Écritures, billets, nouvelles, contes, brachygrammes, poésies, prosoésies, ludilemmes, romans...

Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

vendredi 18 décembre 2009

À seule faim

Sursauts, rebonds, et empreintes. Gibier agile en détalant forme trace, croupe bondissante, arrière-train véloce.
Et ces pas en ricochets perdurent, la neige étale trahit tout mouvement, participe à ma traque. Les éléments, comme moi, s’arment d’ardeurs toutes cynégétiques. Le vent même, en allié carnassier, apporte à mes naseaux l’arôme de chair terrifiée – la viande et l’effroi sont deux délices qu’il convient de ne jamais séparer. Un tremblement convulsif me secoue la colonne, mes omoplates tressautent à leur tour, mes cuisses reçoivent une décharge électrique : proie est en vue !
Plus impératives que toute raison, des gouttelettes de bave perlent à mes babines et mon souffle se saccade, des râles de désir vorace calent leurs rythmes sur celui de ma course ; la neige en cédant sous mes pattes produit un craquement faible et délicat. Le festin peine à s’échapper – plus il s’enfuit, plus il est proche : pauvre fin, inéluctable.
Le sang se répand, forme une arabesque presque japonaise sur l’immaculé d’albâtre. Mes yeux jaunes se plissent.

lundi 14 décembre 2009

Savinienne sombre dans l'oubli - 11

Savinienne évoque quelques souvenirs, sourit à une image pourtant floue. Le temps s’étire à l’infini, puis se tait, sans substance. Elle se raccroche à un cliché d’enfance, à son mariage peut-être.
Savinienne se trouble qui, soudain, ne se souvient plus du nom de feu son époux. Ses yeux se figent, une peur diffuse l’envahit – tremblement.
Et de murmurer : « J’ai oublié le nom de mon mari ! Pourtant, j’ai reçu le nouveau ce matin… »

vendredi 11 décembre 2009

Indépendance ou le vide plein

Billet écrit après la lecture de l’opuscule d’Eigil Knuth, « Indépendance, ou la philosophie du voyage en traîneau » (ouvrage quadrilingue en français, groenlandais, inuktitut et russe, agrémenté de nombreux dessins de l’auteur).

Pour paraphraser Indépendance, peut-être eut-il fallu que la feuille restât blanche, entièrement, immaculée même. Car c’est de cela qu’il s’agit, un désert de neige, une étendue sans limite, que ce soit de géographie ou d’esprit.
Au fur et à mesure que les pages de cet opuscule se feuillettent, les édifices nivéens prennent forme, se sculptent de silhouettes multiples – fantômes protéiformes qui hantent ce néant ; le vide se pare de plein. Le traîneau file, traverse la page, se fraie un chemin entre les caractères, atomes noirs et labiles qui épousent sa trajectoire. Le temps n’a pas de prise qui s’étire amoureusement, oublieux même de la nuit, éternelle aube.
La liberté enfin s’impose, aveuglante, statuesque dans son immensité mais sans cesse changeante comme chaque horizon, chaque détour de montagne.
Le texte de cet étrange ouvrage s’égrène en français, groenlandais, inuktitut et russe. Peu importe notre capacité à déchiffrer ces langues millénaires ou à traduire ces signes kabbalistiques, la magie opère, le mystère de la traversée de l’inlandsis s’épaissit encore sous ces alphabets sibyllins. Leur lecture reste énigmatique, à l’instar de ce monde glaciaire où la chaleur brûle le cœur de l’homme et ravive son cerveau.
Imaginons : alors que les triangles, les courbes sinueuses et les diacritiques minuscules de l’inuktitut apparaissent, un doigt avide de retrouver les sensations de l’auteur glisse sur les phrases incompréhensibles. Par un phénomène d’empathie, l’encre se dissout sous la pulpe, des lignes sombres naissent et s’étirent comme les coupures des traîneaux, les ornières peu à peu disparaissent, se font vestiges. Encore un effort et la page devient à son tour inaltérée, quelques manipulations supplémentaires et le livre en son entier recouvre sa virginité.
Ne serait-ce pas un sublime hommage à Eigil Knuth que de lui rendre son ouvrage ainsi purifié, ayant nous-mêmes inclus sa substance dans notre chair, vide de toute empreinte humaine, prêt pour de nouvelles explorations et – souhaitons-le – pour les mêmes extases, les mêmes découvertes mystiques.

dimanche 6 décembre 2009

Naqquq ou comment la fille de la femme-phoque conjugua sa nature duelle

« Et ce bouton, il sert à quoi ? » se demanda Naqquq tout en le manipulant. Elle agitait également le loquet et, soit que la conjonction des deux fût appropriée, soit que le divin Ægir l’ait assistée, elle entendit un déclic discret et le couvercle du coffre s’ouvrit.
L’armure de bois révéla une étoffe étrange, à la texture duveteuse, d’une teinte changeante, grise et mordorée. Naqquq la souleva délicatement, le semblant de tissu se déplia, sa forme évoquait une silhouette marine.
« La peau de la femme-phoque ! » s’émerveilla la jeune femme. « Ainsi, Père, à l’aube de sa mort, ne m’a point menti ; Mère serait une femme-phoque comme celles que la légende traqua de contes en gravures. »
Elle se vêtit de la peau ; celle-ci était douce et chaude, aussi chaleureuse que les caresses, aussi tendre que les étreintes maternelles. Dans ce souvenir lointain se mêlèrent à la mélancolie les sanglots du deuil ainsi qu’une rage contre l’avanie de l’oubli qui faisait de sa mère un ectoplasme voilé par les années.
Aussi, si matutinale que fût l’heure, Naqquq sortit dans l’encore pénombre et erra dans le village enneigé ; les larmes perlaient de ses yeux et gelaient sur ses joues, formant des concrétions désespérées que ni leur amertume ni leur salinité ne dissipaient. Naqquq contourna la butte des ours, là où la dernière maison semble pointer vers le vide nivéen. Elle poursuivit jusqu’aux abords de l’océan, un pâle ensoleillement colorait l’horizon, les vagues se jetaient avec furie vers le rivage, l’eau s’éclatait sur les rochers torturés, l’écume peignait le visage de Naqquq et glissait sur la peau de phoque sans y laisser aucun signe.
« Mère-morte-humaine, loin de ta fourrure pinnipède, comment te rendre ton intégrité ? » gémit Naqquq avec grandiloquence. Elle songea à sa propre nature hybride, elle dont la genèse avait pris forme au sein d’élément aussi antagoniste que l’eau et la terre. Ses pleurs, toujours démultipliés, gonflaient à eux seuls les flots, les lames s’accusèrent, le soleil toujours bas en cette saison nuait d’un à peine jaune le noir des abysses, sans pouvoir le pénétrer pourtant. Le duel entre l’eau sombre et le ciel cireux produisait des reflets bigarrés – l’onde se paraît d’une nitescence surnaturelle, propre à frapper de stupeur marins ou simples mortels.
Cependant, Naqquq, peut-être empreinte de sa nature duelle d’humaine et d’animal, était subjuguée par cette lueur, la couleur même de ses yeux varia jusqu’à en adopter la teinte. La jeune femme se fondait dans l’élément liquide, s’identifiait littéralement au fantôme maternel ; elle se serra plus étroitement encore dans la peau et les pores de son épiderme épousèrent l’intérieur de cuir. Les mains de sa mère caressèrent ses bras, les nageoires effleurèrent son dos – frôlement mythique, reddition filiale.
Le tumulte de l’eau s’agitait à ses pieds, frénétique, et le corps de Naqquq frémissait dans son entier, en symbiose parfaite avec la fourrure de sa mère. L’enveloppe reprenait vie. Naqquq respirait les embruns, le goût du sel palpitait sur sa langue, enivrant comme un nectar, hypnotique comme une drogue. Elle fut agitée de soubresauts qui n’avaient plus rien d’humain, puis d’ondulations, sa gueule s’ouvrit dans un cri rauque, presque obscène ; Naqquq plongea. L’océan l’accueillit, la peau reprenait son ordinaire natatoire et Naqquq plongeait parmi les rouleaux, évitait les écueils côtiers, se jouait des courants.
Naqquq jubilait, ses poumons se gonflaient d’iode et d’exhalaisons salines, ses moustaches comptabilisaient chaque goutte d’eau, fût-elle noyée au milieu des autres. Jamais Naqquq n’aurait imaginé cette osmose sans réserve, ce paradis aussi insaisissable que fluide, elle s’étonna même que la taxonomie eût désigné la femme et le phoque de deux noms différents. Elle aperçut sur sa droite quelques remous, ses congénères venaient à sa rencontre, ses mouvements s’accélérèrent dans leur direction, elle exultait.
Les flots se déchirèrent ; l’orque n’en fit qu’une bouchée.

mardi 1 décembre 2009

Petit papa perdu au plus profond

Allitérations en P sur le thème de Noël...

Plat principal : pintade appétissante et purée précieuse de potimarron au parmesan ; plus pléthore de Pouilly pour la pépie de Papy. En plus de l’apéritif, pardi !
Papa picore le pâté et, petit polisson, papouille les appâts de Perle. Perle, pas pimbêche, se penche plus près, pérore un peu pour le principe et plonge ses paumes sous le pull de Papa à la pointe du plaisir. La réception, en plein apparat, permet des privautés et les parures du sapin répètent les postures des protagonistes, peu ou prou. De pâles suspensions prêtent leurs poudroiements imprécis aux impudeurs du repas.
Le Père Pie pousse un psaume, puis s’époumone en poèmes passionnés, prêchant l’opprobre contre les pêcheurs, puis appelle à la pénitence. Pamela s’approche et lui pelote le paquet, le psautier du père s’aplati par terre et sa pruderie périclite. Pamela, professionnelle du patin, le pousse vers une pièce proche et prolonge la première provocation, sans réprobation du prêtre.
Papy s’approche de Pénélope, perverse et pulpeuse, et lui pince la pointe du pistil, puis plus encore. Ses prunelles pétillent, ses papilles postillonnent, ses poils opalins de Père Noël paillard passent près de la poitrine ; il pose sa pipe et pratique un placage pas pusillanime pour un kopeck. Son paletot purpurin est déposé, son pantalon peu après, le petit pinson pointe et pépie, primesautier.
Quel plaisir de passer ce pieux souper à La Poule tapineuse, auprès de personnes publiques et pas prudes, plus portées sur les parties de peau que la prière !

Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
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