Écritures, billets, nouvelles, contes, brachygrammes, poésies, prosoésies, ludilemmes, romans...

Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

dimanche 12 janvier 2014

Phalanges break

D’abord je n’ai pas prêté attention au léger cliquetis (un faible tic ! et encore, à peine) presque couvert par le bruit de la serviette frottant mon dos. En posant mon pied hors de la baignoire, j’ai senti une piqûre discrète. Fiché dans ma plante, un ongle que j’ai retiré d’un coup sec, outch ! un ongle entier. J’ai cru que les gouttes de sang provenaient de la coupure puis me suis rendu compte que mon auriculaire gauche perlait de rouge. Le cerveau humain est fait de telle façon qu’il cherche toujours une explication rationnelle à toute chose : j’avais moi-même arraché mon ongle en m’essuyant, la vapeur bouillante de la salle de bain ayant certainement fait office d’anesthésiant. Un pansement et hop ! on n’en parle plus. 
C’est en diluant une cuiller de miel dans mon thé que le plouf de mon index tombant dans le bol m’a alerté. J’ai fixé ma main au doigt sectionné, bouche bée - curieusement, je ne ressentais aucune douleur, mais mon petit-déjeuner était irrémédiablement gâché. J’ai épongé tant bien que mal le sang qui a joliment coloré une bonne douzaine de mouchoirs en papier. 
Sans être alarmiste, j’ai tout de même pris rendez-vous chez mon médecin qui est resté sans diagnostic précis et, surtout, sans voix lorsque mon pouce gauche s’est spontanément détaché sur son bureau. J’ai bien cru qu’il allait tourner de l’œil. Il m’a expédié manu militari aux urgences de l’hôpital en maugréant contre les traces sanguinolentes que j’avais laissées sur sa moquette. Tout à sa mauvaise humeur, il ne m’a même pas rendu mon doigt perdu. Quant à l’urgentiste, il n’a guère été plus prolixe et, après une série de euh hésitants, a émis l’hypothèse d’une nécrose spontanée, maladie sans doute diafoiresque. 
Je suis donc rentré chez moi avec de plus en plus de questions mais de moins en moins de doigts (j’en perdis un dans le bus et un second dans la rue où je dus me battre pour qu’un caniche ne le dévore pas). J’ai d’ailleurs eu le plus grand mal à tourner la clef dans ma serrure… 
Puis la nuit est tombée et la chute digitale a cessé, comme un automne craignant la pénombre. Les tissus avec lesquels j’épongeais le sang avaient fait leur office et j’ai enfin pu quitter la baignoire dans laquelle j’avais trouvé refuge - je ne tenais pas à souiller tout l’appartement ; je détestais déjà passer le balai espagnol, mais avec six doigts au lieu de dix… J’observais mes mains : la présomption de nécrose me semblait sans fondement car il n’y avait ni la coloration noirâtre ni l’épouvantable odeur qui l’accompagne d’ordinaire. 
Finalement, j’ai cuisiné mon dîner avec tant d’habileté que je n’étais pas loin de penser que les doigts à la dizaine sont presque surnuméraires. Je me suis donc couché, quelque peu rasséréné, bien décidé cependant à appeler mon médecin dès le lendemain pour récupérer mon dû. 
Je me suis réveillé sitôt après l’aube. J’avais la bouche totalement déshydratée. Je me suis levé - un peu brusquement peut-être, ceci expliquant sans doute cela, pour aller prendre un verre d’eau. Mon bras s’est emmêlé dans les tortillons du drap : shfffritchhhh…

Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
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