Écritures, billets, nouvelles, contes, brachygrammes, poésies, prosoésies, ludilemmes, romans...

Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

dimanche 27 novembre 2011

Onze (et quelques)

Onze traverse la rue, elle longe le mur du collège, sous ses pieds le trottoir défile, les choses les plus ordinaires ont pris un goût insolite.
Onze, c’est son âge, c’est aussi son nom, Onze qui a vêtu aujourd’hui cette jupe un peu courte, un peu trop, et ce chandail sans décolleté mais dont la maille fine dessine sa poitrine naissante. Elle bombe le torse, ses deux avortons de seins à l’assaut du monde. Sa mère ne l’a pas vue quitter la maison, elle lui a emprunté un rouge à lèvres, elle a souligné sa moue, est sortie la tête baissée, comme honteuse, et libre. À présent libérée du joug parental, elle se dresse, sa fierté forme une aura mouvante ; elle est déjà femme, elle le sait – elle sera toute sa vie une enfant, de cela elle ignore tout.
Elle se gausse de ses condisciples, ces gamines mal dégrossies dont le corps pataud peine à sortir de l’innocence. Onze se targue d’être une exception, elle chemine de l’enfance à l’adultat ; pourquoi s’embarrasser d’une adolescence maladive ? Elle ne souffrira pas de cette chair en transmutation, elle la sublimera, elle la sublime déjà, elle en joue. Ses vêtements lui offrent quelques années, sa coupe de cheveux encore une ou deux croit-elle lorsqu’elle détaille son image spéculaire où se peint un avenir immédiat, un monstre temporel et impossible. Elle tourne son visage, son profil est parfait, elle contemple les trois grains de beauté qui marquent sa joue d’un triangle presque équilatéral.
Onze sort du collège, elle traîne devant le portail au milieu des autres, elle resplendit de se savoir singulière, elle arbore sa nubilité comme elle porterait une tiare, avec noblesse et un rien de condescendance. Certaines de ses camarades sont attendues, elle voit leurs pères qui la regardent avec concupiscence, avec embarras également, ceux-là même pour qui elle n’était hier qu’une fillette. Elle redresse un buste hautain, entrouvre ses lèvres, y laisse apparaître l’extrémité de sa langue ; la vie se déplie enfin, une beauté est née, terrible.

Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
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