimestre par an, un misérable trimestre. 
Et puis, les chacals ne sont pas des chiens. 
Et les lions, pas des chats. 
Tout le monde sait d’ailleurs que les chiens ne font pas des chats. Que dire alors des chacals et des lions ? 
Le baobab n’a en réalité que deux fonctions : fournir son eau aux éléphants, fournir ses palabres aux hommes. Car le baobab leur parle ou, du moins, parle à ceux qui veulent bien l’écouter, hommes et pachydermes confondus. 
Il y a aussi ce missionnaire venu ramener les brebis égarées on ne sait où (on ne savait même pas qu’il y avait des brebis dans ce coin). L’homme est vêtu de sa soutane, toute parcheminée de poussière africaine. On dirait que son vêtement est recouvert des cartes du monde entier, comme un atlas mobile, mais en noir et blanc. Noir et blanc, c’est tout le missionnaire. Il est blanc. Ils sont noirs. Mais pas pour les vêtements car lui est en noir et eux portent des pagnes clairs. 
Eux veulent des palabres. 
Lui veut des prières. 
C’est là que le bât blesse – surtout s’il n’y a pas de couffin sur le dos des buffles. Mais lui n’a jamais chargé quoi que ce soit sur un animal, sauf peut-être l’anathème sur les chiens qui se comportent comme des chiens, particulièrement avec les chiennes. Quant aux chats, directement au bûcher ! Surtout s’ils sont noirs ! Et noirs ils sont, ici et partout. Sauf le petit pagne clair qui ceint leurs reins, mais uniquement leurs reins. Les femmes montrent leur poitrine, avec ostentation. 
Alors il cache ses yeux de sa main blanche, ses yeux noirs de colère. Les chiens, les chats, tout se mélange. Et encore, il n’a jamais rencontré de lion, ni croisé les flancs d’un chacal. Le noir est foncé (comme le chat), le blanc est clair (comme le pagne). C’est le b.a.ba. 
Le b.a.ba de la savane, c’est bien le baobab. L’homme en soutane lève la tête vers sa cime, il finira certainement par attraper un torticolis. 
Il observe les branches si haut perchées qu’on ne peut en saisir l’ombre. Dommage car il fait chaud – mais quelle idée de s’habiller en noir par une telle température ! 
Il admire le tronc, il ne le quitte pas des yeux. Il ne voit que l’écorce ; il n’y a plus de seins nus, plus de chiens, plus de chats. Au fur et à mesure que le soleil se déplace, il se déplace avec lui pour rester dans l’ombre du tronc. Il trace sur le sol une ellipse de pas, le sable s’est depuis longtemps introduit dans ses sandales, et dans le reste, petit grain dans les rouages. 
On croit qu’il comprendra la nature du baobab et, peut-être, celle de la nature elle-même, ce qui serait un miracle. Il y en a tous les jours paraît-il. Mais apparemment pas le vendredi. Car nous sommes vendredi, le jour de la vie sauvage. Le jour des palabres. 
 Il finit par ouvrir la bouche malgré ses lèvres sèches. Bahobab est fructus magnitudine mali citri cucurbitae similis, intus semina nigra, dura, extremis in unum semiarcum quasi inclinantibus, annonce-t-il avec certitude. 
Ce qui laisse rêveur.

Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
Accueil

Retour à l'haut de page