Écritures, billets, nouvelles, contes, brachygrammes, poésies, prosoésies, ludilemmes, romans...

Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

lundi 27 septembre 2010

Sorgues (JPH n°94)

Jeu à consigne du forum À vos plumes : écrire un texte s'inspirant du double thème Pleine lune et Révolte.

Je serrais mon arme avec épouvante, les doigts si crispés que les jointures en étaient blanches et que les os menaçaient de sortir de la chair. Autour de moi, je sentais les autres sentinelles, leur respirations parfois courtes, parfois si ténues que je les croyais déjà mortes, comme si je ne pouvais avoir de doutes sur l’issue du combat. Mon doigt tremblotait sur la détente de mon fusil dont le métal brillait erratiquement à la lueur d’une lune aussi pleine que souvent voilée. La nuit n’avait jamais été mon domaine ; enfant, je craignais son emprise, je quémandais toute source de lumière, et qu’étais-je à présent ? Guère plus qu’un enfant.
La muraille misérable d’où nous guettions serait bientôt submergée par les démons et c’était ces hommes eux-mêmes que je craignais, leur artillerie me semblait bien démodée, lames irréelles, blanches et létales cependant. J’avais pu observer l’un des insoumis lors de son exécution, sommaire mais efficace, son visage à aucun moment n’avait trahi la peur, ses grimaces avaient produit en moi un effroi immense. Et cette peur insidieuse reprenait ses droits, le froid piquant de la nuit me faisait un manteau de givre, mon vêtement déjà inconfortable produisait un son de craquelure à chacun de mes mouvements. Mes mains étaient si gourdes que je m’inquiétais de ne pouvoir les utiliser lors du combat. Non loin, quelqu’un chuchota un air, une ritournelle désespérée, un autre le fit taire.
Enfin, j’entendis leurs cris, et ce fut presque une libération d’être sauvé de cette attente. Une première salve d’attaquants força notre front, tous vêtus de blanc, le premier portant l’étendard sombre où se découpait un cercle lunaire et virginal. Je songeai que la pureté de leur uniforme ne seyait guère au massacre qui suivrait et qu’il faisait des combattants des cibles visibles sur le contre-fond nocturne. Puis les bruits du combat résonnèrent à mes oreilles, j’entendais les cris des blessés, tous mes sens hypnotisés par l’horreur tricolore, noir de nuit, blanc d’innocence, rouge de sang. Mon doigt n’avait pas même effleuré la détente, j’étais paralysé de tétanie et de sueur froide.
Soudain, l’homme se dressa face à moi, à quelques mètres, loin et proche à la fois. Un pan de sa chemise immaculée flottait, ses sinuosités étaient un ensorcellement, tout valait mieux que la réalité. Je ne savais si mon cerveau fonctionnait avec une célérité inaccoutumée ou si le temps évoluait au ralenti, mais l’ennemi semblait avancer à vitesse réduite. Mes neurones triaient les informations, tuer ou être tué, hésitations, morale, instinct de survie peut-être. J’avais souvent réfléchi à cette cruciale question sans jamais y trouver une réponse qui me satisfît et, à présent, je n’avais qu’un instant pour infléchir le cours des choses, j’avais poids sur l’existence d’autrui tel un dieu misérable, un démiurge apeuré. J’appuyai sur la détente, à moins que mon doigt, devenu maître de ma destinée, ne le fît seul. En un instant, j’étais adulte, j’étais damné.

vendredi 24 septembre 2010

Par vent violent - 6

Fauve – peut-on tourner en rond dans une cage sans limites ? Ni haut, ni bas, ni même l’horizon ne me tourmentent de leur repère. Au lieu de quoi, je me heurte aux murailles de mon propre corps, j’expérimente le périmètre de ma tolérance, surface minime, presque inexistante.
Aussi, je frappe de mon poing, j’assène toute mon énergie dans quelque œuvre inutile, mes ongles percent ma chair et cette douleur s’ajoute aux tourments de mes organes, un peu comme une addition sans résultat, un infini tel un gouffre, ce huit couché qui mime deux plénitudes identiques.
Je tente un cri, mais ce n’est qu’un hurlement, sans mesure aucune ; que n’ai-je le sens de la retenue… mon poing donc a percé la surface de l’océan, des ondes circulaires se forment, j’espère – en vain – que leurs ridules atteignent l’orée de l’existence, les confins du liquide. Cette éphémère ecchymose n’aura guère d’influence sur les mouvements de l’univers, non plus que sur les miens d’ailleurs.

dimanche 19 septembre 2010

Par vent violent - 5

La mer est plate, les eaux ne sinuent que de quelques traces misérables. Au loin, le ciel se fond dans l’océan, l’horizon se dissout peu à peu et tant et tant que, bientôt, je serai enceint d’un espace azuré sans limite ni hauteur ; vivrais-je dans un espace à nulle dimension ?
Je rame de mes bras, j’en utilise la pauvre force pour effectuer les déplacements nécessaires à ma survie. Parfois, je tance l’est et le soleil me brûle le visage ; quelquefois, je conserve le feu dans mon dos et mes reins rougeoient, la plante de mes pieds craquelle. Où que j’aille, l’inconfort me précède ou me poursuit et, lorsque je l’esquive, il dessine ses maux sur mes flancs.
Mais la stupéfaction ne saurait conduire à la mer et toute migration lui est préférable. Ne pourrais-je plonger dans les abysses et laisser le poids de mon infortune m’entraîner dans les profondeurs, croiser quelque monstre marin, me repaître de plancton, chahuter au rythme des chants cétacés ? Devrais-je me résigner à cet enterrement aquatique, moi qui n’aspire qu’à l’espace, qui m’enivre d’embruns, panacée d’eau, de sel et d’air ? J’aperçois (ou, à défaut, imagine) enfin une trace d’écume, vague microscopique qui roule dans ma direction.

lundi 13 septembre 2010

Par vent violent - 4

Silence relatif, des odeurs étranges caressent mes narines, tantôt suaves, tantôt râpeuses. Étrangement, la tempête a laissé place à un calme étale ; le temps s’y étire avec obstination, les minutes sans fin s’écrasent telles des gouttes.
Au centre, par ses craintes délimitée, une silhouette se transporte, mime la vie, imite tant bien que mal les mouvements de la naissance. Puis cesse tout geste, dans un attentisme muet, essence même de la procrastination. Sont-ce les Nornes qui, par sagesse ou par jeu, me contraignent à l’immobilité ?

jeudi 9 septembre 2010

Par vent violent - 3

Vagues vagues, lames imprécises, tout se brouille autour de nos flancs. L’œil du cyclone se joue de nous et des éléments qu’il façonne à sa guise, survolant les eaux en un tumulte féroce. Vu de la stratosphère, le typhon paraît statique, spirale blanche, céleste duvet seul percé d’un bourgeon sombre, surprenant gosier dont la furie des vents a déchiré l’opercule.
La mer se projette en murs verticaux, érige ses barrières aussi dures que la pierre, dresse ses remparts dentelés. Ma vie s’écoule sur un fil aqueux, quelque chute m’entraînerait inexorablement vers l’abîme. L’immensité et l’inconnu me terrifient, ma chair tremble, mes genoux s’entrechoquent ; mais tout est préférable à l’immobilité.

vendredi 3 septembre 2010

Par vent violent - 2

La coque déchire les flots, souvenirs de gauche, illusions (peut-être) de droite, et moi qui hais l’océan, je me vois contraint d’emprunter ce moyen de transport rudimentaire, seul à disposer du temps nécessaire à mes décisions, à leur absorption.
Le vent interdit tout cri ou, à défaut, l’étoufferait irrémédiablement.
Misérables silhouettes, petites amphores de pleurs, que n’empruntez-vous aussi les voies maritimes ? Ne me laissez pas seul accourir vers la vie, exigez votre part de sève et d’exploration ! Foin de tergiversations envers l’existence ! Et que nos chemins qui jadis se croisèrent s’ébranlent parallèlement, même à mille lieues.

Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
Accueil

Retour à l'haut de page