Écritures, billets, nouvelles, contes, brachygrammes, poésies, prosoésies, ludilemmes, romans...

Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

lundi 18 juillet 2011

Émoi et moi (JPH n°115)

Jeu à consignes du forum À vos plumes : écrire un texte dont le personnage central est un grand timide. Contrainte supplémentaire : utiliser au moins 6 fois "chaque fois c'est pareil".

De loin déjà, Sa silhouette s’est dessinée parmi les autres, plus clairement, plus hypnotique. De loin déjà, j’ai imaginé Son regard se posant par hasard dans le mien et j’ai rougi, un picotement s’est manifesté à la racine de mes cheveux. Chaque fois c’est pareil…
Chaque fois c’est pareil, disais-je, je maudis la pusillanimité qui m’étreint, je me voudrais viril et rodomont ! Mais de cette assurance, point ! Je me tords les poignets, je bafouille empêtré dans un embarras plus lourd qu’un âne mort. Chaque fois c’est pareil, Elle me croit bègue, ou demeuré, voire les deux ; chaque fois c’est pareil, Elle me toise avec commisération, au mieux avec attendrissement. Ses yeux me détaillent, Sa bouche s’entrouvre, sans doute pour me narguer et j’y entrevois Ses dents fraîches qui, je le sais, cachent de leur blanc écrin une langue lascive. Et pourtant, de lascivité, je ne connais que la mienne qui me titille, je poursuis dans mon corps le trajet d’étincelles voluptueuses. Mais Elle passe, hautaine, et je garde pour moi mes déflagrations érotiques, je les ressasse dans la solitude ; désirs ni éteints ni assouvis.
Chaque fois c’est pareil, Elle sourit de mes efforts pour l’approcher, mes efforts misérables et maladroits. Elle me parle comme à un frère, moi qui ne la verrais telle une sœur, si ce n’est incestueusement. Elle me parle comme à un saint, moi qui imagine Sa poitrine sous son pull, Ses hanches sous Sa jupe étroite, si étroite qu’elle en souligne la découpe de Son sous-vêtement. Je me penche vers Elle, je susurre à Son oreille, Elle rit (ne devrait-Elle pas, le proverbe le dit, être à moitié dans mon lit ?) mais jamais Ses lèvres ne se posent sur ma peau, jamais les miennes n’effleurent Sa carnation parfaite. Chaque fois c’est pareil, cette aguicheuse redresse Son épaule immodeste, rehausse la courbe de Son sein d’une torsion érotique du torse – tandis que je ne Lui réponds qu’en gestes émotifs, en propositions confuses. N’est-ce pas pure cruauté que d’ainsi profiter de ma gaucherie ? Que les Dieux ne m’ont-ils façonné monolithique et hardi !
Pourtant, j’ai posé mes mains sur Son sein et Elle n’a pas hurlé – les choses sont souvent plus simples qu’on ne les imagine. Définitivement, Sa peau est douce et, croyez-moi, j’en ai exploré tous les secrets, environ 2 m² d’épiderme si j’en crois les précis d’anatomie. J’ai pu m’épancher, un peu libidineusement je l’avoue, ma réserve naturelle ne met guère de subtilités à ma disposition, et la fin ne justifie-t-elle pas les moyens, même lorsque je suis sur le point de les perdre ? Finalement, j’ai posé mes mains sur Son corps, partout où l’envie m’a guidé, enfin sans atermoiements, avec un plaisir non dissimulé. Évidemment, il est bien connu que les allumeuses ne sont pas les plus expansives et Elle ne pouvait guère me rendre mes caresses, soigneusement liés qu’étaient Ses poignets et bâillonnée Sa bouche. Chaque fois c’est pareil…

mardi 12 juillet 2011

Horloge andronique (ζ – Lips, seuil contraire)

Un temps, j’ai vieilli ; mes doigts ont poussé, croches, tarentuleux – un temps seulement. Puis le processus s’est inversé, comme l’est toujours le souvenir, s’amenuisant, tentant de laisser trace dans l’océan. Tu as accroché ton corps à la poupe du navire, sans doute pour narguer le passé et tu as imploré les vents, tu les as suppliés afin que, favorables, ils renversent la marche des marées, le cours des nycthémères même. Et par leur intercession, la nef s’est entichée d’une avancée négative et toi, sous les reins de la lassitude, tu as détourné ton regard, enfin proue, enfin sauvage.
L’eau s’est écoulée – avec gaieté ? avec paresse ? – avec constance assurément. J’ai posé mon doigt au cœur de la clepsydre, son intérieur a crissé sous ma pulpe, seuls y demeurent quelques signes épars d’humidité. D’autres bourrasques sauraient-elles pousser vers moi des nues amoureuses, porteuses en leur sein d’une vie aqueuse ?
Je tourne autour du bâtiment, j’en cherche une entrée, à moins qu’il ne s’agisse d’une issue, un passage étroit et symétrique, comme l’était ta figure navigatoire. Les aiguilles des boussoles, déraisonnables, ne pointent que leur ignorance ; elles s’affolent, petits spasmes métalliques, sextants en rade, radars à leur tour déboussolés.
J’ai jeté une pierre dans l’océan, les rares vagues n’en ont pas même étouffé le bruit. J’y ai précipité une seconde, puis une autre, inlassablement. Dans un millénaire, dans un million d’années, j’aurai construit un gué vers l’horizon. Sauf à ce que quelque météore n’entraîne la destruction de la terre. Quelque météore ou mon inconscience.

vendredi 8 juillet 2011

Horloge andronique (ε – Notos, pluie cavalière)

Si tu avais fui parmi des brumes moyenâgeuses, j’aurais noyé mon chagrin en un hanap, mais je n’ai qu’un verre, un verre misérable dont le contenu – je l’espère – saura éteindre le feu de l’absence. À travers la transparence, à travers l’eau, j’observe de part en part une vitre floue et la discontinuité de l’existence déformée par ta disparition.
Une averse a détrempé le sol trop sec, l’odeur de terre mouillée se répand, démultiplie l’hypothèse de la fertilité ; une fois encore, la vie s’attache à mes pas et mes empreintes s’incrustent derrière moi. Mon passé semble immuable, rien ne saurait l’effacer, une boue fine se colle à mes semelles.
Tic ! l’aiguille des secondes galope inexorablement.
Tac ! les chiffres du cadran la poursuivent avec assiduité, s’appliquant par douzaine à me convaincre. Soixante minutes dessinent ton visage, reproduisent tes yeux, imitent ton odeur, cette odeur irremplaçable, cette odeur auprès de laquelle tout alcool serait vain. Aussi, je vide enfin ma coupe, cette coupe pleine de désarroi, en gouttelettes volatiles, en avrillées hors de saison. Les éléments miment des pleurs, les météores qui traversent le ciel feignent la silhouette d’un homme, marchant, courbé, debout, qu’importe ! Avançons, à tout prix, même à celui d’humiliantes reptations.

lundi 4 juillet 2011

Solvant universel (JPH n°114)

Jeu à consignes du forum À vos plumes : écrire un texte dont l'action se situe sur une île déserte et mettant en scène un objet central.

Anna aimait la mer, tant qu’elle y plongeait les yeux avec délectation, même lorsqu’elle fut trop faible pour nager, distincts reflets d’écume dans ses iris, petites cédilles aqueuses dessinées à même sa chair. Elle saisissait mon bras et je posais mes lèvres sur les siennes, avec une douceur extrême, craignant sans doute de la briser.
Anna aimait la mer, Anna que je tiens entre mes mains, littéralement. L’urne est froide, lourde de contenant, son contenu, insubstantiel, ne pèse rien que son chagrin. L’urne est pesante, mais si glacée là où le corps d’Anna vibrait, même moribond. J’ai amarré la barque, j’arpente l’îlot, dix fois déjà ai parcouru sa circonférence, irrégulière, âpre également comme les embruns qui la fouettent, âpre comme ma langue gonflée de douleur, iodée de ses propres larmoiements.
Anna est entre mes mains, je l’en délivrerai bientôt, selon ses volontés, ainsi répandue dans les flots, sa poussière se mêlant aux organites marins ; je l’en délivrerai peut-être, lorsque le courage me sera donné de l’abandonner enfin. Dans l’intervalle perdurent mes circumambulations et lorsque je m’aventure trop près de son orée, l’océan me rappelle à lui, son eau m’éclabousse, l’onde réclame son dû de cendres, ses méandres spumeux forment linceul. Parfois, je dépose l’urne au centre de l’îlet et tente de m’en éloigner d’un pas, voire deux ; à dix pas encore mon regard ne la quitte, Anna réduite à ce vil réceptacle, rutilant de son terne éclat. Anna dont les doigts jouent dans le sable, y tracent des arabesques, délicates à son image, Anna dont les soupirs épousent ceux du vent, Anna enivrée des gouttelettes salées, Anna métamorphosée en vase de pierre.
La barque est agitée de remous, la marée s’élève de sa lenteur coutumière. J’ai ôté le couvercle de l’urne et, prenant garde à ce qu’aucun pleur ne les souille, je penche la boîte mortuaire au-dessus des flots, quelques particules d’Anna s’échappent que l’océan engloutit avec indifférence, puis davantage encore. Mais en offrir l’intégralité m’est impossible, je retiens Anna entre mes bras, ce qu’il en reste, une poignée tout au plus, une poignée d’Anna, mon existence réduite à rien, la sienne à encore moins. J’enserre Anna tel que je l’étreignais autrefois, son corps de marbre contre ma poitrine tandis que mes larmes qui ruissellent en abondance se mêlent à la poudre, tant et tant que la cendre deviendrait boue sans le rappel de la mer qui, tout à son flux, a submergé l’îlot, léchant mes pieds avec application.
L’eau s’élève de son lit abyssal, l’eau s’écoule de mes yeux, l’eau dans ses deux mouvements – descente et ascension – se condense au niveau des grains d’Anna. Que les cieux ne viennent-ils bénir pareille osmose d’une pluie toute métaphorique ? La barque a depuis longtemps rompu son amarre, résister à la marée nécessite toute mon énergie, bien sûr vainement. La peau d’Anna avait un toucher lisse, un goût suave ; j’applique mon doigt contre le reste de cendre humidifiée de larmes, la poudre s’y agglutine que je dépose sur ma langue, que j’absorbe de ma salive, encore un nouveau liquide. Rien ne combattra la flamme de l’incinération, rien ne calmera le feu du tourment qui me taraude, rien, pas même l’océan.

Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
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