Écritures, billets, nouvelles, contes, brachygrammes, poésies, prosoésies, ludilemmes, romans...

Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

jeudi 30 avril 2009

Chromographie 5 - Ciel > p(l)eurs

Ciel, le reflet, ciel est marri
Antichambre de l’éther
Antichambre de l’Éternel
Ciel, chairs diaphanes et voluptueuses
Ta peau se dilue, explose, ton corps en p(l)eurs

samedi 25 avril 2009

Jours-y, jours-à

Jours de pluie en Normandie

Villégiature normande ; la côte et ses marées nous accueillent sous le regard plombé des nuages. Le ciel sans hauteur nous nargue d’une ondée, puis d’une pluie, enfin de rien d’autre que ses menaces.
Le vent souffle, glacial et presque constant. Nous disparaissons sous les chandails et les cirés, nous chaussons nos bottes de sept lieues pour arpenter la plage désertée par la mer lointaine. De petits rouleaux meurent au loin non sans nous avoir montré leurs dents d’écume.
Nous creusons le sable, nous ramassons les coquillages, nous fortifions nos châteaux de digues toujours détruites par l’eau, inexorablement.
C’est un spectacle rassurant que celui de ces gens, enfants et adultes, tous constructeurs ou excavateurs, architectes enthousiastes dont les réalisations seront toutes éphémères. Ici, rien ne dure, nul ne l’ignore, mais chacun s’applique à parfaire son œuvre sableuse. La nature règne en maîtresse, l’humain se plie à sa toute-puissance, il retrouve enfin la place qui est la sienne.
Et toujours le vent gifle nos joues, le sable griffe nos fronts.
D’aucuns préféreraient des cieux plus cléments et un climat plus tempéré. Pas moi ; je fuis la chaleur. Et ne faut-il pas mieux bâtir des châteaux – fussent-ils de sable – en Normandie qu’en Espagne ?

Jours écarlates à Houlgate

Le soleil règne enfin sans partage. Les vacanciers passent sans transition du blanc au rose rougeâtre. Un vent maritime et frais camoufle provisoirement la morsure brûlante de notre épiderme.
La plage est un spectacle à elle seule où se côtoient des individus en bottes et anorak et d’autres en maillots de bain. L’eau est glaciale, peu se baignent et toujours avec force cris. Les grands parents sortent leurs petits-enfants ; ceux qui n’ont pas de descendance promènent leurs chiens qui conchient allègrement les zones de baignades pourtant interdites aux bestioles à poils.
Des gamins courent en culotte ou pataugent dans les flaques laissées par la marée, d’autres ont pour consigne de jouer sans enlever leur pull, sans se tacher, sans se mouiller, sans s’éloigner.
Avec mes filles, j’élève des pyramides de boue cernées de douves salines que nous relions à la mer par un canal. La pelle s’active et nos mains fouissent ; nous excavons parfois un crabe. Je raccorde ce monument à un trou modeste – mais que l’imagination rend large et profond – empli d’eau baptisé « piège-à-enfants », dans lequel les filles enlisent leurs pieds en poussant des hurlements d’orfraie comme si elles étaient à la merci d’un ogre.
La journée s’achève par un tour de manège. Les enfants s’élèvent dans une soucoupe volante, s’envolent dans les bras d’un super-héros, le rêve est sans limite – pas comme la mer, toujours barrée d’un imperturbable horizon.


lundi 13 avril 2009

Mandragore

« Pousse-toi, je ne vois rien ! »
Mais Tim ne s’écarte pas ; au contraire, il s’ingénie à me cacher la vue. Il s’interpose entre la porte ouverte du salon et moi – nous revenons de l’école et les fermetures de son cartable qu’il a encore sur le dos me blessent le visage.
« Mais laisse-moi voir ! »
Tim ferme la porte sans bruit. Il se retourne au ralenti et son visage est pâle, si diaphane que je peux presque regarder à travers. Il s’éloigne pour téléphoner et je reste seul devant la porte close, close pour l’éternité, sans retour.
Plus tard, la sonnette d’entrée retentit et Tim, en grand frère responsable, prend la situation en main. Il parle aux adultes, avec raison et quelques tremblements. On me conduit avec douceur dans la cuisine où quelqu’un me sert un chocolat brûlant.
Une agitation subite s’empare de l’appartement ; du salon émanent des bruits incongrus dont je ne peux qu’imaginer la signification. La pièce m’est interdite et pourtant, j’ai tout vu. Fugacement, mais j’ai vu. Vu le corps de Papa suspendu au lustre, son visage gonflé, indéfini entre le rouge et le blanc. Et les yeux surtout, comme ceux des poissons sur les étals. Vitreux. Fixes.
Et soudain des cris hystériques jaillissent : Maman est rentrée. Elle surgit dans la cuisine, flanquée de Tim dont elle broie l’épaule de ses doigts crispés. Elle me saisit également, avec violence, ses larmes dégoulinent dans mon cou. Tim tente de se dégager, il a encore pâli. Ses jambes se dérobent, il s’affale sur la table, projetant mon chocolat sur le chemisier de Maman. Ses hurlements redoublent devant la syncope de son fils – ou peut-être sous la brûlure causée par la boisson.
Je regarde, médusé, Maman flanquer des gifles à Tim en criant son nom comme si c’était lui qui était mort. Il revient vaguement à lui ; on le met d’autorité au lit. Et par un mystère dont seuls les adultes ont le secret, je m’y retrouve aussi. Comme si je pouvais trouver le sommeil.
J'écoute le brouhaha, d’autres personnes sont arrivées et je reconnais la voix de tante Suzanne. Elle va calmer le jeu, c’est sûr, vu qu’elle n’aimait guère Papa. Dans la chambre règne un silence de plomb. Tim ne dit pas un mot mais j’entends son cerveau fonctionner, ses neurones qui peinent à se connecter, sa conscience qui fuit l’évidence. Je l’appelle dans un murmure, il ne répond pas, mais je sais jauger son état à sa respiration.
Moi, bizarrement, je comptabilise les faits, je recherche des causes, j’émets même des hypothèses sur l’avenir. Tout demeure analytique, et c’est tant mieux ; quand l’information atteindra le cœur, elle créera un ravage sans précédent, un peu comme un cyclone d’épines, une tornade sanglante.

Le lendemain, tante Suzanne nous réveille. Un calme total s’est abattu. Maman est assise sur le canapé du salon, l’air hagard ; elle porte encore son chemisier taché qui forme avec son visage au maquillage dégoulinant un ensemble saisissant.
En levant la tête, je remarque que l’accroche du lustre où Papa s’est pendu est à moitié arrachée. Il faudra faire venir quelqu’un pour réparer ça.

mardi 7 avril 2009

Chroniques d'Ürtanaheh (extrait 2)

Muxam, toujours muette, s’isolait fréquemment ou passait de longues heures immergée dans les eaux du lac qui, en glissant sur sa peau duveteuse, érodaient peu à peu les strates de son chagrin. Elle recouvra imperceptiblement le goût de la vie mais ne dut celui de la parole qu’à sa rencontre avec Ningalam. L’adolescent, de quelques années son aîné, se lia avec elle, sans doute parce qu’il était lui-même coutumier de la solitude. Celui-ci se hissait jusqu’à la canopée dans le seul but d’y admirer l’immensité de la forêt et cette mer de verdure qui lui semblait tout à la fois prête à le protéger ou l’engloutir. Il y entraîna Muxam ; cet interface entre le monde terrestre et l’espace aérien leur fut un refuge autant que dura leur deuil respectif – Ningalam avait perdu depuis peu son œil droit lors d’une chasse, non pas du fait d’un acte héroïque contre le gibier mais en entrant violemment en collision avec un tronc rugueux. Assommé, il avait été ramené au campement avec quelques moqueries d’ailleurs vite tues lorsque son œil s’était infecté et avait dû être ôté. Sa vision à présent monoculaire et plane lui interdisait dorénavant toute velléité cynégétique ; lui qui appréciait particulièrement de courir au cœur de la forêt, zigzaguant entre les arbres, vivifié par la fraîcheur sur son visage avait été contraint d’abandonner ce plaisir gratuit puisqu’il ne pouvait plus guère évaluer les distances. Peut-être était-ce à cause de ce handicap qu’il se plaisait à la cime même des arbres ; tout, proche ou lointain, semblait identique et l’immensité était telle qu’on en perdait la notion d’espace.

jeudi 2 avril 2009

Blandices

À lire ici ou sur le blog de Magali Duru, deux mille signes à peine suite à son appel à textes sur le thème "Dîner de têtes".




Elle est là, parmi nous. Ou plutôt, elle trône, et tous les regards sont tournés dans sa direction. Mais elle demeure impassible, insensible à notre attention. Pourtant, un silence s’est fait à son arrivée ; un ange passe. L’analogie est parfaite : sa peau est d’une pâleur ivoirine.


Mon voisin de droite l’admire avec des yeux révulsés d’envie. Un tic nerveux fait trembler ses commissures. Sans doute le désir de se jeter sur elle l’étreint-il, mais les règles de bienséance l’en empêchent heureusement. Une goutte de sueur perle sur sa tempe – répugnant personnage !


À ses côtés, un quinquagénaire opulent, cache sa débonnarité derrière un verre de vin qu’il sirote à petite lampée. Lui aussi n’a d’yeux que pour elle ; il tente de camoufler son embarras dans les amuse-gueule qu’il engloutit avec un bruit de mastication compulsive.


À ma gauche, la seule femme de l’assemblée l’observe avec circonspection et une moue vaguement dégoûtée. Elle scrute discrètement sa propre main pour tenter une comparaison avec le grain de la peau immaculée, comparaison qu’elle conclue en sa défaveur. Elle se renferme alors dans un mutisme gêné, croise ostensiblement les bras pour marquer sa désapprobation.


En face, l’homme qui préside la cérémonie remplit son verre d’eau gazeuse sans la quitter des yeux. Le pétillement des bulles résonne, brise l’immobilité, chacun retrouve une relative décontraction.


Quant à moi, j’observe son visage aux traits un peu forts mais émoussés d’une douce rondeur. Elle n’est ni plus belle ni plus laide qu’une autre mais il est vrai – à l’instar des autres invités – que je trouve la texture de sa peau remarquable, pour qui aime les carnations diaphanes s’entend. Ses joues sont tendues et semblent prêtes à frémir d’indignation. Le galbe de son front également surprend aussi, un arc presque parfait.


Cependant, j’hésite à rester. Non pas que je juge indélicate son arrivée tardive, je ne suis guère formaliste. Simplement, j’exècre la tête de veau.

Chromographie 4 - Ombre > (r)odeurs

Ombre – ou fumée peut-être
Ombre, les yeux des serpents, le regard des gens
Écran épais, écran opaque
Ombre de l’enfance, effrois, toujours sans bruits
Sombrent les souvenirs, s’abîment en (r)odeurs

Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
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