Écritures, billets, nouvelles, contes, brachygrammes, poésies, prosoésies, ludilemmes, romans...

Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

mardi 31 janvier 2012

50 noms - sitamat (JPH n°127)

Jeu littéraire du forum À vos plumes : écrire un texte sur le thème "On a trouvé un cadavre dans la Tamise. Chose assez fréquente. Mais celui-ci est pourvu de deux têtes…"
Contrainte supplémentaire de mon cru : ce texte fait suite aux trois derniers écrits pour les précédents jeux. Pour lire les textes dans l'ordre chronologique, commencer par 50 noms - atausiq.


    34 – Mustela erminea ? suggérai-je à mon homologue britannique. L’homme releva le col de son manteau : « Une hermine blanche effectivement, un gène tératologique, deux têtes » acquiesça-t-il avec pragmatisme.
    J’avais d’abord suivi les traces de la Créature à Paris sur les berges de la Seine, puis de plus en plus loin de la capitale. Bientôt, je l’avais perdue pour la retrouver ici, sur les rives de la Tamise – je supposai qu’elle avait traversé la Manche dans les cales d’un ferry, sauf à ce qu’elle possédât une capacité natatoire impressionnante.
    J’étais moins intéressé par la particularité qui avait doté l’hermine de cette mutation bicéphale que par les empreintes de mâchoires que la Créature avait laissé sur le cadavre de l’animal, des marques minuscules, presque humaines. Je n’avais recueilli que peu de témoignages mais tous se recoupaient pour décrire une silhouette humanoïde, fuyante ; certains décrivaient une fourrure sauvage, d’autres avaient imaginé des voiles vaporeux comme si elle avait déplacé dans son sillage des volutes brumeuses et folles. Mais toujours je retrouvai les dépouilles improbables d’animaux dévorés, des animaux immanquablement blancs.
    35 – Oie blanche (pas nécessairement innocente pourtant)
    36 – Tourterelle neigeuse
    37 – lagopède hivernal
    Il faisait un froid glacial le long du fleuve, le gel avait raidi la dépouille de l’hermine mais il était évident que la mort était récente. La Créature ne pouvait être loin, la nuit tombait déjà. Je me séparai de la brigade scientifique et poursuivis seul ma chasse, le nez tourné vers le sol en quête de nouvelles proies laissées par mon obsédante Créature. Je crus voir un cygne exsangue (pour 38) mais il ne s’agissait que d’un sac plastique gonflé de vent dont le logo rouge figurait une tache sanglante. La Créature se sustentait sans doute également de prises insignifiantes dont ne subsisterait nul indice : asticots albuginés (à cataloguer au n°39) ou, en d’autres lieux, axolotl larvaire et leucistique (indice 40).
    J’entendis soudain un bruissement ; à l’extrémité de mon champ de vision se mut une silhouette blanchâtre. Je sortis de ma besace l’appât apporté pour l’occasion.
    41 – Un lièvre variable ? soufflai-je dans le froid, comme si la Créature pouvait me comprendre.
    J’agitai le cadavre devant moi et l’effet ne se fit guère attendre. La Créature se précipita sur le gibier offert et, tandis que je tentai de la saisir, elle se débattit avec une vigueur et des hurlements inattendus dans un corps aussi frêle. Plongé dans la nuit, agité par la lutte, excité par l’imminence de ma réussite cynégétique, je discernai néanmoins dans le fauve furieux qui se démenait une fourrure dense et emmêlée, des voiles transparents et déchirés et, plus saisissant encore, un visage de femme transfiguré de bestialité. J’en fus si surpris que je restai en suspens une brève seconde que la Créature mît à profit pour me mordre violemment la main et, tandis que je hurlai de douleur et relâchai mon étreinte, s’enfuir, non sans emporter avec elle mon offrande aux longues oreilles.
    Notre premier contact avait été un échange (équitable ?), une morsure vermeille contre un lièvre blême.
    42 – Une fille félincolore… murmurai-je dans la bise nocturne.

dimanche 15 janvier 2012

50 noms - pingasut (JPH n°126)

Jeu littéraire du forum À vos plumes : écrire un texte dans lequel un embouteillage joue un rôle important.
Contrainte supplémentaire imposée par moi seul : cette histoire fait suite aux deux précédentes. Pour lire les textes dans l'ordre chronologique, commencer par 50 noms - atausiq.

    23 – Tendre lys ! aurais-je pu me nommer, ainsi vêtue que j’étais de ma robe longue, d’une virginité faussement candide. Il faisait frais dans la voiture qui me menait à l’église, je m’étais entourée de l’étole que Luka m’avait offerte, l’étole de fourrure blanche d’un fauve quelconque prétendument chassé par ses soins au Népal, ou au Ladakh.
    Père conduisait, pestant contre le froid de décembre qui provoquait de la buée dans l’habitacle et lui interdisait d’ouvrir la fenêtre. « Et quelle idée de se marier la veille de Noël, quel curé a pu accepter de vous unir un 24 ! »
    24 – Nativité glaciale, murmurai-je, sans trop savoir pourquoi.
    À mesure que nous avancions, la circulation se faisait plus dense, une horde d’acheteurs retardataires partait à l’assaut des magasins. Père râla à nouveau, contre les ralentissements et les passants qui traversaient dangereusement, les gens sont fous !
    25 – Givrés ! ajoutai-je.
    L’embouteillage ne semblait vouloir se résorber, quelques klaxons retentirent tels des carillons célestes (et enroués par le gel) célébrant avant l’heure mon alliance. Et plus les conducteurs s’impatientaient en trompetant, plus mon hymen rejoignait les cieux.
    Puis je vis tourbillonner quelques flocons (la neige elle-même fêtait mes épousailles) qui, lorsqu’ils atteignaient la chaussée, se dissolvaient instantanément. Père maudissait les bouchons mais je me sentais calme. La neige redoubla, par réflexe je m’emmitouflai dans mon étole, m’en couvris même la tête au risque de froisser mon chignon élaboré, quelques uns des longs poils me chatouillèrent les joues. Et plutôt que de songer à Luka s’inquiétant de mon retard, je tentais d’imaginer le bruit minuscule des flocons s’écrasant à terre :
    26 – Éclat !
    27 – Bing blême !
    28 – White bang ! Celui-ci m’amusa beaucoup, je pouffai, Père leva les yeux au ciel. Ses mains étaient crispées sur le volant de la voiture immobile : « 14h30 ! C’est l’heure ! » Je consultai ma montre, il n’était que 29…
    29 – Iztac
    30 – Hvítt (presqu’onomatopéique)
    Des noms sans suite germaient dans mon esprit. Nous n’avancions plus, la neige accomplissait peu à peu son œuvre de recouvrement sous l’œil effaré de Père. Mais il fut plus sidéré encore lorsque j’ouvris la portière et, au mépris des éléments, sortis. Père m’interrogea du regard.
    31 – Mystère (glacé ?)
    Enveloppée de ma fourrure sauvage, je ne craignais pas la faible température. Je zigzaguai entre les véhicules à l’arrêt, le blanc de la neige formait un camaïeu poétique avec ma tenue du même coloris. Mon voile qui léchait le sol dessinait des arabesques et mes souliers qui dérapaient à l’envi marquaient de leur empreinte délicate la voie. Je rejoignis le trottoir et m’engageai dans une rue adjacente. Au lointain, j’entendis Père me héler :
    Alba ! Alba ! (pour 32 et 32 bis)
    Mais je ne pouvais interrompre ma course, la neige recouvrait l’étole poilue, une odeur carnassière s’en échappa. J’étais prise d’une folie hivernale qui transcendait ma volonté. Je me transmutais dans les météores hexagonaux, j’étais une étoile…
    33 - …polaire
    Et, à défaut d’épouser Luka (car, dans mon ivresse glaciaire, je n’aurais su retrouver le chemin de l’église), les flocons se mariaient merveilleusement avec l’ivoire satiné de ma robe.

lundi 2 janvier 2012

50 noms - marruuk (JPH n°125)

Jeu littéraire du forum À vos plumes : écrire un texte dont l'idée générale est le changement (transformation, métamorphose, bouleversement...) et comportant au moins trois des quatre éléments suivants : un prénom, une ville, un pays, une fleur.
Contrainte supplémentaire imposée par moi seul, ce texte fait suite à celui du précédent jeu : 50 noms - atausiq.


15 – Khangs ! m’étais-je écrié ; je savais de nos noms possibles celui-ci dans une langue lointaine, du Tibet peut-être, j’avais repris le flambeau (terme ironique au vu du froid qui nous cernait) de mon frère-flocon qui s’était si brusquement dématérialisé, dans un cri que moi seul avait entendu. La tourmente m’emportait également, déjà le souvenir de mon défunt devancier était noyé sous les ululements du vent.
Quant à moi, mon sort aurait pu n’être guère plus enviable mais des bourrasques pleines de fantaisie me maintenaient un peu au-dessus du sol sans pour autant que je m’y inclusse. Je profitai de ce répit relatif pour égrener la litanie dont j’étais à présent le détenteur.
16 – Spirée liliale
17 – Spirale liée
18 – Tuhina
19 – Fri-fri-frimas
Les mots se succédaient, j’étais pris d’une fougue baptismale, je m’apprêtai à énumérer un vingtième nom lorsque la silhouette mouvante apparut. D’abord diffuse, la montagne de poils guerroyait contre mes compagnons, dérisoire malgré sa masse, la gueule béante dans d’impossibles cris, gueule dans laquelle le vent facétieux, en compagnie d’autres moi-même, m’engouffra.
Si mon prédécesseur avait disparu dans le néant, je me dissolus presque instantanément dans ce chaud gosier de Yéti ; curieusement, ma conscience ne s’estompa ni ne rejoignit celle de son avaleur. Je ressentais dans ce-qui-n’était-plus-mon-corps les pulsations du flux sanguin de mon hôte, un fragment de mon esprit circulait dans ses muscles, dans ses veines, dans son cœur chaleureux. J’éprouvais sa force et elle me sembla colossale – de la tempête dévastatrice je n’avais été qu’un élément minuscule (bien qu’indispensable), j’étais à présent compris dans celui qui luttait contre elle, avec vigueur et, si je n’avais pas connu de l’intérieur la fureur de la neige, j’aurais pu espérer qu’il la vainquît.
Une partie de mon être effacé traversa le crâne du monstre, je m’accrochai de mon mieux à un neurone, je m’essayai à la communication.
20 – Blanche toison, murmurai-je, autant pour le nommer que pour que perdurât mon labeur onomastique.
Mais de réponse, point. Je me souvins l’avoir entendu désigné comme le Mirgö et tentai cette appellation sans plus de succès, sauf à ce que ses mouvements brusqués en fussent. Je ne trouvais rien à ajouter, ma lucidité n’était plus aussi vive, assez cependant pour que je me sentisse me dissoudre peu à peu, mais totalement, dans la chair qui me transportait malgré elle. Comment mènerais-je à terme la tâche des trente noms restants ? Poignaient ainsi des relents de trahison envers les miens.
Dans un ultime effort avant mon irrévocable désagrégation, j’inoculai mon énergie – celle du désespoir sans doute – au cerveau de la bête, je susurrai de mon haleine transie à ses circonvolutions quelques phonèmes, je m’étendis sur sa matière grise. Et par ses oreilles devenues miennes, je crus entendre :
21 – Grrrrrrrr
J’ai poursuivi mon effort, abandonnant les derniers lambeaux de mon intégrité, le vent a porté sa voix féroce, son rugissement s’est éparpillé parmi mes frères-pareils.
22 – Grrrrrésil…

La suite de ce texte avec 50 noms - pingasut.

50 noms - atausiq (JPH n°124)

Jeu littéraire du forum À vos plumes : écrire un texte dont l'incipit est imposé.

Je cherchais un endroit tranquille où mourir. Où mourir, m’éteindre, fondre peut-être – j’étais un flocon, je tourbillonnais, enivré de gel. Chute (lente), chute (ô l’incertaine durée de mon existence), chut !
D’aucuns prétendent que les Eskimos possèdent 50 mots pour désigner la neige ; c’était, m’a-t-on dit une légende, mais le temps que j’atteigne le sol, aurais-je trouvé autant de noms pour me désigner ?
1 – Plume stellaire (tentons la poésie)
2 – Nive d’éther
3 – Shenamanuh (essayons l’exotique)
4 – voile tendre, voile aigu
5 – Souffffffflllle
Je cherchais un endroit où mourir, peut-être sur ta main, sur ton front, ou ta langue si elle pointait. Pourquoi disparaître si je ne t’atteins ? J’ai suivi le cours du vent, dérivé avec le blizzard, ouhouhouh conspuait-il, son bruit se perdait en lui-même, brouhaha…
6 – Points blancs (acné des cieux ?)
7 – Antre-d’ours
8 – Éternuements !
J’ai dérivé, à chaque seconde je voyais ma vie défiler, pareille à un saut ultime ; quelle injustice qu’une si brève destinée ! Et malgré mon véhicule de bise et le gel par qui je perdurais encore, je ne te voyais pas, les bourrasques de neige m’aveuglaient, je m’aveuglais moi-même.
9 – Écran de nacre (ou le neuvième nom en anagramme)
Parfois, je m’échappais du cyclone de glace, malgré moi, et sur mes flancs hexagonaux, sentais la morsure d’un subtil réchauffement, rognant mes ailerons, mes ramures délicates telles un arbre diaphane, sujet à la dissolution. Mais de toi, point. J’entendais quelquefois les chuchotements de mes frères, de mes sœurs, mes allié(e)s de tourmente, certains ont vu des enfants couchés sur le sol bougeant bras et jambes, faisant naître de leurs reptations des anges de neige. Certains le racontent, certains le racontaient mais ne sont plus là, ils se sont éteints d’un claquement muet dont nul retentissement ne naquit, sort de flocon.
10 – Qanik
11 – Albedune
Malgré mes compagnons blancs qui s’escriment à voleter devant mes yeux, j’entr’aperçois le sol qui monte vers moi, d’un ivoire univoque, prêt à m’inclure en lui ou, pire, à m’y faire disparaître. J’ai hélé mes acolytes, je ne connaissais nul dieu inuit, sauf à croire que leurs statuettes ursines pussent me protéger ; encore me poserais-je sur un des inuksuit éparpillés qui émaillent les déserts boréaux.
12 – Eira
Puis ce fut l’aurore, de ces aurores bleues et vertes qui transforment le ciel en émeraude irrégulière, j’ai admiré les reflets tremblants, j’en ai oublié – un instant seulement – ta peau piquetée des dards de grêle. Un instant d’inattention, j’ai échappé au manteau du vent et, isolé de sa couverture glaciale, j’ai senti mes six bras se désagréger.
13 – Anklebreaker
Il me faudrait encore trente-sept noms pour atteindre la nomenclature eskimaude ; trente-sept secondes d’existence au moins, une misère, une éternité. Je cherchais un endroit où mourir, tes lèvres, tes paupières sur lesquelles je me serais évaporé, te laissant en écho mon froid mortel.
14 – Génie de neige (encore une anagramme, j’en suis un !)
Enfin, j’avais trouvé cet endroit où mourir, nulle part, là ou ailleurs, au creux de l’atmosphère, loin de tout. « Trente-six noms encore » ai-je crié à mes congénères ! sauf à m’être éteint dans un songe.
15 - …

Suite de ce texte avec 50 noms - marruuk.

Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
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