Écritures, billets, nouvelles, contes, brachygrammes, poésies, prosoésies, ludilemmes, romans...

Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

mardi 3 février 2009

Ada (roman - extrait 1)

Ada ou la relation d'un père et de sa fille ; une relation extrême, empreinte de souvenirs et d'une enfance déjà perdue, douloureusement. Cet extrait, bien que premier d'une série, n'apparaît qu'au deuxième chapitre du roman.

Ada, tu as six ans. Au détour de nos lectures, je recherche activement les comptines les plus farfelues, celles qui par leur rythme, leur mélopée, leur sens obscur pour ton esprit enfantin, font naître en toi les rires cristallins qui me transpercent.

Il fait doux, le jardin est parsemé de tes jeux, les insectes bourdonnent et nous contournent. Je suis assis en tailleur sur l’herbe, tu es alanguie dans mon giron, frêle et tiède. J’ouvre devant nous le livre de poésie, les lettres s’envolent, les mots s’entrechoquent pour notre plaisir, tu m’écoutes religieusement, filialement. Tu m’interromps également, tu reprends en écho les rimes et les répétitions, tu manipules les noms, tu tronques les adjectifs, tu mortifies les verbes.

Ton attention s’arrête sur un texte bref, que je relis, encore, et encore. Je le cite de mémoire :

Voici le portrait de la reine Guenièvre :

Elle avait, sur la joue, une mouche

Et un voile devant la bouche

Car elle avait un bec de lièvre.

Évidemment, tu imagines la mouche comme celles qui vrombissent à nos oreilles et tu te moques du lapin doté d’un bec d’oiseau. Et moi, hypnotisé par ta tendre naïveté, je divague avec toi sur les insectes étranges qui déambulent sur nos joues et nichent dans nos cheveux, je mime le lièvre picorant des graines et s’envolant au firmament.

Nous rions ensemble, nous partageons ensemble, nous effleurons le paradis et l’éternité.

Tu parodies la reine dont le nom te paraît si saugrenu, tu singes ses formes animales, tu imites son voile en relevant sur ta bouche le bas de ton maillot, ton ventre apparent s’agite sous les soubresauts du rire, tu es toute vie.

Parce que le soleil décroît, nous quittons le jardin. Même à l’intérieur, tout entre tes doigts devient jeux, imaginaire. De tes crayons, tu traces la silhouette du lièvre à bec, tu le dotes d’oreilles démesurées qui effleurent le soleil. Tu t’appliques à rendre ses yeux que tu inventes chatoyants, brillants de multicolore. Tu dessines un corps droit et sans pattes, informe ; entre tes mains, Guenièvre devient un totem lagomorphe dont le bec étiré semble vouloir avaler le monde, sans pitié.

Autour de cette figure mythique volette la mouche, réduite à une tache ailée, noire et vibrante. De chaque côté, tu nous représentes, minuscules, insignifiants.

Au moment du coucher, tu colles cette déité primordiale au-dessus de ton lit, tu admires ta création et, bien sûr, je m’extasie, sincèrement.

Tu confies ta nuit au grand lièvre à bec, comme une amulette d’un autre temps. D’ailleurs, ce bec carnassier paraît apte à dévorer les cauchemars ; gare aux fantômes qui souhaiteraient hanter ton sommeil ! Le totem n’en ferait qu’une bouchée !

1 Comment:

Anonyme said...

Quel joli texte. Il m'a touchée et je le trouve particulièrement bien écrit. Je suis même admirative.

Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
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