Écritures, billets, nouvelles, contes, brachygrammes, poésies, prosoésies, ludilemmes, romans...

Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

jeudi 29 octobre 2009

Syzygie

Eaux enfuies, lointaines sur la plage immense où toute trace de sirènes s’absente. Le sable dessine des rigoles, les algues s’y meuvent avant de mourir, promises à une lente et létale dessiccation. Les traînées de coquillages façonnent des empreintes de voies lactées, stériles.
L’océan t’engloutit, les traces de ton corps se perdent entre les flots, l’odeur de tes cheveux s’est noyée dans le sel. La mer s’est précipitée au loin, la mer refuse de te régurgiter. L’estran s’est dénudé, son agonie solaire peine à refléter le ciel. Jouet d’immersions et d’exondations cycliques, il me nargue de son dépouillement pathétique duquel ne peut poindre nul signe de toi. Maudite marée de morte-eau qui me prive de l’illusion de t’entrapercevoir, riant des vagues, frétillant sur l’écume !
Demain peut-être – ou plus tard mais la patience me fait défaut – les astres tidaux se conjoindront et, d’un même élan, produiront une marée immense, digne de toi. Les eaux fleuriront, riches de leur profusion ; aussi, jaillis devant moi ! Épouse la courbe des lames ! Sois ma nymphe transparente, mon souvenir anadyomène !

samedi 24 octobre 2009

Mille notes dans les ramures des arbres

Le vent s’éveille, s’immisce dans les ramures des arbres, souffle ses mille notes, ébouriffe mes cheveux, torsade mes oreilles.
Le vent – plein de sa force, vide de son insaisissabilité – se jette sur ma poitrine, résiste un instant à mes bras puis disparaît dans leur étau. Quelques rafales me bousculent, d’autres m’arrachent des larmes, incoercibles, comme ton absence, comme ta perte, comme la mort. Petits lambeaux de chairs tressés, douloureusement ; petits lambeaux de chairs, chair de ma chair.
Le vent, tendrement, exhale un soupir, singe mes soubresauts. Respiration des airs, haleine élémentale d’où bruissent les feuillages denses et oublieux. L’atmosphère est froide, l’eau salée et l’humidité se confondent, forment un lac immense ; les souvenirs y sont promis à une noyade certaine, les courants charrieront ta trace des fleuves aux océans, des pièges à vent aux tempêtes. Les typhons porteront ton nom et, par ces retrouvailles onomastiques, tu détruiras le monde à l’image du mien. Dévastation.
Le vent souffle ses mille notes dans les ramures des arbres.

samedi 17 octobre 2009

[ʃyt]

Je reviens de loin, du pays des loups, du pays des fous, là où toute chose s'éternise cruellement et perdurent les tourments de l'absence. Le temps s’y écoule avec une horripilante parcimonie, comme retenu par un parachute.
Je reviens de loin, d'une terre étrange et étrangère où ta présence fait défaut, où ton image me nargue de sa silhouette en creux. Ton corps s'émousse, son souvenir à l'avenant, son désir toujours patent. Je songe à d'autres chairs, d'autres contacts délictueux, d'autres entractes délicieux, avec d'autres, beaucoup, énormément, jusqu'à en être ivre et inconscient. Jusqu'à en oublier le manque et, peut-être, retrouver le goût et le grain de peau, la saveur des sons, la caresse des liqueurs. Jusqu'à noyer la carence dans l'onde du rien – vide savoureux, texture subtile de l’inconscient, onirique et pathétique, en un sombre gouffre, vertical, abyssal, incommensurable. Chute !
Je reviens de loin, aussi loin que l’univers, que le noir infini où s’égarent les particules, où tanguent des planètes incertaines, des continents de feu, des fleuves de larmes. La voie lactée imite le geste de tes mains, vaste et péremptoire ; son contour en reste flou et j’en découpe les franges, fil à fil, jusqu’à la trame même, comme une Pénélope éplorée, et lasse. Ne parlons de rien, taisons les rides qui parcheminent nos épidermes et nos mémoires, fermons nos lèvres hermétiquement, ineffable mutisme. Chut !

mercredi 14 octobre 2009

J'aime mon chat

A lire ici ou sur Mot Compte Double, le blog de Françoise Guérin, suite à son appel à texte dans la série "Je vous le donne en mille" (texte d'exactement mille signes, espaces comprises, faisant mention d'un chat).


J’aime mon chat ; ses yeux de jade sont deux lucioles, sémaphores nocturnes dont je guette nuitamment les déplacements erratiques. Ses miaulements sont des mots délicats qui tentent de dire l’ineffable. Ronronnements feutrés et courbes gracieuses, tels sont ses attributs (sans oublier, bien sûr, quelques touffes de poils abandonnées sournoisement sur le canapé).
J’aime mon chat même s’il rentre bredouille de la chasse. Les plus viles souris ont déserté la place, aucune ne s’offre à ses velléités cynégétiques. Quant aux rats, inutile même d’y penser. Aussi, geint-il devant sa gamelle vide, fait les cent pas de chat, et gémit encore, effroyablement. Il se lèche le fondement en attendant sa pitance – bon appétit !
J’aime mon chat mais j’ai faim. Je l’ai mangé. J’avoue que le plus difficile a été le dépeçage, sans doute par manque d’habitude. J’ai tenté le rôti, puis le ragoût. À ma grande surprise, c’était plutôt savoureux, surtout les râbles. Décidément, j’aime mon chat !

samedi 10 octobre 2009

Thébaïde

Les jours se succèdent, tous identiques, déposent dans ma mémoire des carrés réguliers et calendaires ; les dates défilent, du un au trente et un, immuablement à quelques nycthémères près. Que penser de tous ces neurones occupés si futilement ?
Au lever déjà, des cris me poursuivent, les disputes jaillissent de droite et de gauche, toutes entachées de mauvaise foi. Je me penche sur mon bol de thé, j’observe les dessins laissés par le beurre, j’écoute à l’intérieur le croustillant de ma tartine, je tente de m’absorber dans cette contemplation. Mais toujours l’agitation familiale me cerne, les bruits phagocytent ma bulle de calme, éphémère, éclatée au premier cri. Paix et foyer seraient-ils antinomiques ?
De la maison à l’hôpital, le train crisse, les téléphones vrillent, le son des rails hypnotique. Le bus me brinquebale, la cohue est humaine et automobile, tous les sens tiraillés, les yeux accrochés par les mouvements, les lumières, les publicités stupides. L’ouïe est mise à mal, bourdonnements, cacophonie, acouphènes. La promiscuité s’immisce par tous mes pores, étrangeté d’un monde qui fuit le délice du vide.
Odeur hospitalière, âcre. Tous les vieillards me harcellent de leurs regards implorants, nécessité de vigilance, constamment. Tous quémandent une attention, une parole, une ébauche de sourire, tout geste devient une panacée. Aujourd’hui, l’un d’eux est mort, avant mon arrivée, la chambre déjà désinfectée attend une autre forme, une nouvelle silhouette cacochyme, muette et sans doute elle aussi désincarnée. Existe-t-il un lieu exempt de naissance et de mort, un refuge exquis où l’existence se réduirait à l’évidence ?
Fatigue ; chacun réclame son dû : femme, enfants, collègues, amis, voisins, tous y compris les étrangers croisés au hasard des rues, des magasins. Tous envahisseurs de ma proxémie !
Moi qui rêve de quiétude suis plongé en asolitude, villégiature bruyante où tout isolement ne peut être qu’illusoire. Nul autre ne souhaite à ce point connaître une seconde de néant, enfin séparé de toute stimulation. Je fais quelques œillades à la méditation, les sages ne surnagent-ils pas dans un univers de sérénité ? Mais au premier jour, mon esprit manifeste sa véritable nature incessamment créative, les idées germent, les images se bousculent, les digressions sont sans fin. Le second jour, j’expérimente quelques vérités sur moi-même qui me laissent amer et déconfit. Le troisième, je constate que le chaos extérieur n’est rien en comparaison de mon brouhaha intérieur. Le sommeil lui-même ne m’apporte qu’une tranquillité relative, entrecoupée de rêves, hachée de cauchemars délictuels et de réveils brutaux.
Et pas une seconde je ne songe à la mort ; qui sait ce qui se trame sur l’autre rive ? Il me faut être réaliste, la multitude des défunts – quelle que soit sa domiciliation, édénique ou chthonienne – doit bien s’y terrer, prête à m’accueillir, prête à m’envahir, elle aussi. La Terre compte plus de six milliards d’individus, ce chiffre déjà insupportable ne peut être que broutille comparé au peuplement de l’au-delà.
En désespoir de cause, je harangue la foule, je l’invective, peut-être rehaussé sur une caisse, voire sur le toit d’une voiture. Et je crie « Solitude ! Solitude ! » jusqu’à en être enivré, jusqu’à ce que mes hurlements soient si présents qu’ils m’en fassent oublier mon entourage et les badauds ridicules qui m’observent en souriant, qui s’enfuient le nez sur le trottoir. Et je proclame la Solitude, comme un état souverain, un droit inaliénable. Et je proclame la Solitude ; si j’en avais appelé à une tendre thébaïde, nul ne m’aurait compris.

Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
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