Écritures, billets, nouvelles, contes, brachygrammes, poésies, prosoésies, ludilemmes, romans...

Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

lundi 17 mars 2014

Soutane

C’est lorsqu’a commencé l’homélie que le processus s’est enclenché. Peut-être quand le prêtre a évoqué la douceur du péché - à moins que ce ne soit la douleur… Je l’ai également entendu parler d’encourager les pécheresses, je pourrais le jurer sur la Bible ; et des Bibles, il y en avait autour de moi, presque entre chaque main. Et s’il s’agit de simples missels, je ne veux pas le savoir ; qui s’aventurerait à jurer sur un missel ordinaire ? 
Le charme des vieilles églises tient souvent à peu, et celle-ci ne fait pas exception. On y remarque surtout, surmontée d’un abat-voix ouvragé, sa chaire antique - et son curé. Parce que pour être curé, il n’en est pas moins homme, et un bel exemplaire. Du haut de sa cathèdre, exhortant la foule des fidèles, houspillant celle des infidèles, il agite ses mains aux doigts carrés, parfois avec vigueur, parfois avec tendresse. Sur le noir de sa soutane, leur forme se dessine avec précision et, malgré moi, je ne peux m’empêcher de les imaginer courir sur mon corps, caresser mon buste à travers mon pull, descendre prudemment jusqu’à ma jupe. Il n’y a plus de distance entre moi et la chaire ; chacun boit ses paroles mais je suis la seule à les ressentir aussi littéralement. 
Un rayon de soleil a traversé les vitraux, colorant d’un rouge profond la partie gauche de son visage, obligeant le prêtre à cligner de l’œil - l’intensité de ses œillades ne fait qu’accentuer ma confusion. Je n’entends plus ses mots mais les mouvements de sa bouche sont explicites et je ne doute plus qu’il partage mes sentiments. Tout son discours n’est qu’un message crypté à mon endroit, un message duquel est exclu le vulgum pecus. Le bas de son corps disparaît derrière la cuve de la chaire et, à défaut de le constater de visu, je ne peux que soupçonner ce que cache sa soutane - rien de plus que ce qu’elle aurait camouflé chez n’importe quel homme, mais rien de moins non plus. 
C’est ce rien de moins qui m’arrache un cri. Je sors de ma transe, tous les yeux sont posés sur moi, y compris les siens. Le silence d’ennui qui traîne dans les églises s’est transformé en silence de stupeur. Et c’est là que je constate qu’en plus de pousser de délicats gémissements à mon corps défendant, mes mains caressent furieusement ma poitrine. Je me demande même si je n’ai pas un filet de bave aux commissures, toutes mes lèvres sont humides, ma peau chauffée d’émotion malgré la fraîcheur de l’endroit. 
Le prêtre a interrompu son homélie - par pure provocation, sur un second passage citant les pécheresses susmentionnées - et le sol s’ouvre sous mes pieds. Je m’enfonce peu à peu dans la terre. Mes mains ont cessé leurs mouvements circulaires mais restent figées sur mes seins. Les regards suivent ma descente, agrémentés d’un mutisme lourd. Le rouge de la honte se mêle à celui du désir. Le sol se referme au-dessus de ma tête, je ne sais si j’ai perdu ou retrouvé la foi mais je n’ai qu’une idée en tête, une idée sacrilège et délicieuse, celle de me glisser sous la sombre soutane. Et tant pis si mon activité m’empêche d’entendre clairement les mots de l’homélie, sans doute en jaillira-t-il l’esprit.

mercredi 12 mars 2014

Qui conquit la toison

D’abord, je t’ai menti. Mais si peu ! Effectivement, il y a eu Clotilde - de façon brève, presque anecdotique. Clotilde aimait trop les bijoux. Et mon banquier détestait les bijoutiers. Équation à multiples inconnues qui a conduit à notre rupture. Concède que si je ne t’avais pas confessé cette incartade, tu ne te serais aperçue de rien. Faute tue n’est jamais sue, dit-on ; j’aurais pu faire mien ce proverbe de bon sens… Alors que de cette erreur pourtant avouée, tu n’as jamais su me pardonner, ni à moitié, ni même au quart d’ailleurs. 
Pourtant, de tes propres péchés je t’ai absoute. Était-ce une manière de rétorsion ? Était-ce pure vengeance que ce Clovis que j’ai retrouvé dans tes bras ? Lui !? Lui, sous mon toit ! Lui dans mon propre lit ! Lui sur ta peau, ou dedans ! Je n’ai pas tant été choqué par la position dans laquelle je vous ai découverts, que par sa moustache, une moustache rousse et démesurée. Toi qui me voulais toujours glabre, arguant le soi-disant inconfort que provoquait ma barbe. Et cette couleur rousse, presque identique à celle du chat ! Aussi, chaque fois que je vois Clotaire traverser l’appartement, chaque fois que je le nourris de croquettes, son pelage, qui autrefois me charmait, m’horripile. 
Mais j’ai passé l’éponge. Sans doute est-ce cela l’amour, cet amour aussi ridicule que stupide qui me ravale au rang d’un abruti harlequinesque. 
Mais j’ai passé l’éponge et elle est devenue rouge. Pourtant, je n’avais pas frappé fort ; Ou si peu, comme le mensonge. Ton corps adoré ne bougeait plus guère, mais ta poitrine se soulevait encore, régulièrement. Ta poitrine délicieuse que les poils roux de Clovis avaient souillée. L’amour n’est que le pépin d’une figue… Ne serait-il également qu’un téton de ton sein ? Ton sein taché d’un amant rousseau et de quelques traces de sang. Ton téton déplacé par ta respiration, en haut, en bas, haut, bas, hypnotique. Malgré la position étrange de tes membres, tu vivras. Tu vivras pour d’autres Clovis, d’autres roux avec ou sans moustache, d’autres roux peut-être bruns qui sait. Ou blonds. Tu vivras, transportant ta trahison et mon incommensurable amour qui n’a fait qu’ébaucher ta fin. 
Clotilde, Clovis, Clotaire, tous se mélangent. Ils se mêlent l’un à l’autre, femme, homme, animal, chacun empruntant à l’autre quelques particularités, quelques attributs. Deux d’entre eux ne partagent-ils pas la même couleur ? Pourtant, Clotilde n’était pas rousse ni n’avait de moustache… Tout bien considéré, le rouge du sang, même en partie absorbé, est d’un coloris trop cru, trop franc - et entre nous, plus de franchise, sauf celle de l’amour peut-être, et des coups. 
Clotilde ! Clovis ! Clotaire ! Comme je vous hais ! Vous, et vos séides cupidons ! J’ai déjà jeté le chat par la fenêtre, il retombera sur ses pattes, éventuellement. Quant au cadavre de Clovis, il continuera de dégoutter, car pour lui je n’aurais jamais eu assez d’une éponge. J’ai jeté le chat par la fenêtre et je vais bientôt suivre son exemple. Je retomberai moi aussi peut-être sur mes pieds, je l’ai toujours fait. Il faut dire que je n’ai jamais été encombré de poils roux. Ni de moustache.

Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
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