Écritures, billets, nouvelles, contes, brachygrammes, poésies, prosoésies, ludilemmes, romans...

Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

mercredi 31 août 2011

Une chance au tirage (JPH n°116c)

Jeu du forum À vos plumes : écrire un texte dont la première phrase est imposée.

« Désolée, mais je crois que vous vous êtes trompé de numéro ! » jeta la demoiselle, regardant d’un air pincé le carton que je tenais à la main. Je remballai donc mon sourire et mon 6 ridicule. Et comme pour prouver mon outrecuidance, elle retourna négligemment sa propre cartoline, transformant son 6 en 9. Il n’y a rien de plus avilissant que ces soirées pour célibataires auxquelles des amis bien intentionnés vous convient avec l’intention affichée de vous caser. À l’entrée, on vous distribue un numéro, vous avez toute la nuit pour retrouver le porteur (ou la porteuse) du même nombre, celui-ci (ou celle-ci) étant censé(e) être à votre goût. Quant à moi, j’errais parmi la foule compacte à la recherche d’une hypothétique âme-sœur. Près du buffet, j’aperçus un barbu ventripotent comme moi porteur du n°6 ; j’eus un instant de frayeur avant de comprendre que ledit numéro, à coup sûr renversé, était destiné à la demoiselle elle-même retournée, une sorte de petite vengeance.
Enfin, après d’âpres explorations, je mis enfin la main – littéralement – sur mon propre n°6, une alléchante brunette, dodue mais terriblement gironde et, chance supplémentaire, peu farouche. Nous échangeâmes quelques propos décousus, nous bûmes un ou deux verres et nous retrouvâmes l’un sur l’autre dans le vestiaire, faute d’endroit plus approprié. Je me demandais même pourquoi l’organisateur de ces rendez-vous n’avait pas mis également quelques chambres à disposition. Cela dit, nous étions affalés sur une pile de manteaux, ce qui ne manquait ni de confort, ni de sel. Si n°6 était hospitalière, elle était également d’une discrétion frisant le mutisme : je ne sus pas même son nom (je ne gardais que son carton numéroté qu’elle avait abandonné sur le sol, à côté des manteaux froissés par nos ébats) et, notre affaire faite, elle disparut sans un mot.
Mais pas sans souvenir ! Quelques jours plus tard, je ressentis des démangeaisons, d’abord diffuses, au niveau de mes œuvres vives. Les picotements légers s’intensifièrent jusqu’à devenir insupportables, je me tordais de douleur, j’avais des pics de température mais, pire que cela, toute miction m’était devenue impossible. Ma vessie menaçait d’exploser – c’était du moins mon ressenti – et je me rendis en titubant aux urgences de l’hôpital. Au lieu de s’apitoyer sur ma souffrance, le personnel de garde me demanda seulement ma carte vitale et, lorsque j’ouvris mon portefeuille pour l’en sortir, le carton portant le vénéneux n°6 s’échappa avec ironie. Après une interminable attente, je me retrouvai dans une position humiliante, tandis qu’un urologue (du moins j’espérais que c’en fût un) m’examinait avec bonhomie. Ma vessie formant globe, il m’annonça sans préambule la pose d’une sonde urinaire pour me soulager dans un premier temps – le traitement viendrait ensuite. Mais je ne fus pas tant mortifié – d’aucuns apprécieront l’humour grinçant de la situation – que lorsqu’il demanda à l’infirmière : « Pouvez-vous me passer la sonde n°6, s’il-vous-plaît ? »
Je fermais les yeux, tentant d’oublier les soignants scrutant mon intimité et les gestes qu’ils s’apprêtaient à effectuer. Au propre comme au figuré, j’avais vraiment tiré le mauvais numéro.

Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
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