Écritures, billets, nouvelles, contes, brachygrammes, poésies, prosoésies, ludilemmes, romans...

Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

samedi 28 février 2009

Canis lupus lupus

Si le loup est d’un naturel grégaire, il n’est guère représenté en meute mais solitaire, sombre, erratique aux creux des forêts. De cet animal éminemment sociable, on a fait un prédateur fascinant et sexuel ; de son pelage sauvage et racé un habit pelé ; de son allure altière et vive un chien maigre et sournois. Que dire de ses yeux devenus chassieux ! D’ailleurs, que lui reproche-t-on, si ce n’est de faire peur ?

Lorsque le conte nous promène au fond des bois, on le retrouve tapi derrière chaque fourré, ourdissant sans cesse le même plan : dévorer, voire déflorer, des enfants. Et la concurrence est rude : loups, ogres, sorcières et autres créatures doivent se partager le gâteau. C’est dire si à ce jeu anthropophage, on trouve beaucoup d’appelés mais peu d’élus.

Pourtant, l’histoire regorge de marmousets plus ou moins naïfs prêts à s’offrir corps et âme pour satisfaire leurs spectateurs. A chaque scène, on les observe – horrifiés ! – se plonger, c’est le cas de le dire, dans la gueule du loup. Mais croyez-vous qu’ils avancent vers l’autel de l’immolation en poussant force cris et gémissements ? Que nenni ! Parmi les arbres soudain silencieux, ils fredonnent quelques lancinantes comptines :

Nous sommes sept dans les bois,

Qui cheminons cahin-caha.

Le loup en prend un par le bras ;

Qu’advint-il de celui-là ?

Ce secret jamais ne déflora …

Nous sommes six dans les bois …

Évidemment, lorsque ces événements surgissent, c’est la nuit – ou mieux, le crépuscule ! Car l’entre-deux est le territoire du loup, et d’une manière générale, de tous ses congénères prédateurs. La ribambelle des enfants s’y étire, les chants se font confus, le plus sot s’égare ; fin du premier acte !

C’est un étrange théâtre que celui où nous regardons, stoïques et voyeurs, la chair de nos chairs devenir chair à pâté. Et pourtant, le rideau ne se baisse jamais sur un horizon mortifère. La morale et la vertu sont sauves, même si elles ont été souvent durement malmenées. C’est pourquoi les processions d’enfants s’égayent malgré l’ogre tapi, c’est pourquoi les théories d’encore-innocents musent sous nos yeux attendris mais tendus. À grands renforts épiques, les sortilèges se dénouent, rendant aux ensorcelés leur figure d’antan, humaine et ordinaire.

Mais toujours reste en mémoire le souvenir du héros transfiguré par l’acte magique, titubant sur le fil manichéen du rasoir. C’est lorsqu’il tâtonne sur le chemin que nous y voyons notre reflet, non lorsqu’il atteint un but que nous savons hypothétique. L’enfant tourne son regard vers le ciel, les pieds embourbés, les mains piquetées d’épines. La sève envahit sa chair, la mousse couvre la peau, partiellement d’où émerge notre sosie composite d’humanité et de conte, de réalité et d’espoir. Par un procédé magique de dessiccation, étranger au processus naturel de nos sous-bois, les sujets se figent et d’un pied de nez à l’impermanence défient illusoirement le temps.

jeudi 26 février 2009

Dura Lux sed Lux 5

La série « Dura Lux sed Lux » se propose de réaliser des prosoésies, paraphrases personnelles de photographies de Loretta Lux. Une unique contrainte hormis la brièveté du texte : que chacun d’eux inclue un néologisme ou autre mot-valise.


« Girl with marbles»

Œils-de-chat comme tombés des orbites, épars, multicolores.

Inspir : ton absence d’ombre sibylline – expir : vain.

L’inattendu jamais n’advient, le ressac se fige, les vagues se pétrifient. La vie s’écoule jusqu’à la perspicacécité, telle une blessure.



lundi 23 février 2009

Déambuler parmi les mo(r)ts

Déambuler, n’est-ce pas mourir un peu ? Abandonner derrière soi les lieux que l’on quitte, leurs souvenirs du moins. Chaque pas me déchire le cœur, balafre d’un oubli la linéarité du temps. Toutes les minutes s’égrènent, disparaissent, englouties dans un gouffre sans murs ; toutes extrémités dissoutes.

Une enjambée me rapproche de mon but – l’immobilité ne m’éviterait-elle pas cette mort certaine ? Mais la vie ne saurait éclore sans mouvement, moins encore se développer. Avançons vers le trépas des choses, vers le non-être de l’être. Toute autre solution serait fatale.

Je chemine vers l’inconnu et nul n’est mon berger que l’ignorance. Le chemin serpente – sinuosités de droite, courbes de gauche – et les anges, tapis dans les frondaisons, me guettent, prêts à fondre sur moi. À moins qu’il ne s’agisse de démons ? L’ombre et la lumière s’apparient, tout est rien, une larme seule modifie la salinité de l’océan.

Déambuler, n’est-ce pas mourir un peu ? Déjà ma pensée s’égare, je circonvole et me perds. Adieu, ligne droite ! Adieu, saisons qui repérez mes doutes !

À chaque point, la majuscule s’impose, la phrase précédente se flétrit. Et mon âme songe déjà au lendemain, saute un paragraphe, commence le livre par la fin. Oublieuse de l’inéluctabilité de son destin.

Les écrits restent, dit-on, mais l’encre pâlit, les rats font bombance de papier. Je tends lentement ma main, mes doigts sont doux et ma paume éteinte. Vous m’accompagnez et déjà, n’êtes-vous pas morts – un peu ?

samedi 21 février 2009

Chromographie 1 - Rouge > c(r)oupe

Rouge, c’est un jeu, un feu poli et doux comme un encensoir
Rouge, c’est un peu le goût des abattoirs
Rouge qui s’allonge et résonne
Allons voir ce matin si enfin est éclose
Rouge, comme la c(r)oupe

jeudi 19 février 2009

Qqinuzomleuqutti nnaqtciqcah ?

À prononcer « kyinoudzomléoukutyi nyaktshikshâ », [kjinudzomleukutji njaktʃikʃaː] en API (alphabet phonétique international)


Connaissez-vous le terme, si mal adapté au français, de conlang ? En VF, on parle de langue construite ou d’idéolangue ? Mais que cache ce néologisme ?


L’idéolinguiste (qui, vous l’aurez compris, est un créateur d’idéolangue) est un individu dont le passe-temps – ou la passion – est la genèse de langages totalement inventés. On distingue les langues a priori, créées ex nihilo, et a posteriori, dont le vocabulaire, la grammaire ou la syntaxe (voire plusieurs de ces éléments) s’inspirent de langues réelles.


Première question du philistin : à quoi cela sert-il ? Réponse : à quoi sert la création en général ? De plus, s’il s’agit d’utilitarisme, certaines langues construites ont des velléités d’internationalisme (on parle alors de langue auxiliaire ou auxilangue), ce qui, j’en suis convaincu, remplacerait avantageusement l’ignoble globish à cause duquel chacun croit parler l’anglais.


Deuxième question, et non des moindres : ces idéolinguistes sont-ils sains d’esprit ? Car, après tout, qui aurait l’idée somme toute saugrenue de consacrer de précieuses et longues heures à un tel ouvrage ? Et c’est justement ce que veut soulever ce billet dont le titre en tcatcalaqwilizi (une idéolangue, chacun l’aura compris) signifie « Les idéolinguistes sont-ils fous ? »


Mon conseil : suivez – sans a priori non plus – le lien vert de ce langage au nom étrange, explorez la langue et sa grammaire, découvrez son créateur, et faites-vous votre idée …


En cas de plus si affinités, mes linguistoliens vous conduiront vers le portail d’Idéopédia, unique repaire francophone d’idéolinguisme.



mercredi 18 février 2009

Dura Lux sed Lux 4

La série « Dura Lux sed Lux » se propose de réaliser des prosoésies, paraphrases personnelles de photographies de Loretta Lux. Une unique contrainte hormis la brièveté du texte : que chacun d’eux inclue un néologisme ou autre mot-valise.




« The bride»


Encore vêtue d’aube, désespérée, folle jusqu’à la dé(flo)raison. Tu te protèges, mortingénue, mais l’âge du jeu est derrière toi. Tu te protèges, adieu !

La soie s’entortille, les perles pleuvent à terre.


lundi 16 février 2009

Ainsi soit Till (JPH n°56)

Jeu Presqu’Hebdomadaire du forum À Vos Plumes. Texte à consignes : utiliser un ton espiègle, situer l’action dans une chambre d’hôpital et inclure une prétérition. Les mots suivants doivent également être inclus : vent, boudin, cœur, morgue, pâtisserie et étiquette.


« Till, cesse de gigoter ! »


Mais Till ne tient pas en place, il prend sur le plateau repas deux clémentines et les place devant ses yeux. Il tire la langue, c’est du plus bel effet.


Il s’approche du lit et maintient les fruits sur le front de sa grand-mère, telles deux excroissances saugrenues, deux cornes orangées. Le regard de Till pétille, la vieille femme esquisse un pâle sourire, si faible, comme son cœur. Elle n’a pas touché à son déjeuner et Till se goinfre de sa pâtisserie, goulûment.


Sa mère se désespère de ce manque de tenue et le toise avec morgue ; les lèvres de Till s’étirent jusqu’aux oreilles. Et sa grand-mère le regarde d’un air attendri dévorer son dessert.


Enhardi, Till lui colle sur le nez l’étiquette qu’il a ôtée d’une clémentine. Quand elle sourit, il s’aperçoit que sa grand-mère n’a plus de dents ; il rit de plus belle. Il y a longtemps, grimée d’un nez rouge en plastique, elle lui avait fait un numéro inoubliable ; elle aussi s’était amusée comme une enfant. Aujourd’hui, le petit autocollant vert lui donne l’air d’un clown étrange échappé d’un cirque éphémère. Till interprète à son tour un spectacle, il gesticule en mimant un polichinelle.


« Je ne te le répéterai pas, menace sa mère, tiens-toi tranquille ! ». La mère arrache l’étiquette du nez de la vieille, laissant une trace rougeâtre et ovale sur sa peau fragile.


Grand-mère chuchote quelque chose, Till s’approche de son visage. Il n’entend qu’un murmure incompréhensible, pauvre souffle dans ses cheveux. Surtout, il sent son haleine un peu rance.


« Grand-mère part en eau de boudin, on dirait » clame-t-il haut et fort sans trop savoir ce qu’il dit, tout fier d’avoir fait ce qu’il pense être un bon mot.


Sa mère est furieuse, elle ouvre la porte et le pousse : « Attends-nous hors de la chambre ! »


Dans le couloir de l’hôpital, un vieux monsieur passe en traînant. Till sort de sa poche la serviette en papier qu’il a escamotée sur le plateau et la roule entre ses doigts. Il appuie le petit cylindre sur sa tête et, l’air ravi, s’avance vers le vieillard.


« Où vas-tu, Licorne ? » lui demande celui-ci, amusé.


Till s’éloigne en sautillant, il cabriole comme un cheval. À chaque bond, ses cheveux tressautent. Till galope dans les prairies de son imagination, si vite que le vent gonfle sa crinière de petit garçon. Son rire est un hennissement, ses chaussures des sabots.


« Où cours-tu ? » répète l’homme.


« Là où nous allons tous » lui crie Till en éclatant d’un rire pur.


Et il entre dans les toilettes.


dimanche 15 février 2009

Semper virens

Parce que le temps s’efforce de nous entraîner avec lui, je me suis enfermé au plus profond de mon corps. Il est sept ans (presque et quart), et je refuse de grandir davantage. Quel profit pourrais-je en tirer ? Qui veut de ces responsabilités stupides, de ces querelles incessantes ? Qui souhaite sentir l’ongle des jours égratigner sa peau, y laissant des traces sanglantes, des petites morts béantes ?

Je porte un regard naïf autour de moi, tout devient pur. Les adultes même semblent exceptionnellement doués de raison ; un peu comme si ma sagesse les avait contaminés.

J’ouvre mes yeux, limpides, j’observe l’absurdité qui m’entoure jusqu’à souffrir de céphalées sombres. Je veux croire que mon influence irradiera alentour – je suis une statuette de pierre indestructible, je suis un dieu de permanence. Tous m’adorent mais personne ne l’admet. Tous ignorent que je suis un miroir.

Je suis écho, écoutez, regardez, et voyez votre reflet sans rides, sans outrages, imblanchi. Enviez-moi, même s’il est trop tard.

Il est sept ans et quelques demis, je n’ai pas grandi, mon corps s’immobilise, parfait et désincarné. Il est sept ans et tout presque a cessé, essor, parentèle, vie …

jeudi 12 février 2009

Hapaxons ! Hapaxons !

Comme tout écriturier (voir billet éponyme), je piste le bon mot, je traque l’allitération, je tarabuste la syntaxe. Tout cela fait partie de mon ordinaire – c’est fou ce que l’on peut faire avec seulement vingt-six lettres et une poignée de diacritiques !

Parfois, dans quelque crise mystico-littéraire, j’endosse le rôle de démiurge lemmatique et accouche d’un mot tout neuf, créatif, surprenant, révolutionnaire (ironie superlative que l’on qualifie, je crois, d’humilifique) et surtout, jamais auparavant employé. Enfin, le crois-je jusqu’au moment où je découvre ailleurs une version bien antérieure de mon supposé coup de génie. Adieu néologisme novateur, adieu mot-valise gratifiant ! À ce propos, remarquons l’indélicatesse gougueulienne (ou gougueularde, je ne sais) qui va pourchasser jusqu’aux antipodes le rustaud qui aurait eu l’impertinence d’inventer avant moi mon hapax.

Car c’est bien d’hapax qu’il s’agit. Le mot lui-même semble suspect (il est d’ailleurs un peu grec sur les bords, c’est dire …) Avec son H muet – si muet qu’on peut même s’en passer et écrire apax – on ne sait comment l’apparier avec son article. Le hapax est certes affreux mais l’hapax si bizarre ! Et au pluriel, c’est le pompon ! Les-z-hapax ne sont-ils pas z-horribles ? Remarquez qu’en raison de son unicité, il n’y a guère de raison de le plurieliser (et non ! ce n’est pas un hapax mais une inexactitude-signifiant-le-contraire-de-singulariser-lui-même-pris-dans-le-sens-de-mettre-au-singulier puisque G*** le recense 19 fois au jour d’aujourd’hui comme on disait hier).

J’en discutais justement avec un mien ami qui est aussi un ami à moi, celui-ci se désolant que l’intitulé de son site, au demeurant insolite si ce n’est hapaxique, ait été également employé par une foule d’indélicats. Foin de l’originalité ! Nous convînmes donc de partir à la chasse aux hapax comme d’autres à la chasse au Snark. Et me direz-vous, que fit-il ? Mais que voulez-vous qu’il fît, qu’il hapaxât* !


* À ce propos, les membres d’un forum que je ne citerai pas (soyons honnête, j’ai oublié duquel il s’agit) se désolaient que les néologismes verbaux finissent toujours en –er, délaissant honteusement la terminaison du deuxième groupe. Pour une fois, je n’ai guère d’avis sur la question, aussi proposerais-je d’employer indifféremment hapaxer ou hapaxir** jusqu’à ce que l’usage en décide, ce qui n’est pas pour demain, croyez-moi !

** On aurait donc : que voulez-vous qu’il fît, qu’il hapaxît ! C’est dit !

lundi 9 février 2009

Dura Lux sed Lux 3

La série « Dura Lux sed Lux » se propose de réaliser des prosoésies, paraphrases personnelles de photographies de Loretta Lux. Une unique contrainte hormis la brièveté du texte : que chacun d’eux inclue un néologisme ou autre mot-valise.




« The drummer»


Sham ! Sham ! Palpitations, avec mesure – régulières comme un automate. Sham ! Peut-être un excès, une extrasystole, un rêve … ?

Inexorable stupéfaction, permanence du vide. Tout, suspendu, pneumovore.

Sham ! Sham !


Chroniques d’Ürtanaheh (roman - extrait 1)

On raconte qu'au commencement, alors que la Terre était nue de l'homme, les éléments s'égaillaient, réjouis, sur toute sa surface, entremêlés les uns aux autres. Par un hasard géologique naquit un jour d'une pierre un géant colossal, fruste et farouche, dont la tête effleurait la voûte céleste. Nehr, le titan, errait sur le magma élémental, pataugeait dans les océans infinis. D'un naturel belliqueux, il ne pouvait supporter la solitude et entrait souvent dans des colères démesurées, battait des bras dans des gestes outranciers, lançait des hurlements à faire trembler les ondes.

Du feu émergea ensuite un être de poils et de dents, un loup gigantesque, noir et luisant, nommé Xotlā dont la tête était couronnée de deux oreilles effilées et la face ornée de cinq yeux, jaunes et irascibles. Les deux créatures se rencontrèrent inévitablement et chacune tenta d'assurer sa suprématie. Une lutte titanesque s'engagea et les combattants s'empoignèrent avec tant de violence que la légende prétend que les diamants souterrains s'en retirèrent vers les cieux pour former étoiles et constellations. Les hostilités virent l'épuisement, l'agonie et la fin de Nehr. Xotlā, le loup sauvage, non content de sa victoire, la paracheva en le dévorant en son entier, à l'exception du crâne qu'il lança dans l'espace où il devint la lune.

Alors qu'il savourait les derniers reliefs de son gargantuesque festin, Xotlā s'étrangla en mangeant le pied du géant : l'ongle du gros orteil se ficha dans sa gorge et, malgré ses contorsions, le monstre carnivore s'effondra de tout son long, charogne velue. Il resta là, immobile, longtemps, et une odeur insupportable se dégagea bientôt de son corps en putréfaction. Pour cette raison, l'air généra un souffle curatif, fécond et le corps de la bête devint la terre d'Ürtanaheh, ses muscles anguleux des collines et des vallées, ses côtes des montagnes, ses griffes des cavernes. Sous l'influence de ce vent créateur, chacun de ses innombrables poils se transforma et de leurs mutations naquirent les végétaux, arbres, racines, plantes thérapeutiques et létales, toutes les herbes et les céréales. Quant à l’homme, son origine reste incertaine ; certaines légendes, soulignant leur aspect impermanent voire le vide de leur existence, prétendent que les êtres animés proviennent des pores du loup gigantesque. Tout était donc prêt pour accueillir l'humain, mais avant sa venue, ultime cadeau, ses cinq yeux roulèrent hors de ses orbites, se changèrent en cinq pierres magiques, ovoïdes, parfaitement lisses, qui véhiculèrent l'art chamanique, la langue sacrée, les glyphes surnaturels. Depuis, les chamanes en retirent leurs pouvoirs et leur sagesse, ancestrale et sanctifiée. Bien sûr, la magie et l'usage talismanique existent partout aux confins des terres, mais les Pierres seules assurent une maîtrise parfaite des sortilèges.

vendredi 6 février 2009

Dura Lux sed Lux 2

La série « Dura Lux sed Lux » se propose de réaliser des prosoésies, paraphrases personnelles de photographies de Loretta Lux. Une unique contrainte hormis la brièveté du texte : que chacun d’eux inclue un néologisme ou autre mot-valise.

« Hopper »

Gémissement, le bruit de l’immobilité. La volonté glace ; la peau d’où rien ne sourd se pare d’un apprêt vulcanophobe. La maladie ronge, tendre poison, atavique facilité. La loi d’entropie pointe le désordre de la matière, oublierait-elle celui de l’esprit ?


Ada (roman - extrait 2)

Bientôt, le problème de ton alimentation s’impose ; depuis quelques jours, tu n’absorbes pour toute nourriture qu’eau et glucose, toi qui buvais peu et à qui l’excès de sucre donnait la nausée.

Une poignée de médecin se réunit donc et daigne me convier à leur réunion. En réalité, seul ton statut de mineure les contraint à quémander mon autorisation, quelle que soit leur décision. En cas de refus de ma part, une décharge sera nécessaire. Ma présence n’est pas même consultative, juste procédurière.

Fort heureusement, le corps médical fait tendre son exercice vers le risque nul à l’existence duquel il veut croire. Tout geste par trop invasif est jugé inadapté et dangereux. J’approuve évidemment, comment pourrait-on te faire subir une nouvelle intrusion après celle que tu as subie ?

Cependant, la pose d’une sonde gastrique est bien une pénétration continue et insidieuse de ton corps. Je suis évincé dans le couloir, une infirmière procède à sa mise en place, profitant de ton immobilité. La tubulure est fixée à la base de ton nez et sur ta tempe, serpente innocemment comme un viol perpétuel, comme le rappel de celui-ci.

Je m’assieds dorénavant à ta gauche, évite ta joue droite où le flexible translucide se love, reptile replié, prêt à jaillir, morsure, venin.

La vision reste supportable lorsque le fin tuyau est vide et propre ; mais quotidiennement, une poche de nutriment y est fixée et commence le gavage, puisqu’il s’agit – je crois – du terme approprié. Je souffre de voir cette immonde bouillie s’instiller en toi, à sa couleur indéfinie j’associe un goût identique, impur et répugnant. La consistance et la teinte du mélange imitent à la perfection les produits de l’excrétion ; qui pourrait associer cette substance au plaisir délicat de la nourriture ?


jeudi 5 février 2009

Dura Lux sed Lux 1

La série « Dura Lux sed Lux » se propose de réaliser des prosoésies, paraphrases personnelles de photographies de Loretta Lux. Une unique contrainte hormis la brièveté du texte : que chacun d’eux inclue un néologisme ou autre mot-valise.

« At the window »
Au-delà s’étirent les languelandes, vides – percement erratique de troncs. L’œil gauche observe les mouvements du vent, et jamais ne cille. L’iris droit s’est perdu, absorbé dans sa contemplation ; la pupille est un trou noir.
Ta nuque, frêle, tiède …


L’eau-delà

À lire ici ou sur le blog de Françoise Guérin, Mot Compte Double, une nouvelle ayant pour thème « Transmission ».

Il existe, dans notre famille, un avertissement étrange mais incontestable qui met en garde les individus de sexe masculin contre la conjonction des deux éléments que sont l’eau et les vendredis, sixième jour du mois. En étudiant la généalogie, il apparaît nettement que beaucoup d’hommes de ma lignée sont morts ce jour-là, quelle que soit la saison, toujours dans des circonstances liées au milieu aqueux.

Une année comporte rarement plus de quatre vendredis 6, mais lorsque ces jours se lèvent auréolés de la mortelle épée de Damoclès, ils n’en paraissent que trop nombreux.

Pour exemple, un de mes aïeuls est mort par noyade, alors qu’il n’était pas marin, tandis que son frère est décédé dans sa baignoire ; les deux avec presque dix ans d’écart, mais à cette même date fatidique.

Mon grand-père paternel nous a quitté à l’âge très vénérable de cent six ans, un vendredi 6 cela va sans dire, d’une fausse route alors qu’il ingurgitait un simple verre d’eau, geste qu’il avait pourtant réalisé des milliers de fois tout au long de sa vie.

Quant à ma mère, elle a perdu son père le même jour d’un œdème pulmonaire qui se caractérise par un envahissement liquide des poumons.

Mon oncle favori, potomane invétéré, a disparu d’une intoxication à l’eau. La chose semble incroyable mais une telle absorption en surabondance peut effectivement provoquer une hyponatrémie qui conduit parfois à un œdème cérébral. Ce fut le cas et je ne vous ferai pas l’injure de vous préciser la date de son trépas.

Enfin, mon père a rejoint ses devanciers aquaphobes l’an dernier des conséquences d’une hydrocution. Il se rendit à la mer, ayant toujours été le seul à ignorer les recommandations relatives à cette terrible date – sa fin lui donna tort.

À mon humble avis, ce qui empêche tous les hommes de notre famille de disparaître dans un raz-de-marée ou sous un second déluge ne tient qu’au fait que le destin ne pourrait en départager les éléments féminins.


Évidemment, nous sommes aujourd’hui un vendredi 6 ; la soirée est déjà avancée mais je demeure sur mes gardes. Je ne me suis pas lavé, n’ai pas bu une goutte et ne suis pas sorti de chez moi. J’ai subi hier un examen médical qui m’a rassuré sur mon parfait état de santé ; les fluides s’écoulent dans mon corps avec raison et mesure.

Je reste pourtant angoissé : le précédent vendredi mortel a apporté son lot de frayeur. J’avais évité tout contact avec l’eau (je possède même un fascicule recensant les arrangements à prendre à cet égard) et la journée touchait à sa fin lorsque j’ai découvert mon poisson rouge, flottant sur le dos et le ventre gonflé, atteint de toute évidence d’hydropisie. Il s’agit, pour ceux qui l’ignorent, d’une accumulation anormale et létale de sérosité dans l’organisme.

J’ai survécu mais n’ai pu m’empêcher d’y lire un signe funèbre, presque prémonitoire. Aussi ai-je pris mes dispositions en cas de décès car je souhaite bénéficier d’une crémation, comme si le feu pouvait exorciser dans l’au-delà la force obscure de son élément contraire. J’ignore d’ailleurs si ce geste me vaudra une place au Paradis puisque les craintes ataviques ont exclu le petit garçon que j’étais du baptême (le mot lui-même signifie plonger, c’est dire…) et de son aspersion.

Le temps s’écoule cependant, imperturbable mais régulier et minuit approche. La peur qui formait un barrage sur ma poitrine se dissipe, je respire à nouveau, la vie abandonne toute retenue et se répand. Un peu inconsidérément, je l’avoue, je quitte le refuge de mon appartement et sort arpenter les rues en goûtant l’air frais de la félicité. Dans une minute, les douze coups retentiront, le prochain vendredi n’aura lieu que dans cinq mois – presque un semestre de sursis, pour ainsi dire une éternité.

Seuls ceux qui ont échappé à la mort peuvent imaginer mon soulagement et la fatigue qui l’accompagne. Je m’assieds sur un banc, la tête renversée, je contemple la voûte sombre du ciel. La nuit est parfaite.

Un nuage s’avance, masque la clarté de la lune.

Une goutte d’eau s’abat sur mon front.


Empreintes

Une nouvelle sur le thème imposé de la tentation (comme quoi, ce qui tente les uns ...)

Fouiller les ordures est un exercice qui exige méthode et rigueur. On reconnaît aisément les poubelles dans lesquelles vous attendent les trésors les plus inattendus. Je ne dévoilerai pas ma façon de procéder, sauf à avouer qu’il s’agit principalement d’une activité nocturne et ce, pour plusieurs raisons : chacun se débarrasse de ses rebuts au coucher, les éboueurs moissonnent leur manne effroyablement tôt mais, surtout, la concurrence est rude entre récupérateurs qui tous agissent à la faveur de la nuit.

Pour dire vrai, je suis un criminel raté qui compense les espoirs que sa famille a fait peser sur lui. Mon père, habitué des prisons, y a passé environ un quart de sa vie, généralement pour vols. Mon frère aîné, en fils modèle, a suivi la voie paternelle en y ajoutant sa touche personnelle : la violence. Ma sœur cadette ne démérite pas non plus puisqu’elle s’est spécialisée dans le détournement d’héritage.

Quant à moi, honteux, je ramène à la maison mes rapines qui n’en sont pas et subis les moqueries, même si l’argent que j’en retire échoit à tous selon la loi d’équité dont s’enorgueillit notre famille. N’ayant pas l’étoffe d’un voleur, je participe aux frais familiaux par cette maigre contribution ; mes parents me regardent de haut, frère et sœur se gaussent de moi, je suis le déshonneur de mon foyer.

Mon seul réconfort a toujours été les livres que je dois dévorer secrètement, l’érudition n’ayant par l’heur d’appartenir à nos valeurs. Lors de mes explorations d’immondices, j’exhume parfois quelques recueils que je lis nuitamment, avant mon retour.

Évidemment, je rêve à de plus hautes destinées mais la peur du châtiment, à moins que ce ne soit une pleutrerie naturelle, m’empêche d’accomplir des faits marquants. C’est moins l’attrait de la célébrité que le désir de me fondre dans mon clan qui me pousse à songer à de tels exploits, mais à y songer seulement, car pour ce qui est de passer à l’acte …

Fort heureusement, les déités tutélaires du crime veillent sur moi. Incidemment, j’apprends qu’est mort un homme dont la propriété s’étend sur ma zone de récolte. La maison va être vendue, les héritiers vont donc se défaire de l’inutile comme parfois du nécessaire. Je m’y rends et, effectivement, la moisson est riche, fastueuse même. À tel point que je ne peux résister, au mépris des règles élémentaires de partage, à l’envie de prélever un maigre écot ; je m’octroie une paire de gants noirs, en cuir, magnifiques. C’est la première fois que je cède à une telle impulsion, je suis tout à la fois excité et tremblant. Pire, j’ai l’impression que la culpabilité est gravée sur mon front, mais nul ne semble s’en apercevoir. Peut-être l’abondance des trophées que je ramène met-elle mon émoi au second plan ? Peu importe, les gants sont à moi, et à moi seul.

Profitant de l’occupation de tous à comptabiliser les vêtements, objets et autres splendeurs toutes relatives de ma collecte, je retourne sur mon territoire de chasse, seul domaine où je suis roi.

La fraîcheur m’entoure, je frissonne, dans ma poche ma main rencontre les gants et le rouge me monte au visage. Selon mon éducation, la honte est une invention bourgeoise, aussi le froid nocturne prend-il bientôt le pas sur mes remords ; je relève mon col, j’enfile les gants. Ils sont parfaits, d’une taille étudiée pour moi, leur contact est surprenant, lisse, velouté, chaud mais sans excès.

Le plus étrange reste la sensation qui les accompagne. Le cuir semble communiquer avec mes mains, les deux peaux n’en faire plus qu’une. Gants et mains se dotent d’une vie propre, entraînent tout mon être à leur suite ; mon esprit même devient brumeux et des images y surgissent qui ne m’avaient jamais effleuré auparavant.

Je ne sais de quel pouvoir surprenant sont doués ces gants, mais ils font corps avec moi, me murmurent à l’oreille, se penchent sur mon avenir. Ils m’appellent à sortir de ma misérable condition de pilleur de détritus, à sublimer les valeurs de ma famille et à frapper fort, au sens propre comme au figuré. Des visions fugaces mais précises surgissent devant moi, des suffocations, des meurtres sans doute parfaits, qui m’extirperaient de mon statut obscur vers la gloire criminelle. Une part machiavélique de mon être se révèle à moi, j’en ignorais l’existence, et je réalise à quel point j’ai toujours nié mes capacités.

Cependant, ne se gomme pas aisément l’influence d’une médiocre image de soi. Aussi, je retire les gants et, aussitôt, mon insignifiance reprend ses droits. Je retrouve la sécurité de ma balourdise ordinaire.

Mes récupérations ont fait de moi le héros du jour, un héros de pacotille. Du fond de mon estomac sourd l’écho d’un destin grandiose et valorisant.

La nuit qui, prétend-on, porte conseil ne m’apporte que tourments supplémentaires. Je suis un étranger au sein d’une famille de paria, mes pouvoirs sont immenses, la providence a gravé sur moi le signe de la fortune duquel je détourne les yeux. L’infamie n’est-elle pas d’ignorer ses capacités, de s’abandonner à la facilité par peur, par lâcheté ?

Le soir suivant, je reproduis le même scénario, je me gante de pouvoir et la transe s’empare à nouveau de moi. Je suis transporté dans un monde de puissance que je foule à mes pieds, mon nom s’étale sur les journaux, ma renommée s’étend à toutes les bouches. En contrepartie de quelques meurtres minimes que la nature aléatoire rend encore plus mystérieux, j’acquiers un statut hexagonal, puis international, et mon nom perdure de générations en générations.

J’envisage avec fierté la reconnaissance paternelle d’un tel destin, mon frère m’idéalise enfin, quelques jeunes gredins viennent frapper à ma porte en quête de conseils.

Je réalise cependant que, plus que la gratitude familiale, je recherche une revanche sur toute ma parentèle qui m’a depuis toujours si ignominieusement mésestimé. Il est évident que mon environnement me nuit, mon entourage me rogne les ailes, mais il est difficile de laisser poindre sa colère lorsque l’on est habitué à la bonhomie.

Mes deux côtés se comportent en frères ennemis, ma gauche brandit le poing, ma droite tend vers le passé ses doigts implorants. Finalement, cette dernière l’emporte et j’ôte à nouveau les gants de discorde. Un calme apparent s’installe, tout en superficialité puisque s’est réveillée la dualité dont les forces combattent en moi.

J’en oublie les tâches qui me sont imparties. Je reviens à la maison sans butin ; les critiques pleuvent à nouveau sur moi. Je suis misérable, abandonné par ceux qui m’ont façonné, écartelé par la relativité des valeurs et l’élasticité de la morale.

La nuit suivante, pour conjurer l’opprobre qui m’a été infligé, je décide de prendre mon destin en main, ou plutôt de confier ces dernières à mes gants et leur appétit insatiable du pouvoir.

Je me laisse donc entraîner par l’enivrant appel qui m’est transmis. J’erre dans les rues et rapidement, j’avise un passant isolé dont la silhouette se découpe de réverbères en réverbères. Pris d’un frisson qui se diffuse de ma colonne vertébrale à mes extrémités, je m’élance vers lui, avec une discrétion redoutable, presque à mon insu.

Tout se déroule en un instant ; mes doigts se referment sur son cou, une petite veine palpite dont la pulsation décroît, l’individu cesse de se débattre, le corps s’écroule, flasque. Je ne réalise qu’alors ce qui s’est passé mais de façon floue car je n’ai pas la sensation d’avoir agi par moi-même. Je reste un moment abasourdi, sous le choc, puis mes habitudes reprennent le dessus. La rue est déserte, je prélève le portefeuille et la montre de ma victime, je retourne dans mon refuge, presque dédoublé mais ravi.

Cependant, je ne suis pas accueilli avec les applaudissements escomptés. Au contraire, dès que je relate fièrement les faits, mon père explose de colère malgré le portefeuille garni que je rapporte. Il faut avouer que ma famille, bien connue des services de justice, maintient ses activités dans la plus grande discrétion. Mon acte, que tous jugent inconsidéré, va irrémédiablement conduire la police à notre porte.

Je me réfugie dans ma chambre, furieux. Je sais bien que chacun jalouse la bravoure dont aucun n’a su faire preuve jusque là.

La maisonnée pourtant s’endort. Je demeure éveillé, fulminant, tournant en rond, révolté par tant de bassesse à mon égard. De la poche de ma veste jaillissent des murmures, un froissement d’étoffe, des sons indéfinis. Réalité ou fabulation, les gants m’appellent, l’attrait de l’héroïsme se manifeste à nouveau. Et mû par cette appétence irrésistible, je vêts une fois encore les gants, une pulsion redoutable s’empare de moi, je suis oblitéré.

Alors, je quitte ce domicile qui n’est plus un refuge, je m’oublie dans le souvenir. Mes pensées se réunissent autour de mon livre favori, lu en une nuit, perle d’évasion que je préserve de la connaissance des autres. Les pages tournent, les personnages se faufilent de lignes en paragraphes, les coins cornés ont conservé la trace de mes doigts. La vie romanesque toujours semble ordinaire mais magnifique.

À moi donc de me forger un destin hors du commun, mes mains frémissent, je me fonds dans la pénombre, je deviens prédateur, irrésistiblement. Réalité et fiction se mêlent, à chaque alinéa une nouvelle victime s’effondre à mes pieds, en tête de chapitre la une des journaux étale mon nom. Ma renommée est établie, elle erre dans les esprits, elle s’immortalise dans l’encre d’imprimerie.

Je vis caché mais dévoilé aux yeux de tous. Que m’importe que mes parents approuvent ma conduite ; je construis patiemment la bibliothèque de ma propre commémoration, sur les rayonnages s’alignent mes exploits. À mes successeurs, je transmets les rênes de la célébrité, la possibilité de la reconnaissance et en guise de dédicace, une paire de gants.

Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
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