Écritures, billets, nouvelles, contes, brachygrammes, poésies, prosoésies, ludilemmes, romans...

Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

lundi 3 janvier 2011

Porte étroite (JPH n°101)

Jeu d'écriture du forum À vos plumes. Sujet : écrire un texte racontant l'histoire de deux personnes qui, au début, se détestent et finissent par s'apprécier ou s'aimer. Inclure également au moins trois phrases non verbales.

Avant même qu’elle ne naisse, je l’ai haïe. Je la sentais s’affairer dans mon ventre, se jouer de ma chair, gonfler mon corps parfait de son excroissance. Elle martyrisait mes hormones, exacerbait ma libido alors même que son père avait décampé. Et je me serais enfuie également si j’avais pu ; mais comment échapper à ce qui vous ronge de l’intérieur, littéralement ? Impossible ! J’étais ma geôlière. Une prisonnière de ses propres cellules, comme des traîtresses.
Au fil des mois, j’ai souffert physiquement. Maudit utérus ! Tu m’as tiraillée de toutes les façons possibles, tu m’as enfoncé des aiguilles un peu partout, là où ma protubérance croissait inexorablement.

Et tu es née. Et ce fut pire ! Post partum, animal triste pourrait dire la maxime. Si j’avais été une bête, je t’aurais dévorée. Mais ton expulsion m’a laissée exsangue, sans même l’énergie nécessaire, j’étais une enveloppe creuse où résonnait l’écho du vide que j’expérimentais à te voir. J’ai passé des heures à te contempler, tentant de trouver dans tes mains minuscules une prise à mon rôle, j’ai reniflé ta peau pour essayer d’y découvrir l’odeur de l’amour. En vain, tout cela en vain. Je t’ai portée à mon sein et le contact de tes lèvres, cette vie séparée, m’a dégoûtée – je t’ai donné un biberon. Cet artefact aussi impersonnel que notre relation.
J’ai supporté tes pleurs avec le stoïcisme dû à mon abattement. Puis je les ai écoutés avec attention mais, dans ces braillements, je n’ai trouvé nulle trace de ta filiation. Et lorsque tes cris devenaient trop aigus, seule ma sensation de rien m’a empêché de t’étouffer avec mon oreiller.

Je me suis éveillée un matin, le soleil frappait doucement ton crâne presque chauve, tu semblais si frêle, si fragile que j’en ai été émue. Oh, brièvement, si brièvement ! Mais la faille était là, entre mon indifférence et mon incapacité s’est glissée une lueur, l’espace d’un instant. Puis, tu as émis des bruits étranges et le charme s’est rompu. Je t’ai changée, je t’ai nourrie, à nouveau comme un robot.
Lorsque j’ai enfin pu te regarder dans les yeux, je n’ai pas su si tu me voyais. Il me semblait que tes iris étaient flous, et les miens fous. Je me sentais dépossédée de tout, de moi-même. Puis j’ai osé effleurer ta joue, rapidement, je craignais une brûlure. J’ai osé effleurer ta joue et tu as souri, un sourire à peine esquissé mais que je n’ai pu nier m’être destiné. Et j’ai pensé que j’avais une fille, j’avais une fille, j’avais une fille. Et moi, étais-je une mère ? Pourtant il était trop tard, tu étais là, et nous nous étions – si peu et si imparfaitement – reconnues. Mais néanmoins reconnues. Une porte désormais entrouverte.

Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
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