tag:blogger.com,1999:blog-49234643606494507132024-03-14T00:23:01.080+01:00Lal Behi > lalbehyrinthesUnknownnoreply@blogger.comBlogger164125tag:blogger.com,1999:blog-4923464360649450713.post-31214712164080768292016-10-09T18:49:00.000+02:002016-10-09T18:49:06.773+02:00Lalbehyrinthes est mort, vive Łálßєħўrιnтђeș !<div class="MsoNormal" style="text-align: justify; text-justify: inter-ideograph;">
<span style="font-family: "Times New Roman","serif"; font-size:"155%"; line-height: 115%; mso-bidi-font-weight: bold; mso-fareast-font-family: "Times New Roman"; mso-font-kerning: 18.0pt; mso-no-proof: no;"></span></div>
<span style="font-size: x-large;"><span style="font-family: "Times New Roman","serif"; line-height: 115%;">Je
cesse aujourd’hui d’alimenter ce blog de toute façon déserté depuis deux ans. D’autres
textes s(er)ont à suivre sur <a href="https://lalbehyrinthes.blogspot.fr/">Łálßєħўrιnтђeș</a> - successeur moins rouge que son
devancier. </span></span>Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4923464360649450713.post-82932124019764832422016-09-20T10:28:00.000+02:002016-09-21T12:27:29.097+02:00Augural et mutin<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif;"> Je suis devant le miroir ; Luka m'a quittée. Mes cheveux, c’est ce qu’il préférait chez moi, des cheveux longs, très longs, d’un noir de jais. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif;"> Je n’ai jamais été ce qu’on appelle une belle femme, j’ai la mâchoire trop carrée, le corps un peu gauche. Mais j’avais ces cheveux-là que Luka refusait de me voir attacher. Il les désirait, volant autour de moi, comme un éventail sombre, un fouet les jours de vent. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif;"> Évidemment, je suis allée chez la coiffeuse. Comment, devant chaque miroir, imaginer Luka caressant mes cheveux ? Quand je me suis assise sur le fauteuil et qu’elle m'a demandé quelle coupe je désirais, j’ai éclaté en sanglots. La pauvre fille est restée pétrifiée : j’aurais dû comprendre que j’avais affaire à une empotée. Entre deux crises de larmes et autant de reniflements, j’ai bredouillé un <i>carré court</i> inintelligible que la pauvre fille a pris pour un <i>carrément court</i>. Moralité : j'ai quitté le salon démoralisée avec une coupe à la garçonne minimale. Je voulais me défaire de Luka, mais pas à ce point. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif;"> C’est ce visage marqué par les pleurs, ce visage défiguré de cheveux que reflète mon miroir. À moins que ce ne soit celui de ma rage amère contre Luka. Je n’ai jamais été un parangon de féminité mais, au lieu de la souligner, cette coupe en a gommé toute trace de mes traits. La boulangère ne s’en est pas trompée qui m'a accueillie tout à l'heure avec un « Et pour Monsieur, ce sera ? ». Elle n’a pas été plus ébranlée dans sa certitude quand elle a entendu ma voix. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif;"> La boulangère a sans doute passé le mot au miroir. Celui-ci s’obstine à me renvoyer le visage d’un jeune homme. Un jeune homme d'ailleurs plutôt bien fait de sa personne et à l’humeur accommodante. Lorsque je regarde vers la droite (ou la gauche), il se tourne dans la même direction et m’adresse de surcroît un léger sourire. Je suis sûre d’avoir entraperçu un clin d’œil. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif;"> J’ai pris une chemise de Luka, une chemise qu'il a abandonnée avec moi, ou peut-être l’une de celles que j’ai cachées pour qu’il ne les reprenne pas. Une chemise un peu cintrée qui mettait son buste fin et sa musculature déliée en valeur. Je l’enfile, le contact du tissu qu’il a porté est troublant ; je me bats un moment avec le boutonnage inversé et j’interroge le miroir. Pour un peu, je serais charmée par mon reflet. N’est la poitrine qui gâche toute masculinité et jure terriblement avec ce visage structuré. J’ôte la chemise et bande mes seins, les entourant encore et encore de Velpeau, aussi serrée que possible. C’est douloureux mais, le vêtement remis, l’illusion est parfaite. Je n’avais jamais particulièrement aimé mon corps ; j’en ai un nouveau, augural et mutin, comme dirait Ričardas Gavelis. Un corps et une prestance annonciateurs de plaisirs. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif;"> J’observe mon visage, sa mâchoire volontaire, sa coupe si virilement désinvolte. Je me demande de quoi il aurait l’air avec une ombre de moustache ou, pourquoi pas, des favoris, même s’il s’agit d’attributs d’une autre époque. Je suis résolue à essayer de nouvelles excentricités pilaires. J’hésite à rajouter une cravate mais, après bien des atermoiements (atermoiements que j’ignorais que les hommes pussent avoir), j’opte pour plus de décontraction, défait le premier bouton de la chemise, la laissant à peine entrouverte. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif;"> Je suis désormais prête à oublier Luka. En face de moi, l’homme soulève un sourcil et esquisse un sourire canaille. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: "times" , "times new roman" , serif;"> Je n’ai jamais été aussi beau.
</span></span></div>
Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4923464360649450713.post-58034599718260490672014-08-23T21:14:00.000+02:002014-08-23T21:14:10.497+02:00Figuration libre<div style="text-align: justify;">
<a href="http://1.bp.blogspot.com/-IVf5AYMMVZQ/U_jmwxiyowI/AAAAAAAAAMg/R-eNUR7mV3s/s1600/Cape%2BCod%2BEvening-1.jpg" imageanchor="1"><img border="0" src="http://1.bp.blogspot.com/-IVf5AYMMVZQ/U_jmwxiyowI/AAAAAAAAAMg/R-eNUR7mV3s/s320/Cape%2BCod%2BEvening-1.jpg" /></a>
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">J</span>’avais accroché le tableau au mur et je n’ai retrouvé, sur la table basse, que les miettes de mon gâteau au chocolat. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">P</span>uis je me suis assoupi sur le canapé et j’ai entendu un souffle rapide, puis un halètement chaud. Il léchait consciencieusement les rares miettes oubliées, a levé vers moi des yeux amicaux. Je ne connais rien aux races de chien mais son pelage roux et blanc était du plus bel effet. Je suis allé lui chercher une autre part de gâteau et l’ai baptisé Timmi, un nom de chien policier berlinois. Timmi a dévoré le second morceau puis s’est immobilisé un instant, le corps de profil, la tête tournée vers la droite. C’est là que j’ai fait le lien avec le tableau – et sur la toile, plus de chien. Le vent y agitait toujours les herbes avec délicatesse et je me suis demandé si l’homme n’avait pas légèrement levé son visage, sans doute en quête de l’animal. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">T</span>immi a regardé ostensiblement l’assiette vide, j’ai caressé son crâne plat et doux ; la bête s’est enfuie et, d’un bond leste, a franchi le cadre du tableau pour retourner batifoler dans sa prairie. La paume de ma main s’était teinte de roux et dégageait une forte odeur de térébenthine. Un spectateur extérieur aurait pu trouver la situation extraordinaire, pourtant je demeurais aussi calme que si la chose avait été commune. À ma décharge, je n’avais auparavant jamais eu de chien. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">P</span>lus tard, un souffle chaud s’est posé sur mon cou. J’avais les yeux clos mais, même ainsi, je devinais qu’il ne s’agissait pas de Timmi. D’ailleurs, si l’odeur de térébenthine était toujours présente, elle se mêlait à un arôme de fruit mûr, un peu entêtant. J’ai soulevé les paupières, la femme était penchée sur moi, ses cheveux avaient le même coloris que le pelage de Timmi mais c’était surtout sa robe bleue qui m’hypnotisait. Non pour sa teinte de feuillage extra-terrestre, mais pour les formes généreuses qu’elle moulait. J’ai posé ma main sur sa hanche en cherchant désespérément un nom pour la baptiser. J’hésitais entre Gudrun et Inge quand je me suis aperçu qu’au roux de ma paume s’ajoutait du cobalt, les deux nuances jurant d’ailleurs affreusement. Lisant sans doute mes pensées, Gudrun-Inge a ôté son vêtement, acte on ne peut plus encourageant, d’autant plus que la teinte de sa carnation donnait à la mienne, en s’y appliquant, un léger hâle. L’odeur de térébenthine me montait à la tête et j’avais perdu, je l’avoue, tout sens des réalités. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">M</span>ais j’y ai été ramené par un aboiement bref. J’ai d’abord cru que Timmi, tel un voyeur canin, nous observait depuis le cadre du tableau mais j’ai vite compris son avertissement. L’homme n’était plus assis devant sa porte ; Gudrun s’en est également aperçue et Inge a récupéré sa robe. Sur mon canapé beige, à présent ruiné, s’étalait la trace bleuâtre et abstraite laissée par la robe. La femme s’est dirigée vers la toile et moi vers la cuisine ; je l’ai rattrapée à temps et lui ai confié une part de gâteau pour Timmi, notre ange gardien. Ce fut un moment d’intense émotion, puis elle a rejoint son support rectangulaire, fêtée par un Timmi sautillant. J’observais la scène en me demandant si Gudrun ou Inge n’auraient pas également aimé une part de fondant, tandis que ma peau commençait à me démanger furieusement – sans doute une allergie à la térébenthine. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">U</span>niquement vêtu de cette irritante teinte carnation, je m’apprêtais à décrocher le tableau avant que n’en sorte le mari bafoué quand j’ai senti entre mes omoplates un souffle tendu.
</span></span></div>
Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4923464360649450713.post-6191584186829765612014-07-07T21:24:00.000+02:002014-07-07T21:24:26.302+02:00Alma mater<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">C</span>hacun son père Fouettard. À ma cousine qui habitait les Alpes, ma tante racontait que l’Ours-Montagne viendrait la corriger si elle ne se comportait pas correctement. Évidemment, personne ne croyait vraiment en la bestiole en question, mais ma cousine elle-même avait une fois vu une empreinte qui aurait bien pu appartenir à un ours lourd comme une montagne… </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">Q</span>uant à moi, j’habitais une petite rue perpendiculaire à celle d’Alésia. Ici point de mammifères plantigrades ; les légendes s’adaptent à leur environnement. Enfant, ma mère prévenait mon exubérance en me menaçant des mâchoires d’un immense crocodile qui aurait hanté les égouts parisiens. À ses dires, l’animal était bien nourri, avalant sans discernement rats, égoutiers et enfants dissipés. La bête rodait dans les rues, se faufilait par les bouches d’égout. Ledit crocodile avait établi son quartier général vers le Pont de l’Alma, lieu qui me semblait trop loin de l’appartement pour représenter quelque danger. Ma mère, toujours pleine d’à-propos, me fit remarquer, plan de Paris à l’appui, qu’une ligne droite reliait l’Alma et notre domicile, via la gare Montparnasse. Pour un peu, le crocodile n’aurait eu qu’à prendre le métro. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">E</span>n dernière année de primaire, l’institutrice organisa une visite éducative… aux égouts de Paris – entrée sise près du pont de l’Alma. J’en descendis donc les innombrables marches avec circonspection, ayant pris soin de ne pas être le premier de la file indienne, au cas où l’ennemi serait tapi, prêt à bondir gueule ouverte sur le chérubin de tête. À mon soulagement mêlé de suspicion, l’animal ne se montra pas – pour tout dire, je ne vis pas même un rat. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">P</span>lus tard, je pris plus amples renseignements : un crocodile ne pouvait tout simplement pas vivre dans les égouts, le délicat reptile avait besoin d’une eau de meilleure qualité. Bref, je découvris la notion d’écosystème – et la déception. On m’aurait menti, ma mère aurait cru à des fariboles, contes à dormir debout qu’elle m’aurait transmis. Ignorance ou duplicité de sa part ? Impossible de le dire mais je ne pouvais accepter ni l’une, ni l’autre. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">M</span>ais mes doutes sur l’honnêteté (ou la naïveté) maternelle disparurent un beau jour. La une des quotidiens l’annonça : « Le cadavre d’un SDF retrouvé à moitié dévoré place de l’Alma ! ». La nouvelle fut reprise au journal télévisé, on fit l’inventaire des animaux sauvages qui auraient pu s’échapper de zoos ou cirques, en vain. Quelques zoologues spéculèrent sur la nature de l’animal assassin, la photo du corps mutilé fit le tour d’internet, les commentaires allaient bon train. Quant à moi, je fis rapidement l’équation : Alma + morsures = crocodile. Mon crocodile ! D’ailleurs, le lendemain découvrit une nouvelle victime en la personne d’une jeune touriste coréenne. Mon enfance refaisait surface et, avec elle, sa peur jubilatoire et l’image de ma mère, penchée sur mon lit. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">L</span>es macchabées se sont succédés, encore et encore, presque quotidiennement. Mais pas ce soir. Je me suis foulé la cheville en dérapant sur les rebords glissants de l’égout. Aujourd’hui, ma panoplie de crocodile restera dans le placard. Je vais peut-être en profiter pour la passer à la machine ; l’odeur est épouvantable.
</span></span></div>
Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4923464360649450713.post-81161486740243888102014-06-29T17:37:00.004+02:002014-06-29T17:37:50.103+02:00Haricots au whisky<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">C</span>’est en errant entre les rayons labyrinthiques de l’hypermarché que je me suis égaré. Les rayonnages me semblaient plus longs qu’à l’accoutumée, s’étirant vers un plafond pourtant inaccessible. J’ai obliqué à droite, les roues de mon caddie couinaient régulièrement comme quatre souris à l’unisson. J’ai croisé une femme hypnotisée par les linéaires de bonbons, ses yeux brillaient d’un éclat haribesque et ses lèvres étaient agitées d’un léger tremblement – je n’aurais su dire s’il s’agissait d’un manque ou d’un excès de sucre. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">Q</span>uand les événements ont-ils dérapé ? Peut-être lorsque j’ai emprunté le rayon des alcools. Deux hommes avaient ouvert une bouteille de whisky et saluaient de loin un troisième larron qui revenait vers eux en brandissant un pack de gobelets en plastique et une poignée de glace, sans doute réquisitionnée sur l’étal du poissonnier. J’étais sur le point de prélever dans mes emplettes un paquet de pistaches à leur attention mais je me suis ravisé. Un des types a d’ailleurs coulé un regard envieux vers lesdites arachides, puis un œil torve à mon endroit. J’ai filé sans demander mon reste, ni même une rasade de whisky. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">E</span>ncore interloqué par cet étrange trio, j’ai tourné deux ou trois fois au petit bonheur, sans but précis. Les allées étaient désertes et sans fin, les murs du magasin s’étaient de toute évidence éloignés de moi. Puis je me suis immobilisé et mes roues-souris ont cessé leur plainte. Devant moi se dressait un mur de boîte de conserve, des mètres carrés de haricots verts sous métal. Sur l’étiquette démultipliée à l’infini, la photo du légume me narguait ; les souvenirs ont surgi, les heures passées à l’équeutage obligatoire du maudit haricot sous la houlette sévère de ma grand-mère, le jus irritant qui s’insinuait sous les ongles, ces immondices vertes – plus ignobles encore par leur conservation en bocaux – disponibles en toutes saisons. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">J</span>’ai lâché mon caddie, abandonnant mes courses, et quitté au plus vite ce lieu de perdition. Derrière moi, j’ai entendu les quatre souris m’appeler en geignant. J’ai parcouru les allées à la recherche de la sortie, une sortie apparemment introuvable. Mais mon angoisse s’est accrue lorsque j’ai réalisé qu’il n’y avait, à part moi, nulle âme qui vive. Pas un consommateur, pas un employé, j’en regrettais presque le trio alcoolique. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">P</span>uis j’ai buté sur quelque chose ; au sol gisait une femme dont les lèvres murmuraient : « À boire… à boire… ». J’ai levé les yeux mais les rayonnages ne comportaient que des boîtes de conserves, bien sûr de haricots verts ! Partout, à droite, à gauche, des haricots verts ! L’allée s’était étirée sur des dizaines de mètres et, plus j’avançais, plus son extrémité reculait. J’ai couru, couru, dans mon dos s’élevaient les couinements de centaines de souris parties à ma recherche. J’ai défailli et, en m’appuyant, ai fait rouler au sol quelques boîtes. J’ai repensé au goût infect des haricots de mon enfance et j’ai maudit, dans le désordre, les légumes, ma grand-mère et la pasteurisation. Les souris se rapprochaient de plus en plus, à moins que ce ne fussent une meute de caddies retournés à l’état sauvage. Jamais je n’aurais eu autant besoin d’un whisky.
</span></span></div>
Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4923464360649450713.post-16157225484286099432014-06-13T22:07:00.002+02:002014-06-13T22:07:38.906+02:00Homme, toujours tu chériras la mer<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">L</span>e niveau de la mer commence à s’élever et le gouvernement envoie les premiers membres des comités. Nous avons déjà les pieds dans l’eau à la réunion d’information. Le discours se fait rassurant : l’eau monte, certes (et inexorablement), mais l’homme possède des capacités étonnantes d’adaptation. Fort de ces conseils, je m’achète d’abord une paire de bottes en caoutchouc, puis au fur et à mesure de la montée, de hautes cuissardes du même matériau, bientôt elles-mêmes débordées. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">L</span>’eau atteint ma taille – tout est noyé, tant à l’intérieur des maisons qu’à l’extérieur. Faute de gaz ou d’électricité, je mange des conserves froides ou du pain humide aux relents salés. Lorsque mes épaules sont également immergées, je commence à sérieusement m’inquiéter malgré les nouvelles consignes des comités : ne pas s’alarmer, vivre normalement et, surtout, ne pas tenter de s’opposer à l’océan, accepter d’avoir la tête sous l’eau, nous, humains, qui n’avons jusqu’à présent respiré qu’azote et oxygène. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">J</span>’ai une confiance modérée dans le gouvernement mais une plus grande envers mes sens. Parce que le courant en a déposé entre mes murs inondés, je prépare une salade de goémons. À ma surprise, la saveur du mets m’ouvre des horizons océaniques. J’accueille l’eau de mer, elle s’élève au-dessus de ma tête et, sans combattre, j’inspire tranquillement. Je sens mes ouïes se décoller peu à peu, presque en douceur et, sans aucun doute, avec nature. Les scientifiques ne nous auraient-ils, pour une fois, pas menti ? Un mérou brun et lippu entre par la cheminée et me regarde en souriant. Sa peau me frôle, lisse et écailleuse, et je me demande si l’espèce humaine entière sera bientôt à son image. Mon épiderme est encore fragile et inadapté, le bout de mes doigts se fripe affreusement. Pourtant, de quelques gestes balbutiants, j’esquisse un pas de danse natatoire. Avançant du même mouvement, je vois ma voisine flotter devant la fenêtre et je m’élance à mon tour à la conquête des flots ou du monde, les deux éléments devenus similaires. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">J</span>e suis happé par le sombre liquide, je sens sur mon corps le sel dilué dans l’eau, expérience osmotique qui, de façon définitive, fait des poissons mes frères. Le filtre de mes branchies emplit son office à la perfection et je m’aventure vers les grands fonds. Je constate bien que les souvenirs de ma vie humaine s’effacent peu à peu, mais je ne fais rien pour l’éviter ; qu’ai-je d’ailleurs à regretter ? Je croise une accorte daurade, peut-être mon ancienne voisine, mais son œil est aussi vitreux que doit l’être le mien. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">F</span>inalement, je gobe quelques animalcules flottant entre deux eaux, ôte les vêtements qui me restent encore. Mon sang se rafraîchit, ma conscience s’engourdit – les consignes du comité ont la forme mouvante et incertaine d’un poulpe. Mon esprit presque vide est au repos, nulle étincelle n’y affleure sauf une sensation vague mais indélébile, la certitude qu’un jour ma nage me conduira vers la terre ferme et que mes nageoires se transformeront graduellement en pattes, en jambes peut-être. Moi qui ouvre et ferme la bouche à la recherche de proies misérables, je serai le germe d’une nouvelle espèce, la genèse de l’évolution.
</span></span></div>
Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4923464360649450713.post-86157610666212010572014-05-27T22:24:00.003+02:002014-05-27T22:24:53.188+02:00Liberté, égalité, muscidé<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">D</span>ès son éclosion, Georges Lamouche se différencie de ses frères. Il n’est encore qu’un asticot inexpérimenté mais sent d’instinct ce qui le distingue de ses semblables. D’ailleurs, alors que sa parentèle atteint un imago définitif, lui continue à grandir sans se préoccuper du qu’en dira-t-on. Il atteint la taille respectable pour un diptère de sept empans et demi. L’ostracisme dont fait preuve envers lui sa propre espèce le prépare à affronter celle des hommes. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">I</span>l apprend simultanément à parler et vrombir, bilinguisme presque naturel qui lui ouvrira bien des portes. Au lycée, c’est un élève brillant – il remporte haut la main la coupe interscolaire de tennis de table, aidé en cela par ses quatre mains (cette victoire compense sa peur atavique de l’eau qui l’empêche de concourir en natation). Malgré l’opposition de certains parents d’élèves réactionnaires, il dirige le journal estudiantin de l’établissement : « B(u)zzz ». Né simplement La Mouche, il se donne Georges pour prénom, peut-être pour profiter de sa royale influence. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">C</span>’est sans doute ce destin unique qui lui confère un sens aigu de la justice et, surtout, du respect de l’individualité. Il s’engage donc très tôt dans la vie civique, combattant notamment au nom de toutes les minorités, même quand celles-ci le désavouent. Jeune mouche, il connaît une notoriété locale en sauvant un adolescent suicidaire qui s’est jeté du douzième étage : d’un coup d’aile, il le cueille en plein vol et le dépose à terre. Suite à cet exploit, il est élu maire de sa commune et, sous l’insistance des siens, promulgue un édit interdisant de ramasser les crottes de chien. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">I</span>l poursuit une carrière politique mouvementée, semée d’embûches et de détracteurs, jusqu’à atteindre le poste de président du sénat qu’il occupera avec panache en tant que Grand Drosophile. Remarqué par le premier ministre, il intègre son cabinet, serre quelques mains, transmet autant de maladies et obtient rapidement le portefeuille de l’intégration nationale et animale. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">U</span>n bref scandale de coprophilie ne parvient pas à étouffer son influence. Il mène campagne et, malgré les slogans adverses (« Dites m… à la mouche ! », « Une tapette pour la mouche ! »), évince ses rivaux aux élections et devient la première mouche président de la république. Du haut de son mètre cinquante, il est – à une exception près – le plus petit président français, ce qui ne l’empêche pas d’utiliser ses six pattes avec énergie pour le bienfait de ses concitoyens. Il s’attelle notamment à légiférer sur le mariage inter-espèces malgré l’opposition de certains membres de son propre clan. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">À</span> l’aube de ce qui aurait pu être son second mandat, il s’éprend de la blonde actrice Tara Musca ; elle lui donnera une larve qui mourra malheureusement avant de devenir pupe. Cette tragédie accompagne le déclin de sa carrière politique ; il reçoit un colis piégé contenant une plante carnivore et échappe de peu à un attentat au gaz insecticide perpétré par le RAID (Régiment Anti-Insecte Diptère) qui le laisse l’aile pendante et la facette oculaire terne. Il meurt quelques mois plus tard à l’Asile des Invertébrés, pris à parti par un gang de punaises ou, selon certains de ses biographes, étouffé par son ennemi de toujours : Spiderman.
</span></span></div>
Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4923464360649450713.post-57201511007854338412014-05-23T22:11:00.000+02:002014-05-23T22:11:17.739+02:00Mæander<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">I</span>l l'avait prévenue pour le livre. Maintenant c'était trop tard. De toute façon, il détestait quand Aya prenait le manuscrit sans son autorisation. Qui plus est s’il en manquait le dernier chapitre. Qu’est donc un livre sans fin ? </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">I</span>l l’avait donc avertie : « Ce sera un opus captivant. » </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">—</span> Quel titre vas-tu lui donner ? avait-elle demandé. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">—</span> <i>Mæander</i>. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">—</span> Quoi ? </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">—</span> <i>Méandre </i>en latin… </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">—</span> Quel titre prétentieux ! </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">M</span>ais elle avait commencé la lecture de la première page. À la seconde, sa main avait légèrement tremblé en tournant le feuillet. Dès la troisième, elle était hypnotisée ; comment s’évader de l’espace ténu qui sinue entre les caractères ? </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">I</span>l n’y a que dans les films que les personnages foncent tête baissée vers un lieu de terreur spécialement préparé à leur attention. Dans la vie réelle, les gens fuient le noir et décampent dès qu’ils aperçoivent une silhouette suspecte. Ils esquivent la peur, sauf au cinéma, sauf dans les romans. Et la peur, il en connaissait un rayon, c’était même son fond de commerce. Auteur à succès de romans noirs, cela avait de quoi impressionner. Mais pas Aya ; elle avait toujours un avis critique sur ses livres, un avis qui aurait indigné ses aficionados. Leur relation n’avait changé en rien son opinion sur sa <i>littérature entre guillemets</i> comme elle l’appelait. Aya était sans doute le reflet de sa propre face masochiste. Sa petite épine, sa souffrance constante et délicieuse. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">D</span>ans ses romans, les protagonistes eux aussi souffraient beaucoup et, surtout, longtemps avant de mourir. Si lui était masochiste, son lectorat était à coup sûr sadique. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">I</span>l quitta la pièce, laissant Aya s’égarer dans sa lecture. Un titre <i>prétentieux</i>, souffla-t-il en haussant les épaules. Un titre justifié ! Les personnages erraient au long des pages dans un labyrinthe, parfois hérissé de pièges mortels, parfois vide de tout, d’un vide plus angoissant encore. D’autant plus angoissant que peu en réchappaient – il n’octroyait la vie sauve qu’à un seul de ses héros. Uniquement un. Toujours. Le manuscrit n’avait pas de dernier chapitre, aucune page finale dévoilant le nom du survivant. C’était à la fois tragique et exaltant de porter cette responsabilité de vie ou de mort. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><i><span style="margin-left: 30px;">M</span>æander</i>. Un titre tout sauf présomptueux. Aya s’était déjà perdue dans les méandres de son imagination. Quant au latin, il se justifiait parfaitement. Ce livre serait son chef-d’œuvre, une création archétypale, à l’image des grands canons antiques. Un texte qui ferait date. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">A</span>ya avait tant de fois arboré un air condescendant envers ses précédents ouvrages. Celui-là était différent. Elle l’avait saisi, inachevé, avec sa désinvolture coutumière. Elle savait pourtant qu’il n’aimait pas qu’on lise son texte avant son ultime phrase écrite. Il pourrait aussi décider de ne jamais le finir, pas de terme, pas de dénouement, Aya errant pour toujours entre les pages du dédale. Errant, provisoirement vivante. Il n’avait encore rien décidé. Les personnages ont une vie propre, certains sont si coriaces que même l’auteur peine à s’en débarrasser. Et il ignorait si Aya appartenait à cette catégorie. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">I</span>l rempila avec soin les pages désordonnées du manuscrit. Il était de toute façon trop tard pour se remettre à l’écriture aujourd’hui. Les choses, comme les souffrances, pouvaient attendre ou durer. Il l'avait prévenue pour le livre. Maintenant c'était trop tard.
</span></span></div>
Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4923464360649450713.post-32587096975619722132014-05-01T21:11:00.001+02:002014-05-01T21:11:32.451+02:00Peut-être dans le ciel un corbeau<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="font-size: 155%;"><span style="margin-left: 30px;">C</span>omme les autres voyageurs, je suis resté interdit quand le train n’a pas marqué l’arrêt. Il y a eu un moment d’hésitation, puis les commentaires ont fusé à propos de l’incapacité des compagnies ferroviaires. Mais la distance n’est jamais très longue d’une gare de banlieue à la suivante ; chacun l’a attendue. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="font-size: 155%;"><span style="margin-left: 30px;">L</span>à où la colère est montée, c’est lorsque le train a continué sa course à la gare suivante. Évidemment, sans aucun message du conducteur ! Quelques insultes ont jailli, ainsi que plusieurs portables pour appeler qui son conjoint, qui l’école. Mais alors que les wagons filaient, quelqu’un a fait remarquer que son téléphone ne captait aucun réseau, son voisin a confirmé cette même particularité et, tous, presque dans un ensemble parfait, avons fixé le cadran de notre appareil pour aboutir à la même constatation. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="font-size: 155%;"><span style="margin-left: 30px;">A</span>u troisième arrêt manqué, un passager plus aventureux a tiré le signal d’alarme, sans plus de résultat. Chacun y est allé de son hypothèse, farfelue, stupide, tragique. Une voix a même évoqué quelque terroriste. Il y a eu un frémissement général, une femme a parlé de ses enfants, je crois que quelqu’un a sangloté au quatrième arrêt, un autre a psalmodié une prière au cinquième. Un estomac a gargouillé et j’ai perdu le compte des gares dépassées, il était l’heure du dîner. Et la nuit s’est progressivement agglutinée autour de notre bolide. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="font-size: 155%;"><span style="margin-left: 30px;">T</span>out le monde s’est rassis, certains à même le sol. Le silence s’est installé, chacun s’est regardé, le train paraissait accélérer sa cadence et, à l’extérieur, les bâtiments éclairés se faisaient plus rares, comme si nous abordions peu à peu les franges d’un no man’s land pourvu d’étoiles chiches. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="font-size: 155%;"><span style="margin-left: 30px;">U</span>ne lassitude subite m’a envahi et je me suis assoupi. Impossible de dire combien de temps après je me suis réveillé ; les passagers dormaient et, à la faible lueur du wagon, je ne percevais dans l’obscurité alentours rien qui puisse suggérer une trace de civilisation. J’ai porté machinalement ma main à mon visage, ma joue avait une consistance que je ne lui connaissais pas. J’ai eu un tremblement, regardé mes paumes, puis leur revers, j’ai cru y voir une peau fripée et tâchée, mais peut-être n’était-ce que l’illusion de la fatigue et de la pénombre. Et j’ai sombré à nouveau. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="font-size: 155%;"><span style="margin-left: 30px;">L</span>e jour a point, j’ai ouvert les yeux, je respirais avec difficulté et mes mains étaient émaciées à l’extrême. Mon reflet dans la vitre m’a renvoyé l’image d’un autre. Et j’ai alors remarqué mes voisins, tous avachis, tous blanchis – je crois même que certains étaient déjà morts. Mon vis-à-vis me regardait également bouche bée et, entre ses lèvres entrouvertes, je voyais les gencives dépourvues de dents. Il tenait encore, serré dans sa main tavelée, son portable obstinément muet. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="font-size: 155%;"><span style="margin-left: 30px;">L</span>e train poursuivait sa course inexorable sans autre fin que notre terme. Autour de nous, un soleil froid éclairait avec parcimonie la voie ferrée unique sur laquelle nous roulions. Le paysage était plat, uniforme jusqu’à l’horizon, il aurait été difficile de dire si le sol était de terre nue ou d’herbe rare. J’ai vu des étincelles, comme la crinière d’une comète, des étincelles indisciplinées. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="font-size: 155%;"><span style="margin-left: 30px;">E</span>t peut-être dans le ciel un corbeau.
</span></span></div>
Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4923464360649450713.post-33104642601699992262014-04-06T21:53:00.000+02:002014-04-09T21:35:34.716+02:00Commuer le père<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">«</span> Réveille-toi ! Tu vas être papa ! » </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">L</span>es films d’anticipation sont traversés de machines à remonter le temps. Celles qui projettent dans le futur seraient-elles à le descendre ? Quoi qu’il en soit, le héros voyage loin en amont ou en aval, y effectue son œuvre, parfois de chair, généralement de poing, et revient à son époque aussi aisément que s’il avait passé une semaine dans le Morbihan (ou la Drôme). </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">«</span> Mais réveille-toi ! » </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">J</span>e n’ai pas voyagé si loin – d’ailleurs, j’habite déjà le Morbihan – trois décennies tout au plus, une bonne génération, une autre époque. Il me faut plusieurs minutes pour faire la mise au point sur la main qui secoue mon épaule, le bras qui s’ensuit, le visage peint d’excitation. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">—</span> Maman… ? </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">E</span>lle se méprend sur le sens de mes paroles, heureusement. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">«</span> Bien sûr que je vais être maman ! » Le soleil irradie de ses cheveux, des lumières s’en échappent, décorent la chambre comme une boule à facettes. Elle prend ma main et la pose sur son ventre encore plat, une main aux doigts carrés, une main à la peau mate que je ne reconnais pas. Sauf la chevalière caractéristique de l’annulaire, une chevalière que j’identifierais entre mille, celle de mon père. Autre temps, autre corps. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">E</span>lle prend ma main et la pose sur son ventre, elle porte une nuisette courte, très courte et très fine, d’un beige proche de sa carnation. On n’imagine guère sa mère dans une telle intimité, sauf en y mettant le doigt - littéralement. Ce qu’elle fait en dirigeant l’annulaire enchevaliéré entre ses jambes. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">J</span>e retire ma main vivement. « Maman ! » </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">M</span>ais c’est trop tard, elle rit de son nouveau statut de mère, pas de risque me souffle-t-elle, le fœtus est encore minuscule, il ne sentira rien. Déjà ses yeux brillent d’un éclat de stupre universel, sa bouche s’entrouvre. À mon effroi, elle pose ses paumes sur ma poitrine et les déplace progressivement, sensations à descendre le temps, comme les machines. Temps qui se suspend mais refuse obstinément de s’inverser. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">O</span>n a raison de dire que les hormones de la grossesse ont une influence enthousiaste sur la libido féminine. Chez l’homme, elles peuvent produire deux effets divergents : un blocage né de la contrepartie de l’excès ou, au contraire, une concupiscence similaire.
Mon esprit adopte le premier comportement. Il se fige, mes yeux fixent tétanisés la langue de ma mère qui s’approche de ma peau. Elle va finir par croire que je ne veux pas de cet enfant ; Papa a pourtant toujours été ravi de mon arrivée. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">M</span>on esprit adopte donc ce comportement mais ma chair le trahit. Je sens des titillements l’envahir, à mon corps défendant pourrais-je dire, mon cerveau se dissout dans mes terminaisons nerveuses, la brume y règne, fumée d’héroïne, illusion de plaisir. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">L</span>a main à la chevalière qui serrait si fort son bras me désobéit, amorce un trajet sur sa hanche et au-delà. Je ne me suis pas réveillé dans mon lit et aucun professeur fou ne m’a rapatrié par erreur dans la Drôme ; ma main a continué son mouvement, et la sienne s’est refermée sur moi, aussi emmanché qu’un héron. Qui ne serait euphorique à l’idée de devenir père ?
</span></span></div>
Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4923464360649450713.post-55521012050509468932014-03-17T21:36:00.001+01:002014-03-17T21:36:30.217+01:00Soutane<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">C</span>’est lorsqu’a commencé l’homélie que le processus s’est enclenché. Peut-être quand le prêtre a évoqué la douceur du péché - à moins que ce ne soit la douleur… Je l’ai également entendu parler d’encourager les pécheresses, je pourrais le jurer sur la Bible ; et des Bibles, il y en avait autour de moi, presque entre chaque main. Et s’il s’agit de simples missels, je ne veux pas le savoir ; qui s’aventurerait à jurer sur un missel ordinaire ? </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">L</span>e charme des vieilles églises tient souvent à peu, et celle-ci ne fait pas exception. On y remarque surtout, surmontée d’un abat-voix ouvragé, sa chaire antique - et son curé. Parce que pour être curé, il n’en est pas moins homme, et un bel exemplaire. Du haut de sa cathèdre, exhortant la foule des fidèles, houspillant celle des infidèles, il agite ses mains aux doigts carrés, parfois avec vigueur, parfois avec tendresse. Sur le noir de sa soutane, leur forme se dessine avec précision et, malgré moi, je ne peux m’empêcher de les imaginer courir sur mon corps, caresser mon buste à travers mon pull, descendre prudemment jusqu’à ma jupe. Il n’y a plus de distance entre moi et la chaire ; chacun boit ses paroles mais je suis la seule à les ressentir aussi littéralement. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">U</span>n rayon de soleil a traversé les vitraux, colorant d’un rouge profond la partie gauche de son visage, obligeant le prêtre à cligner de l’œil - l’intensité de ses œillades ne fait qu’accentuer ma confusion. Je n’entends plus ses mots mais les mouvements de sa bouche sont explicites et je ne doute plus qu’il partage mes sentiments. Tout son discours n’est qu’un message crypté à mon endroit, un message duquel est exclu le <i>vulgum pecus</i>. Le bas de son corps disparaît derrière la cuve de la chaire et, à défaut de le constater de visu, je ne peux que soupçonner ce que cache sa soutane - rien de plus que ce qu’elle aurait camouflé chez n’importe quel homme, mais rien de moins non plus. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">C</span>’est ce rien de moins qui m’arrache un cri. Je sors de ma transe, tous les yeux sont posés sur moi, y compris les siens. Le silence d’ennui qui traîne dans les églises s’est transformé en silence de stupeur. Et c’est là que je constate qu’en plus de pousser de délicats gémissements à mon corps défendant, mes mains caressent furieusement ma poitrine. Je me demande même si je n’ai pas un filet de bave aux commissures, toutes mes lèvres sont humides, ma peau chauffée d’émotion malgré la fraîcheur de l’endroit. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">L</span>e prêtre a interrompu son homélie - par pure provocation, sur un second passage citant les pécheresses susmentionnées - et le sol s’ouvre sous mes pieds. Je m’enfonce peu à peu dans la terre. Mes mains ont cessé leurs mouvements circulaires mais restent figées sur mes seins. Les regards suivent ma descente, agrémentés d’un mutisme lourd. Le rouge de la honte se mêle à celui du désir. Le sol se referme au-dessus de ma tête, je ne sais si j’ai perdu ou retrouvé la foi mais je n’ai qu’une idée en tête, une idée sacrilège et délicieuse, celle de me glisser sous la sombre soutane. Et tant pis si mon activité m’empêche d’entendre clairement les mots de l’homélie, sans doute en jaillira-t-il l’esprit.
</span></span></div>
Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4923464360649450713.post-87755804169926302072014-03-12T20:43:00.000+01:002014-03-12T20:43:03.321+01:00Qui conquit la toison<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">D</span>’abord, je t’ai menti. Mais si peu ! Effectivement, il y a eu Clotilde - de façon brève, presque anecdotique. Clotilde aimait trop les bijoux. Et mon banquier détestait les bijoutiers. Équation à multiples inconnues qui a conduit à notre rupture. Concède que si je ne t’avais pas confessé cette incartade, tu ne te serais aperçue de rien. Faute tue n’est jamais sue, dit-on ; j’aurais pu faire mien ce proverbe de bon sens… Alors que de cette erreur pourtant avouée, tu n’as jamais su me pardonner, ni à moitié, ni même au quart d’ailleurs. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">P</span>ourtant, de tes propres péchés je t’ai absoute. Était-ce une manière de rétorsion ? Était-ce pure vengeance que ce Clovis que j’ai retrouvé dans tes bras ? Lui !? Lui, sous mon toit ! Lui dans mon propre lit ! Lui sur ta peau, ou dedans ! Je n’ai pas tant été choqué par la position dans laquelle je vous ai découverts, que par sa moustache, une moustache rousse et démesurée. Toi qui me voulais toujours glabre, arguant le soi-disant inconfort que provoquait ma barbe. Et cette couleur rousse, presque identique à celle du chat ! Aussi, chaque fois que je vois Clotaire traverser l’appartement, chaque fois que je le nourris de croquettes, son pelage, qui autrefois me charmait, m’horripile. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">M</span>ais j’ai passé l’éponge. Sans doute est-ce cela l’amour, cet amour aussi ridicule que stupide qui me ravale au rang d’un abruti harlequinesque. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">M</span>ais j’ai passé l’éponge et elle est devenue rouge. Pourtant, je n’avais pas frappé fort ; Ou si peu, comme le mensonge. Ton corps adoré ne bougeait plus guère, mais ta poitrine se soulevait encore, régulièrement. Ta poitrine délicieuse que les poils roux de Clovis avaient souillée. L’amour n’est que le pépin d’une figue… Ne serait-il également qu’un téton de ton sein ? Ton sein taché d’un amant rousseau et de quelques traces de sang. Ton téton déplacé par ta respiration, en haut, en bas, haut, bas, hypnotique. Malgré la position étrange de tes membres, tu vivras. Tu vivras pour d’autres Clovis, d’autres roux avec ou sans moustache, d’autres roux peut-être bruns qui sait. Ou blonds. Tu vivras, transportant ta trahison et mon incommensurable amour qui n’a fait qu’ébaucher ta fin. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">C</span>lotilde, Clovis, Clotaire, tous se mélangent. Ils se mêlent l’un à l’autre, femme, homme, animal, chacun empruntant à l’autre quelques particularités, quelques attributs. Deux d’entre eux ne partagent-ils pas la même couleur ? Pourtant, Clotilde n’était pas rousse ni n’avait de moustache… Tout bien considéré, le rouge du sang, même en partie absorbé, est d’un coloris trop cru, trop franc - et entre nous, plus de franchise, sauf celle de l’amour peut-être, et des coups. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">C</span>lotilde ! Clovis ! Clotaire ! Comme je vous hais ! Vous, et vos séides cupidons ! J’ai déjà jeté le chat par la fenêtre, il retombera sur ses pattes, éventuellement. Quant au cadavre de Clovis, il continuera de dégoutter, car pour lui je n’aurais jamais eu assez d’une éponge. J’ai jeté le chat par la fenêtre et je vais bientôt suivre son exemple. Je retomberai moi aussi peut-être sur mes pieds, je l’ai toujours fait. Il faut dire que je n’ai jamais été encombré de poils roux. Ni de moustache.
</span></span></div>
Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4923464360649450713.post-85336332882256094152014-02-11T23:00:00.000+01:002014-02-11T23:00:09.681+01:00S'enraciner<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">L</span>e portail s’est ouvert et le sol a pris une consistance inattendue. L’asphalte s’enfonçait légèrement sous mes pieds, si peu pourtant que je n’étais pas certain de ne ressentir que l’amorti de mes semelles. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">J</span>’ai fait un pas, puis deux, quelques uns encore et la sensation s’est accentuée. Je me suis déchaussé, l’asphalte que je connaissais ferme, rugueuse et inhospitalière a épousé la forme de mon pied. Avec exactitude. Presque amoureusement. Le contact était frais, les aspérités des caresses, brindilles ou fourmillements. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">À</span> chaque enjambée supplémentaire, le moelleux a crû, et j’étais si concentré sur ce phénomène, le regard sans cesse tourné vers le sol, que je n’ai même pas remarqué la disparition progressive des constructions. Quand j’ai relevé la tête, il n’y avait plus rien autour de moi et, à perte de vue, de l’herbe, de l’herbe sans fin. J’étais noyé au cœur d’une prairie sans limite mais, au lieu de l’angoisse que l’on pourrait imaginer, j’éprouvai un sentiment indescriptible. J’étais unique, l’herbe ne m’engloutissait pas puisque j’en étais le seul élément vertical. Au contraire, j’étais axe, pivot, dieu peut-être. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">P</span>uis mon ouïe a dépassé les frontières de l’infini, et j’ai entendu le bruissement un milliard de fois démultiplié des insectes qui s’affairaient au milieu des herbes minuscules, chatouillant de leurs pattes innombrables les élans de chlorophylle. Ainsi étaient-ils, légion, comme dans le décompte biblique, courant après leurs œuvres microscopiques. Je crois bien qu’en faisant effort j’aurais pu percevoir également le fouissement des lombrics et autres vers. Mais le vent a soufflé, détourné mon attention. Il s’est engouffré dans mes cheveux avec tant de naturel que je ne savais dire s’il s’agissait d’une caresse ou d’une gifle. Il a frôlé mes paupières et m’a arraché quelques larmes, aussi menues que la faune du sol. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">C</span>’est à ce moment que j’ai senti mes orteils s’étendre, s’enfoncer, s’enfouir encore, profondément.
</span></span></div>
Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4923464360649450713.post-78472448918731201552014-01-12T22:07:00.000+01:002014-01-12T22:07:12.765+01:00Phalanges break<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">D</span>’abord je n’ai pas prêté attention au léger cliquetis (un faible tic ! et encore, à peine) presque couvert par le bruit de la serviette frottant mon dos. En posant mon pied hors de la baignoire, j’ai senti une piqûre discrète. Fiché dans ma plante, un ongle que j’ai retiré d’un coup sec, outch ! un ongle entier. J’ai cru que les gouttes de sang provenaient de la coupure puis me suis rendu compte que mon auriculaire gauche perlait de rouge. Le cerveau humain est fait de telle façon qu’il cherche toujours une explication rationnelle à toute chose : j’avais moi-même arraché mon ongle en m’essuyant, la vapeur bouillante de la salle de bain ayant certainement fait office d’anesthésiant. Un pansement et hop ! on n’en parle plus. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">C</span>’est en diluant une cuiller de miel dans mon thé que le plouf de mon index tombant dans le bol m’a alerté. J’ai fixé ma main au doigt sectionné, bouche bée - curieusement, je ne ressentais aucune douleur, mais mon petit-déjeuner était irrémédiablement gâché. J’ai épongé tant bien que mal le sang qui a joliment coloré une bonne douzaine de mouchoirs en papier. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">S</span>ans être alarmiste, j’ai tout de même pris rendez-vous chez mon médecin qui est resté sans diagnostic précis et, surtout, sans voix lorsque mon pouce gauche s’est spontanément détaché sur son bureau. J’ai bien cru qu’il allait tourner de l’œil. Il m’a expédié manu militari aux urgences de l’hôpital en maugréant contre les traces sanguinolentes que j’avais laissées sur sa moquette. Tout à sa mauvaise humeur, il ne m’a même pas rendu mon doigt perdu. Quant à l’urgentiste, il n’a guère été plus prolixe et, après une série de euh hésitants, a émis l’hypothèse d’une nécrose spontanée, maladie sans doute diafoiresque. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">J</span>e suis donc rentré chez moi avec de plus en plus de questions mais de moins en moins de doigts (j’en perdis un dans le bus et un second dans la rue où je dus me battre pour qu’un caniche ne le dévore pas). J’ai d’ailleurs eu le plus grand mal à tourner la clef dans ma serrure… </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">P</span>uis la nuit est tombée et la chute digitale a cessé, comme un automne craignant la pénombre. Les tissus avec lesquels j’épongeais le sang avaient fait leur office et j’ai enfin pu quitter la baignoire dans laquelle j’avais trouvé refuge - je ne tenais pas à souiller tout l’appartement ; je détestais déjà passer le balai espagnol, mais avec six doigts au lieu de dix… J’observais mes mains : la présomption de nécrose me semblait sans fondement car il n’y avait ni la coloration noirâtre ni l’épouvantable odeur qui l’accompagne d’ordinaire. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">F</span>inalement, j’ai cuisiné mon dîner avec tant d’habileté que je n’étais pas loin de penser que les doigts à la dizaine sont presque surnuméraires. Je me suis donc couché, quelque peu rasséréné, bien décidé cependant à appeler mon médecin dès le lendemain pour récupérer mon dû. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">J</span>e me suis réveillé sitôt après l’aube. J’avais la bouche totalement déshydratée. Je me suis levé - un peu brusquement peut-être, ceci expliquant sans doute cela, pour aller prendre un verre d’eau. Mon bras s’est emmêlé dans les tortillons du drap : shfffritchhhh…
</span></span></div>
Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4923464360649450713.post-62789065996833662772013-12-20T22:40:00.000+01:002013-12-20T22:40:16.969+01:00懐かしい (natsukashii)<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;"><a href="http://3.bp.blogspot.com/-FuSY-6A1_bk/UrS4gSBz0PI/AAAAAAAAAMI/-gb_mtXvzNM/s1600/La-Nostalgie-heureuse-Am%C3%A9lie-Nothomb1.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="http://3.bp.blogspot.com/-FuSY-6A1_bk/UrS4gSBz0PI/AAAAAAAAAMI/-gb_mtXvzNM/s320/La-Nostalgie-heureuse-Am%C3%A9lie-Nothomb1.jpg" /></a></div><div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">A</span>mélie Nothomb part en voyage en Nostalgie ; est-elle pour autant heureuse ? Pour les besoins d’un reportage télévisuel, Melle Nothomb (suis-je encore politiquement-correctement autorisé à dire « Mademoiselle » ?), retourne au Japon - après plus de quinze ans - où elle retrouve les lieux de son enfance (du moins ce qu’il en reste après l’intervention d’un séisme et de la subjectivité des souvenirs), sa nourrice et son amoureux d’antan, déjà croisé dans ses romans. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">I</span>l plane dans ce récit un je-ne-sais-quoi d’aérien, de tendre, de drôle, d’émouvant ; car toutes les émotions sont au rendez-vous, délicates comme l’<i>o-hanami</i> (litt. <i>regarder les fleurs</i>), émerveillement de la floraison des cerisiers. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">O</span>n y parle évidemment de nostalgie ; et l’on découvre, avec un étonnement que partage l’auteur, les deux termes distincts de ノスタルジック (<i>nosutarujikku </i>- version nipponisée de l’anglais <i>nostalgic</i>) et de 懐かしい (<i>natsukashii</i>), le premier adjectif désignant une nostalgie empreinte de regrets, propre à l’Occidental, tandis que le second symbolise la fameuse nostalgie heureuse que connaît le Japonais, douce et colorée de souvenirs délicieux. Ce plaisir nous serait-il vraiment refusé ? </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">S</span>i j’étais un éditeur avisé (ou un amateur éclairé), j’éditerai un coffret spécial Noël-nippon incluant <i>Stupeurs et tremblements</i>, <i>Ni d’Ève ni d’Adam</i> et ladite <i>Nostalgie heureuse</i>, trois excellents crus décalés, japonisants et touchants. À défaut, empruntez-les à votre voisin(e) ou votre bibliothèque. Et ce je-ne-sais-quoi que j’évoquais n’est peut-être que l’aile de cette nostalgie dont mon cerveau s’est demandé, pendant toute la lecture, si elle était dans mon cas heureuse ou non…
</span></span></div>
Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4923464360649450713.post-58329073722986214942013-11-28T22:20:00.000+01:002013-11-28T22:20:08.666+01:00L'effet du frimas<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">O</span>n n’a retrouvé que son bonnet. Rouge. Rouge parce que je lui avais acheté au cas où il y aurait trop de neige. Rouge sur blanc, j’étais sûr de le repérer. Ça m’apprendra à faire mes achats si tôt dans la saison, à peine en novembre, pas une trace de neige ! C’est un peu comme si j’avais provoqué le destin avec son couvre-chef cramoisi. </span></span><br />
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">A</span>u fond de moi, une petite voix me fait remarquer, avec une certaine ironie, que le rouge tranche également très bien sur le vert. Et de vert, le pourtour du lac en est couvert. Herbes folles qui courent sous le vent, mousses délicates qui s’enroulent en colimaçon et qui, en d’autres circonstances, auraient été poétiques. Même les troncs des arbustes ont des nuances céladon. Mais je ne vois pas la beauté verdoyante du lieu. Mon regard est fixé sur la surface du lac dont l’immobilité semble me narguer. Même le vent léger qui courbe les herbes ne parvient pas à lui soutirer un sourire. Cette même eau qui paraît si sombre par rapport au vert. Et si froide par rapport au rouge. </span></span><br />
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">D</span>ans ma main, je tiens ledit bonnet, ce qu’il me reste de lui. De mon autre main, je broie l’épaule de Bran qui a failli à son rôle de surveillance - quelle idée aussi de lui confier une telle responsabilité à son âge ! Bien entendu, je devrais appeler les secours, téléphoner à qui de droit, crier vers le lac muet en espérant stupidement qu’il me réponde. Je reste figé, hébété, mes doigts mâchouillent la laine du bonnet - la laine gratte un peu, délicieusement, elle provoquait toujours une légère irritation sur son front. </span></span><br />
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">J</span>e déteste l’automne - j’ai une nouvelle raison de le haïr davantage encore. Pourquoi n’y aurait-il pas un hiver perpétuel ? Un hiver éternellement froid ? Le lac aurait été gelé, enserré d’une glace épaisse et indestructible. On y aurait risqué une chute, quelques bleus, au pire une jambe ou un bras cassés, rien de plus. Et puis la neige figée par la température recouvrirait chaque centimètre carré d’insécurité. Avec une telle couverture, aucun risque de perdre une quelconque tache rouge ; au contraire, la nature et les éléments eux-mêmes en aurait magnifié la couleur. </span></span><br />
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">M</span>es pieds brûlent de froid comme, sans doute, ceux de Bran. Celui-ci ne bouge pas, il est l’écho de mon mutisme, de ma stupéfaction plutôt. Il règne d’ailleurs partout ce silence exaspérant. Rompu brusquement par un reniflement de Bran, pas même un pleur, juste l’effet du frimas sur son nez. Déclic. D’un mouvement brusque du bras, je repousse Bran et le gifle à toute volée. Bouger enfin est une délivrance - et une horreur. La joue de Bran prend une coloration rouge, d’un rouge presque aussi violent que le bonnet rescapé. L’enfant me regarde de ses yeux ronds, il ne comprend pas, il comprend trop, il est trop tard de toute façon. Mon regard est obnubilé par la teinte de sa joue, rouge comme son bonnet à lui, rouge. Alors tant pis, je le frappe à nouveau, sur l’autre joue, même coloris, même effet. Et encore. Rouge, du rouge encore. Et Bran qui ne pleure même pas. </span></span><br />
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">D</span>u rouge. Lui avait les yeux verts, un peu en amande. Vert comme l’herbe sur laquelle ressort si bien le bonnet qui m’a échappé des mains.
</span></span></div>
Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4923464360649450713.post-34764061667682455792013-11-13T21:45:00.000+01:002013-11-13T21:45:02.514+01:00Le genèse de Bran Iliade<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif; font-size: 155%;"><span style="margin-left: 30px;">O</span>lli avait les cheveux roux et une carnation diaphane qui ne bronzait jamais. L’été, nous partagions un grand lit de la maison familiale ; dans la pénombre de la nuit, sa peau semblait fluorescente, pareille à celle d’une chimère ou d’un spectre. C’était aussi mystérieux qu’effrayant - je me réfugiais le plus loin possible, blotti sur le bord du lit, presque à en tomber. </span><br />
<span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif; font-size: 155%;"><span style="margin-left: 30px;">O</span>lli est mon cousin mais, moi, j’ai le poil noir. « Bran, tu es mon corbeau ! » a l’habitude de me dire ma mère en m’ébouriffant les cheveux. Il est certain qu’adulte je serai doté de sourcils broussailleux et d’une poitrine velue. Olli aura toute sa vie une peau glabre. </span><br />
<span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif; font-size: 155%;"><span style="margin-left: 30px;">P</span>our son anniversaire, Olli a eu un cheval, un petit cheval en bois rouge, d’un rouge si intense que ses cheveux en paraissaient ternis. Il a ouvert son cadeau et, immédiatement, je me suis mis à détester les canassons - sans trop savoir pourquoi. Les enfants agissent dans l’instant, sans se poser la question des conséquences possibles ; le présent se suffit à lui-même. J’ai volé le cheval d’Olli, puis j’ai eu peur d’être pris et, naïvement, je l’ai repeint en bleu pour le rendre méconnaissable. J’ai étalé la peinture tant bien que mal, j’ai taché mes vêtements ; je regardais, fasciné, le rouge chaud s’éteindre sous l’indifférence du bleu. Évidemment, le lendemain, ma tentative de camouflage a été découverte, la couleur n’était pas même sèche. Maudit pigment et maudite cavale ! Olli a pleuré, ses yeux aussi rougis que sa tignasse - sa peau en paraissait plus transparente encore, à un point tel que je voyais à travers elle la rancune qu’il éprouvait pour moi. Ma mère m’a puni, autant pour le larcin que pour mon pull irrémédiablement maculé du coloris accusateur. </span><br />
<span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif; font-size: 155%;"><span style="margin-left: 30px;">A</span>ujourd’hui, je déteste toujours les bourriques hennissantes. Mais j’ai gardé une attirance, sans doute ambivalente, pour les peaux claires et la rousseur en général. On ne vieillit jamais tout à fait, ou pas suffisamment - et lorsque l’on s’en aperçoit, il est de toute façon trop tard. Je n’ai pas revu Olli depuis une bonne décennie, au moins. Quant au cheval de discorde, je ne sais même pas s’il avait pu retrouver sa teinte d’origine. Et comme prévu, j’ai une barbe dure, des cheveux rebelles et une pilosité généreuse. </span><br />
<span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif; font-size: 155%;"><span style="margin-left: 30px;">J</span>e déjeune souvent à la brasserie Regen ; la serveuse est rouquine mais elle a trop de taches de rousseur à mon goût. Je connais Noé, le patron, depuis des années, il m’accueille systématiquement par sa boutade favorite : « Alors, Monsieur Iliade, quelle odyssée ce jeudi (ou ce vendredi, ce samedi, etc.) ? ». Et il éclate de son rire franc. Sous son hilarité, ses dents sont presque aussi blanches qu’est blanche la peau de mon souvenir d’Olli. </span><br />
<span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif; font-size: 155%;"><span style="margin-left: 30px;">J</span>’ai mes habitudes au Regen, je commande sempiternellement le même repas, et j’y mange souvent plusieurs fois par semaine. Que voulez-vous, on est obsessionnel ou on ne l’est pas ! Et ici, hormis la chevelure de la serveuse, pas de rouge, tout est en bois clair, chaleureux et neutre. </span><br />
<span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif; font-size: 155%;"> <span style="margin-left: 30px;">N</span>oé m’apporte un apéritif, quelques pistaches, nous discutons. Il sort inutilement son carnet pour noter ma commande. </span><br />
<span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif; font-size: 155%;"><span style="margin-left: 30px;">—</span> Et vous le voulez comment aujourd’hui votre steak de cheval ? </span><br />
<span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif; font-size: 155%;"><span style="margin-left: 30px;">—</span> Bleu.
</span></div>
Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4923464360649450713.post-81266836689990574232013-11-05T22:17:00.000+01:002013-11-05T22:17:05.631+01:00Épouse-moi<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">A</span>u début, je croyais vraiment que j'allais m'en tirer. Et pourtant, je voyais bien le piège se refermer sur moi. Mais je voulais croire aux contes de fées, à l’intervention d’une marraine bienfaisante ou même de n’importe quel <i>deus ex machina</i>. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">M</span>ais les choses nécessaires ne sont pas forcément certaines. Ce soir, je jetterai mon intégrale de Perrault au feu. Évidemment, ici, pas question d’enfers, point de gémonies. Que dire alors du supplice que j’expérimente ? La foule s’accumule, quelques personnes s’asseyent sagement, attendant le moment fatidique, d’autres discutent avec légèreté, comme si le sort du monde ne se jouait pas en ce moment même. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">D</span>ans le jardin de mon enfance, je courais sur l’herbe, je tachais mes vêtements de vert, il y avait Paul, Serge ou Anastase, tous, ou aucun. Ils se confondaient dans le chocolat qui fondait sur mes doigts, dans les jappements de Tanuki, notre chien, qui sautillait autour de nous. Ils étaient tous parfaits, tous éphémères, tous identiques. Et aucun d’eux n’a jamais su regarder à travers moi. De mes secrets, seul Tanuki était le détenteur ; je lui avais tout dit, sans exception. Avec lui, j’avais juré de ne jamais m’attacher, ni à Paul (qui avait pourtant de si beaux yeux), ni à Serge (qui m’offrait des bracelets d’herbe tressée), ni à Anastase. Quant aux autres… Alors je bondissais de plus belle, je les laissais loin derrière moi, là où était leur place. Pourquoi s’embarrasser ? J’avais mon propre mystère que je ne voulais partager, peu ou guère, voire jamais ; et il y avait toujours Tanuki, toujours fidèle, lui. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">J</span>’ai entendu quelques raclements discrets, l’assistance s’est soudain immobilisée, la musique a jailli de nulle part, grandiloquente, banale. Les sourires lancés dans ma direction perçaient mon corps, flèches dardées sur l’agneau du sacrifice. La voix a commencé son monologue et, soudain, ma robe s’est alourdie, encore et encore, jusqu’à peser une tonne et demie, jusqu’à me clouer littéralement sur place. Sans doute un mauvais coup de Jason – pourquoi m’aurait-il donc regardée avec cet air bonnasse ? Les volants de mon jupon s’agrippaient au sol, maudits crampons ! moi qui ne rêvais que de détaler. Le blanc de la dentelle s’est répandu autour de moi, neige froide, neige carbonique. Et dans cette blancheur floue j’ai cru reconnaître le poil clair de feu Tanuki. J’ai voulu crier son nom mais aucun mot n’est sorti – heureusement d’ailleurs. Qu’aurait pensé Jason ? Jason, cet abruti qui conquit ma toison ; Jason, ou Paul, ou Serge, je ne sais plus. Mais certainement pas Anastase. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">B</span>izarrement, l’odeur fraîche de l’herbe de mon enfance a coloré la pâleur de mon vêtement, et ma peau, comme si j’avais la nausée. J’avais peur de parler, peur qu’en ouvrant la bouche tout ce qui s’y taisait soit révélé. Certaines choses réclament sans doute d’être tues. Sans doute, ou peut-être. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"> <span style="margin-left: 30px;">D</span>ans les films, il y a toujours une voix pour s’élever et crier « Je m’y oppose ! » La fiction n’a pas rattrapé ma réalité, qu’aurais-je pu dire, jamais je n’aurais osé (et il le savait bien). J’ai senti deux cents paires d’yeux pilonner ma nuque et, encore une fois, j’ai murmuré oui. </span></span></div>
Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4923464360649450713.post-39518795228439776202013-09-15T23:30:00.001+02:002013-09-15T23:30:39.934+02:00Voyage, voyage (JPH n°164b)<i><span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;">Jeu littéraire du forum <a href="http://avosplumes.xooit.com/index.php">A vos plumes</a>. Écrire un texte dont le sujet est : <span class="postbody">Vous (ou votre héros ou héroïne) vous apprêtez à
partir en vacance lorsqu’une personne de votre famille ou un proche,
disparaît. « Disparaître » sera pris ici au sens propre et non au sens
de « mourir », même si en fin de compte le disparu (ou la) peut se
révéler mort.</span></span></i><br />
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">J</span>acques prépare sa valise, le soleil s’incruste à travers les jalousies entrouvertes. Jacques prépare sa valise, peut-être même faudra-t-il une malle. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<i><span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">U</span>ne pierre. </span></span></i></div>
<div style="text-align: justify;">
<i><span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">D</span>eux maisons. </span></span></i></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><i><span style="margin-left: 30px;">T</span>rois ruines</i> (admettons que deux sur les trois sont celles des maisons précédentes, histoire d’alléger un peu les bagages). </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><i><span style="margin-left: 30px;">Q</span>uatre fossoyeurs</i> (sans doute pour inhumer les ruines…). </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><i><span style="margin-left: 30px;">U</span>n jardin</i> (celui où les croque-morts creuseront leur trou). </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><i><span style="margin-left: 30px;">D</span>es fleurs.</i> </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">U</span>N PAQUET DE CROQUETTES. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"> <span style="margin-left: 30px;">L</span>une se promène, tour à tour captivé et indifférent aux activités de son maître. Il le regarde avec intérêt tenter de caser le troisième fossoyeur dans la malle, mais quand Jacques pousse un juron en découvrant que le quatrième larron mesure au bas mot deux mètres dix, l’animal s’éloigne nonchalamment, vibrisses condescendantes envers les vulgaires tâches humaines. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><i><span style="margin-left: 30px;">U</span>ne douzaine d’huîtres, un citron, un pain</i> (le tout dans une glacière). </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">P</span>as besoin du <i>rayon de soleil</i> prévu, il y en a déjà à foison dehors.</span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">Q</span>uant à la <i>lame de fond</i>, Jacques fera avec celle de rasoir, plus utile et moins susceptible de causer des ravages dans le bel ordonnancement de ses affaires. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><i><span style="margin-left: 30px;">S</span>ix musiciens</i> ! N’en prenons que deux, les quatre fossoyeurs n’auront qu’à s’improviser trompettiste, percussionniste ou trianguliste. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">U</span>N AUTRE PAQUET DE CROQUETTES. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">J</span>acques aperçoit dans le couloir Lune en toilette appliquée, léchage de patte, léchage de fondement, léchage derrière l’oreille ; de la pluie en perspective ? Tant pis, plus de place de toute façon pour le rayon de soleil. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><i><span style="margin-left: 30px;">L</span>a fleur qu’on appelle envie</i> (en réalité, il s’agit de celle appelée <i>souci </i>mais, au dernier moment, Jacques s’est ravisé). </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">J</span>acques tente de caser <i>trois sauterelles</i> (avec facilité) et <i>un strapontin</i> (avec plus de difficulté). Il relève la tête ; Lune a quitté son champ de vision. Il rajoute les <i>six parties du monde</i> et les <i>cinq points cardinaux</i>, indispensables pour voyager avec précision et fantaisie. Et, pour clore son bagage, PLUSIEURS PAQUETS DE CROQUETTES. Il enfourne l’ensemble dans sa voiture transformée pour l’occasion en trente-huit tonnes rutilant. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">N</span>e manque que Lune. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">L</span>une ? </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">L</span>uuunnneeee ! </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">L</span>UUUUUUNNNNNNNNNE !!!!!!! </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">I</span>mpossible de retrouver l’animal, Jacques fouille l’appartement pièce après pièce, même sous les édredons où le chat aime se réfugier. Il agite un des fameux paquets de croquettes rescapé. En vain. Pas une trace de la bestiole dans chambre, ni dans la cuisine, encore moins dans le salon. La salle de bain est vide de tout félin. Jacques suit la piste des poils perdus qui s’arrête brutalement au milieu du couloir, comme si le chat s’était volatilisé. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">À</span> l’extérieur, le soleil a pris une teinte étrange, presque bleutée. Dans la rue, les voitures sont toutes à l’arrêt, aucun piéton n’arpente les trottoirs. Si Jacques avait ouvert la fenêtre qui donne sur le jardin public, il n’aurait entendu aucun oiseau, aucun cri d’enfant. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">C</span>e sont les voisins qui ont téléphoné à la police, alertés par les miaulements du chat, Lune rodait autour du corps sans vie de son maître. On a également retrouvé dans sa voiture soixante-dix-sept paquets de croquettes. Quant aux fossoyeurs, ils avaient déjà accompagné Jacques en voyage ; seules les sauterelles ont survécu – et encore, l’une d’elles s’est échappée quand on a ouvert la malle.
</span></span></div>
Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4923464360649450713.post-42666568344614358502013-09-15T23:08:00.001+02:002013-09-15T23:08:53.571+02:00Pas du tout (JPH n°164a)<i><span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;">Jeu littéraire du forum <a href="http://avosplumes.xooit.com/index.php">A vos plumes</a> : écrire un texte illustrant la photographie suivante. </span></i><br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="http://img95.xooimage.com/files/e/4/0/paris-couleur-190...kahn-321-3f8d21e.jpg" imageanchor="1" style="margin-left: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" height="237" src="http://img95.xooimage.com/files/e/4/0/paris-couleur-190...kahn-321-3f8d21e.jpg" width="320" /></a></div>
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">D</span>ès l’automne, elle vend des violettes. Parmi toutes les fleurs qu’elle transporte, elle a un faible pour celles-ci, délicates, fragiles, froissées au moindre coup. Des coups, elle en porte elle-même, partout sur son corps, partout où ils ne se voient pas. La couleur des violettes lui rappelle peut-être celle des ecchymoses. Elle pourrait aimer leur odeur également, mais ses yeux sont si tristes, son visage si affligé qu’on craint qu’elle ait perdu l’odorat. Comme si toute possibilité de consolation parfumée lui était refusée. Une véritable ironie vu sa profession.
<span style="margin-left: 30px;">L</span>’hiver, les violettes se découpent sur le blanc de la neige, quand il y en a.
<span style="margin-left: 30px;"> </span></span></span><br />
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">L</span>’hiver, elle tremble de froid et d’horions.
<span style="margin-left: 30px;"> </span></span></span><br />
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">P</span>ersonne ne connaît son nom. On aurait pu l’appeler Blanche-Neige mais son Prince n’a rien de charmant. Alors les gens du quartier l’on baptisée Viola, à cause des violettes, ou d’autre chose, allez savoir avec les surnoms… </span></span><br />
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">V</span>iola vend des violettes, voilà ! Tout ça pour quelques allitérations.
<span style="margin-left: 30px;"> </span></span></span><br />
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">V</span>iola vend donc des violettes, ou des bleuets, ou du muguet, d’autres fleurs encore. Ce que le Prince lui octroie de sa main rude. Mais ce que les gens lui achètent le plus, ce sont bien les violettes ; peut-être parce que sa silhouette vulnérable s’accorde avec cette variété. De l’argent contre les violettes, des coups contre son argent – car de l’argent, il n’y en a jamais assez. Quant aux coups, il y en a toujours trop.
<span style="margin-left: 30px;"> </span></span></span><br />
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">U</span>n jour de crise, un jour d’inflation, le Prince a échangé les piécettes contre trop de coups. Il a perdu au change, elle a perdu la vie. Le Prince a sur les bras le corps inerte de Viola et une charrette de violettes, une cargaison qui vaut bien quelques dizaines de pièces – et presque autant de coups.
<span style="margin-left: 30px;">À</span> la mise en bière, tout le quartier est là. Le visage de Viola a viré au bleuâtre, en totale harmonie avec les bleus qui émaillent son cadavre, à l’extérieur et au-dedans. Chacun a accepté la version de la chute dans les escaliers et le Prince échange les violettes contre la culpabilité des voisins et un peu de leur monnaie. Certains déposent les fleurs dans le cercueil, tout autour du cadavre – la pièce est suavement parfumée. Pauvre Viola qui ne sentait déjà rien de son vivant. Sauf les coups.<span style="margin-left: 30px;"> </span></span></span><br />
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">Q</span>uand on descend le cercueil dans le trou, d’aucuns y jettent des pétales violettes. Puis il se met à pleuvoir doucement, à l’image des pleurs de l’assemblée, parcimonieux. La pluie colle les pétales sur le couvercle, comme si le bois lui-même se couvrait à son tour d’ecchymoses minuscules, comme si celles de Viola le transperçaient pour surgir au dehors. Le Prince a vendu toutes les violettes, sans exception – c’est sans doute la première fois que la charrette revient entièrement vide. Dans sa poche résonnent les pièces, dans son crâne ne résonne aucune trace de responsabilité. Ni aucune raison d’ailleurs. Et dans ses mains, les montants de la charrette qu’il traîne, avec lenteur, ses mains pleines d’échardes entrées dans la chair, pleines de coups rentrés, prêts à jaillir.
<span style="margin-left: 30px;"> </span></span></span><br />
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">L</span>e Prince trouvera une autre Viola. Les Viola vendent des violettes, voilà tout. Les Princes en comptent les pétales, ou les effeuillent, un peu, beaucoup, etc., jusqu’à pas du tout.
</span></span></div>
Unknownnoreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-4923464360649450713.post-26852146866496203662013-07-03T21:10:00.002+02:002013-07-03T21:10:46.248+02:00Chat noir, chien blanc (JPH n°162)<i><span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;">Jeu littéraire du forum <a href="http://avosplumes.xooit.com/index.php">A vos plumes</a> : écrire un texte sur le thème "un conte sous le baobab". </span></i><br />
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">B</span>eaucoup aiment s’étendre à l’ombre des arbres, l’herbe y est toujours fraîche et le ciel se découpe dans le labyrinthe des branches. Aiment s’étendre à l’ombre des feuilles, ce qui est tout à fait impossible sous un baobab. Le feuillage culmine à trente mètres de haut et ne perdure qu’un trimestre par an, un misérable trimestre. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">E</span>t puis, les chacals ne sont pas des chiens. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">E</span>t les lions, pas des chats. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">T</span>out le monde sait d’ailleurs que les chiens ne font pas des chats. Que dire alors des chacals et des lions ? </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">L</span>e baobab n’a en réalité que deux fonctions : fournir son eau aux éléphants, fournir ses palabres aux hommes. Car le baobab leur parle ou, du moins, parle à ceux qui veulent bien l’écouter, hommes et pachydermes confondus. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">I</span>l y a aussi ce missionnaire venu ramener les brebis égarées on ne sait où (on ne savait même pas qu’il y avait des brebis dans ce coin). L’homme est vêtu de sa soutane, toute parcheminée de poussière africaine. On dirait que son vêtement est recouvert des cartes du monde entier, comme un atlas mobile, mais en noir et blanc. Noir et blanc, c’est tout le missionnaire. Il est blanc. Ils sont noirs. Mais pas pour les vêtements car lui est en noir et eux portent des pagnes clairs. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">E</span>ux veulent des palabres. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">L</span>ui veut des prières. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">C</span>’est là que le bât blesse – surtout s’il n’y a pas de couffin sur le dos des buffles. Mais lui n’a jamais chargé quoi que ce soit sur un animal, sauf peut-être l’anathème sur les chiens qui se comportent comme des chiens, particulièrement avec les chiennes. Quant aux chats, directement au bûcher ! Surtout s’ils sont noirs ! Et noirs ils sont, ici et partout. Sauf le petit pagne clair qui ceint leurs reins, mais uniquement leurs reins. Les femmes montrent leur poitrine, avec ostentation. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">A</span>lors il cache ses yeux de sa main blanche, ses yeux noirs de colère. Les chiens, les chats, tout se mélange. Et encore, il n’a jamais rencontré de lion, ni croisé les flancs d’un chacal. Le noir est foncé (comme le chat), le blanc est clair (comme le pagne). C’est le b.a.ba. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">L</span>e b.a.ba de la savane, c’est bien le baobab. L’homme en soutane lève la tête vers sa cime, il finira certainement par attraper un torticolis. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">I</span>l observe les branches si haut perchées qu’on ne peut en saisir l’ombre. Dommage car il fait chaud – mais quelle idée de s’habiller en noir par une telle température ! </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">I</span>l admire le tronc, il ne le quitte pas des yeux. Il ne voit que l’écorce ; il n’y a plus de seins nus, plus de chiens, plus de chats. Au fur et à mesure que le soleil se déplace, il se déplace avec lui pour rester dans l’ombre du tronc. Il trace sur le sol une ellipse de pas, le sable s’est depuis longtemps introduit dans ses sandales, et dans le reste, petit grain dans les rouages. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">O</span>n croit qu’il comprendra la nature du baobab et, peut-être, celle de la nature elle-même, ce qui serait un miracle. Il y en a tous les jours paraît-il. Mais apparemment pas le vendredi. Car nous sommes vendredi, le jour de la vie sauvage. Le jour des palabres. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"> <span style="margin-left: 30px;">I</span>l finit par ouvrir la bouche malgré ses lèvres sèches. <i>Bahobab est fructus magnitudine mali citri cucurbitae similis, intus semina nigra, dura, extremis in unum semiarcum quasi inclinantibus</i>, annonce-t-il avec certitude. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">C</span>e qui laisse rêveur.
</span></span></div>
Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4923464360649450713.post-17143398547017373482013-06-17T13:42:00.000+02:002013-06-17T13:48:04.538+02:00COIN ! (JPH n°161)<i><span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;">Jeu littéraire du forum <a href="http://avosplumes.xooit.com/index.php">A vos plumes</a> : écrire un texte dans lequel le narrateur se réveille de façon inattendue à bord d'un vaisseau spatial. Ledit narrateur devra être un individu ordinaire d’aujourd’hui et le seul protagoniste humain.</span></i><br />
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">J</span>e me réveille à 3 heures du matin avec la gueule de bois. Enfin, je dis 3 heures, mais je suis trop bourré pour regarder ma montrer. Disons que c’est le milieu de la nuit. À peu près. Je m’extirpe de mon habitacle, un vaisseau spatial recouvert de paillettes argentées, sans doute pour lui donner un air futuriste. Je manque de m’étaler en sortant ; je ne me rappelle même plus avoir grimpé dans ce manège. Devant moi, un couple de chevaux en bois caracolent en trémoussant leur croupe de jeune fille – je hais les canassons. Il y aussi un rat géant au sourire ridicule qui porte une salopette et traîne une carriole d’un air goguenard. Vermine de souris ! Est-ce que j’ai envie de rigoler, moi ? </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">E</span>t cette fête foraine est minable, encore plus à cette heure où tout est fermé. Il y a bien quelques autos-tamponneuses. Dans la pénombre on dirait une série de barques mortuaires ; ça fait froid dans le dos ! Et ça me donne la nausée. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">L</span>e pire, c’est bien le stand de pêche aux canards. Ils sont là, bêtement alignés, à me narguer. Des gros. Des petits. Saleté de canards !!! </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">À</span> MORT LES CANARDS ! </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">D</span>u canard à l’orange, tu parles ! Du canard au sang plutôt ! </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">E</span>t l’autre qui m’a largué, l’autre avec sa voix de canard justement. J’en ferais bien du pâté ou des rillettes ! Mais est-ce qu’on fait des rillettes de canard ? Et l’autre ? Je lui serrerais bien le cou aussi, si j’avais le courage. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">A</span>H, JE N’AI PAS LE COURAGE ! TU VAS VOIR ÇA, LE CANARD !!! </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">J</span>’ai attrapé une des bestioles qui flottait dans son bac et je l’ai balancée au milieu des autos-tamponneuses. ET COIN ! Dommage que ce ne soit pas la tête de l’autre. Mais ça, c’est vrai, je n’aurais jamais osé. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">H</span>op, un autre canard, un petit, sans défense, con comme une poule, il n’a même pas protesté. Sur les autos-tamponneuses ! COIN COIN ! Si l’autre avait été aussi tranquille, j’en aurais fait trois bouchées et j’aurais aussi jeté les morceaux. Et vlan, un autre caneton ! </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">R</span>e-COIN !!!! </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">L</span>a fraîcheur de la nuit me fait du bien, et l’eau qui gicle des canards à chaque lancer également. C’est là que je m’aperçois que la pseudo soucoupe volante dans laquelle j’ai dormi porte le numéro 2. Le numéro 2 ! C’est bien ce que j’étais pour l’autre, c’est bien ce que je suis ! Sale OVNI ! Prends ça ! Paf, un canard dans la tronche ! COIN ! et encore un ! COIN ! Et encore ! </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">L</span>es volatiles se laissent balancer sans broncher, le bac se vide au fur et à mesure de ses occupants. Animaux inutiles, animaux stupides. Le vaisseau spatial pailleté se remplit petit à petit, mais son numéro me défie toujours. Je m’approche du manège en regardant bien le 2 dans les yeux. Pour une fois que j’ose regarder quelqu’un dans les yeux… Mais quand j’aperçois tous les cadavres de canards empilés dans la nacelle, je perds mes moyens. Je ne suis pas un tueur de canard… C’est l’autre qui a fait ça de moi. Je m’effondre, j’hésite entre pleurer et vomir. Mais l’un comme l’autre, quel triste sort pour des palmipèdes… </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">J</span>e suis un pleutre. Et je sais bien ce que l’autre aurait dit : t’es un dégonflé ! Tout ce que tu mérites, c’est d’aller au coin. Au COIN ! COIN ! COIN ! </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">C</span>OOIIIINNNNNNNNNNN !!!!!
</span></span></div>
Unknownnoreply@blogger.com1tag:blogger.com,1999:blog-4923464360649450713.post-2841550533276589112013-06-07T22:12:00.000+02:002013-06-07T22:12:06.913+02:00L'art d'accommoder les pestes (JPH n° 160)<i><span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;">Jeu littéraire du forum <a href="http://avosplumes.xooit.com/index.php">A vos plumes</a> (proposé par moi-même) : écrire un texte dont au minimum la scène la plus importante devra être centrée sur la préparation d'un aliment ou d'un plat. Contrainte supplémentaire : utiliser au moins trois expressions contenant des noms d’animaux comme un temps de chien, poser un lapin, avaler une couleuvre, etc. </span></i><br />
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="font-size: 155%;"><span style="margin-left: 30px;">N</span>om d’un chien ! La vache pèse un âne mort, une carcasse d’au moins cent soixante livres ! Et j’ai pourtant déjà débité la tête – ne nous décourageons pas, au boulot ! <span style="margin-left: 30px;">J</span>’ai d’abord émincé un oignon, évidemment j’ai eu les yeux qui pleurnichent. J’en ai réservé un peu ; quand j’entendrai Luc rentrer, je me frotterai les paupières avec, mon regard rougi me donnera sans doute un air de remord et quelques larmes de crocodile.
<span style="margin-left: 30px;"> </span></span></span><br />
<span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="font-size: 155%;"><span style="margin-left: 30px;">É</span>videmment, la première fois que Luc m’a vu découper sa petite amie du moment, il a été un peu choqué. Il s’est même permis des critiques mais elles ont glissé sur moi comme l’eau sur le dos d’un canard. Tout ça, c’est pour son bien. Et ne croyez pas que je sois ce genre de mère possessive qui veut absolument garder son fils pour elle ! Vraiment pas. Mais cette fille était trop grasse. D’habitude, je donne les os aux chiens et je fais des bougies avec la graisse ; là, j’ai de quoi faire un cierge pascal grand modèle !
<span style="margin-left: 30px;"> </span></span></span><br />
<span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="font-size: 155%;"><span style="margin-left: 30px;">J</span>’ai mis l’oignon à dorer dans l’huile d’olive, l’odeur a recouvert celle de la viande froide. Et il y en a une telle quantité ! Assez pour le bourguignon de dimanche (et pourtant, nous serons dix-huit à table). Je vais même pouvoir en congeler. Mais avec un fils chaud lapin, il va falloir penser à investir dans un congélateur de taille industrielle.
<span style="margin-left: 30px;"> </span></span></span><br />
<span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="font-size: 155%;"><span style="margin-left: 30px;">J</span>’ai découpé les cuisses en premier, enlevé la peau sans difficulté, cette peau que Luc avait caressée. Une peau flasque ; cette grue avait sans doute déjà vu le loup bien des fois, et toute la meute. Après avoir consciencieusement réduit la viande en cubes réguliers, je l’ai jetée dans la cocotte où elle a émis son grésillement caractéristique. J’ai ajouté du thym frais, quelques tours de moulin à poivre, deux ou trois gousses d’ail et – secret transmis par ma mère – un trait d’armagnac qui, en plus du vin, lui donnera une saveur unique. Mais c’est un ingrédient de fabrication que je garde pour moi, ce n’est pas demain que le chat sortira du sac.
<span style="margin-left: 30px;"> </span></span></span><br />
<span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="font-size: 155%;"><span style="margin-left: 30px;">A</span>vec la précédente, j’avais confectionné un énorme pâté en croûte qui avait ravi tout le monde ; même Luc m’avait félicitée. Il me fait si rarement des compliments ; j’étais aussi heureuse qu’un singe avec sa queue. Il faut dire qu’en matière de cuisine, Luc s’y entend comme un coq pour pondre des œufs. Dans ce domaine, il ne tient pas de moi, c’est évident ! Heureusement que je suis toujours là pour lui procurer une alimentation équilibrée, riche en protéines. Mais je n’oublie pas les recommandations du Ministère de la santé pour autant : j’ai épluché des carottes – l’idéal avec le bourguignon.
<span style="margin-left: 30px;"> </span></span></span><br />
<span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="font-size: 155%;"><span style="margin-left: 30px;">J</span>’ai touillé le contenu de la cocotte, ajouté un peu de piment (la viande peut être si fade parfois), mis le couvercle et baissé le gaz ; la cuisson à feu doux est la clef de la réussite. Puis j’ai fini mon opération d’équarrissage, un travail titanesque, je soufflais comme un phoque. J’ai mis chaque morceau dans un sac congélation dûment étiqueté et daté ; pas question d’ingurgiter quelque chose de périmé ! J’ai réuni les os et les abats pour les bêtes – j’avais déjà mis le sang en bouteille, mais je n’avais pas le courage de faire du boudin dans l’immédiat. Rien ne presse de toute façon car, comme me le répétait souvent mon père, un porc acheté à crédit grogne tout l’année.
</span></span></div>
Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4923464360649450713.post-38452312725520496872013-05-20T14:40:00.001+02:002013-05-20T14:40:49.133+02:00Bleue comme une orange (JPH n°159)<i><span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;">Jeu littéraire du forum <a href="http://avosplumes.xooit.com/index.php">A vos plumes</a> ; écrire un texte sur le thème de l'eau ne contenant pas les mots suivants, ainsi que tous leurs dérivés (verbes, substantifs, adjectifs...) : eau, couler, reflet, pluie, liquide. </span></i><br />
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<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">O</span>range. C’est la couleur du canot de sauvetage, ce canot minuscule sur lequel je me suis réfugié. De ce dérisoire poste d’observation, j’ai vu la carcasse renversée du bateau sombrer. Puis toute trace de l’embarcation a disparu et j’ai accroché mes yeux aux reliefs hétéroclites qui flottaient encore, objets d’ailleurs plus ou moins identifiables. Les courants m’ont ensuite éloigné de ces quelques débris – je me suis trouvé seul au milieu de l’océan. Seul avec, pour toute compagnie, cette tache orangée ballottée par les vagues. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">J</span>e n’ai jamais eu peur du bain, ni de la piscine et pas encore de la mer. Mais savoir le fond marin si lointain, ces centaines de mètres, ces kilomètres mouvants sous mon misérable esquif, me terrorise. Plus que les requins et autres carnassiers, c’est l’inconnu – l’insondable – que je crains. Je plisse les yeux ; pas de terre en vue, rien à quoi me raccrocher que le plastique du canot. Je n’ai guère de connaissance en courants océaniques mais je sais que j’en suis à présent le jouet. Qui sais si le Gulf Stream ou l’un de ses frères (ou sœurs) ne va me happer, m’éloigner de toute côte plutôt que de m’en rapprocher, me conduire inexorablement vers le Nord ? </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">B</span>izarrement, en plein Atlantique, c’est bien la soif que j’ai ressentie juste après ma peur irraisonnée des abysses. Le soleil brûle, mes lèvres sèchent, et je sais que m’abreuver de salinité marine me conduirait inexorablement à la mort. Au demeurant, ne pas boire produirait un effet identique. Tout bon manuel du naufragé conseillerait de boire son urine (qui contient de plus moult sels minéraux bénéfiques à l’organisme) pour éviter la déshydratation. L’instinct de survie peut pousser à bien des extrémités mais j’hésite ; j’hésite et je contemple les flots ondulants, je regarde le soleil carnassier qui descend progressivement jusqu’à l’horizon. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">E</span>nfin il fait nuit, la chaleur s’est enfuie, un froid mordant me transperce. Noir sous moi, les fonds marins – noir autour de moi, l’obscurité ; noirceur partout. Est-ce l’effet du froid ? Des larmes roulent sur mes joues, leur sel agresse mes lèvres fendillées avec ironie. Je maugrée contre cette humidité qui s’échappe de mon corps, le dessèche goutte à goutte. Mais les pleurs sont plus forts que ma volonté. Ma vie s’enfuit par mes yeux et je reste prisonnier de mon habitacle microscopique. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">A</span>près la nuit vient le jour, après la soif reste la soif, encore et omniprésente. L’aube se montre, une lueur vague. J’entends un claquement et mon regard fouille le lointain pour en découvrir la source, longtemps, avant de m’apercevoir qu’il ne s’agit que de mes dents qui s’entrechoquent. Au loin, en place de l’horizon aqueux, j’aperçois un mur, un mur que le soleil peint d’orangé. Une muraille brillante, aveuglante même, la Grande Muraille de glace – et ce froid, plus intense à chaque minute. Ma peau est bleue, comme l’océan, seuil de la cryogénie – l’iceberg grandit à vue d’œil mais sa teinte safranée ne devrait-elle pas être celle du crépuscule ? Le temps s’est emmêlé autour de moi. Cette glace orange, fraîche comme une mandarine, parfumée, sucrée peut-être. Orange comme mon canot de sauvetage dont mes lèvres épousent le plastique insipide. Le soleil se lève. Le soleil se couche. Orange.
</span></span></div>
Unknownnoreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-4923464360649450713.post-4053963153949513832013-04-10T22:33:00.002+02:002013-04-10T22:33:46.550+02:00Férir (JPH n°156)<i><span style="font-family: Arial,Helvetica,sans-serif;">Jeu littéraire du forum <a href="http://avosplumes.xooit.com/index.php">À vos plumes</a> - écrire un texte incluant un téléphone sonnant en pleine nuit, et ce au milieu du texte (à une centaine d'espaces près), élément qui devra être inattendu et jouer un rôle important dans le texte. </span></i><br />
<br />
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">J</span>’avais imaginé que l’oubli viendrait, à la manière des objets trouvés sur lesquels le possesseur perd tout droit après un an et un jour. Mais l’année s’était écoulée, l’image de Luka ne s’était pas estompée – à force d’être étouffée, elle prenait même une ampleur qui occupait tout l’espace, tout mon espace. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">J</span>’avais attendu un an sans qu’il me donnât aucune nouvelle, ni lettre, ni appel, il aurait aussi bien pu être mort. Puis ce jour supplémentaire, ce jour de trop, et s’il n’était pas mort, je le serai sans doute bientôt. J’avais longuement réfléchi au moyen d’en finir mais, il fallait l’avouer, j’étais lâche, j’avais peur de souffrir. J’avais pensé à la défénestration mais la chute aurait désarticulé mon corps, irrémédiablement, ce corps que Luka aimait, à sa manière. Finalement, la violence m’était étrangère, sauf peut-être celle que je m’infligeais maintenant, sauf peut-être celle dont Luka faisait preuve, autrefois. Mélanger les médicaments jusqu’à obtenir une dose létale avait été d’une déconcertante facilité. Les avaler également, comme si cela avait été fait par quelqu’un d’autre. Bien sûr, j’avais la bouche un peu pâteuse, l’esprit également. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">J</span>e ne souffrais pas, dans ma chair du moins, je plongeais peu à peu dans une tranquillité sombre, sans doute parce que la nuit était tombée et que je n’avais plus l’énergie nécessaire pour m’extirper du canapé et allumer la lumière. Après tout, l’obscurité convenait parfaitement à mon état, je pourrais peut-être m’agripper à quelque étoile. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">P</span>uis j’entendis cette mélodie ; je crus d’abord que je rêvais mais c’était bien la sonnerie de mon téléphone, cette sonnerie personnalisée qui ne réagissait qu’à son appel. Je tendis la main vers l’appareil, posé sur la table basse, à moins d’un mètre, ce mètre comme un infranchissable obstacle. Il me sembla que mon bras n’avait pas même bougé, mon corps pesait plus lourd qu’un cercueil, il demeurait collé au canapé, alourdi de sommeil. La sonnerie cessa, dans le silence qui suivit j’imaginai la messagerie se déclencher et Luka y graver sa voix. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"><span style="margin-left: 30px;">C</span>omment m’extirper de cette narcolepsie ? Mon esprit ne fonctionnait déjà plus guère, il suivait le cours d’un fleuve visqueux, sans échappatoire. Puis la sonnerie retentit à nouveau, le même air, le visage de Luka apparut, je sentis ses mains sur moi, ses mains fortes, trop fortes parfois. À nouveau je ne pus bouger ; d’après Luka, j’avais toujours été faible, à raison, je n’avais pas la force de tendre le bras vers lui, une simple pression sur le téléphone aurait pourtant suffi. Malgré la brume, je percevais l’ironie de cet appel advenu trop tard, d’un rien, d’un rien démesuré, mais le sommeil m’empêcha même d’en sourire. </span></span></div>
<div style="text-align: justify;">
<span style="font-size: 155%;"><span style="font-family: Times,"Times New Roman",serif;"> <span style="margin-left: 30px;">J</span>’entendais encore la mélodie mais je n’aurais su dire s’il s’agissait ou non du fruit de mon imagination. Si Luka avait été présent, il aurait pris les choses en main, je connaissais ses coups, ils avaient toujours été des électrochocs, ils auraient été les bienvenus aujourd’hui, ils auraient mis fin à mon inertie. La musique m’accompagnait, elle envahissait la pièce, recouvrait le canapé ; derrière mes paupières, il faisait totalement nuit, sans plus d’étoiles, sauf celles de la mélopée lancinante et brutale de Luka.
</span></span></div>
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