Écritures, billets, nouvelles, contes, brachygrammes, poésies, prosoésies, ludilemmes, romans...

Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

lundi 16 février 2009

Ainsi soit Till (JPH n°56)

Jeu Presqu’Hebdomadaire du forum À Vos Plumes. Texte à consignes : utiliser un ton espiègle, situer l’action dans une chambre d’hôpital et inclure une prétérition. Les mots suivants doivent également être inclus : vent, boudin, cœur, morgue, pâtisserie et étiquette.


« Till, cesse de gigoter ! »


Mais Till ne tient pas en place, il prend sur le plateau repas deux clémentines et les place devant ses yeux. Il tire la langue, c’est du plus bel effet.


Il s’approche du lit et maintient les fruits sur le front de sa grand-mère, telles deux excroissances saugrenues, deux cornes orangées. Le regard de Till pétille, la vieille femme esquisse un pâle sourire, si faible, comme son cœur. Elle n’a pas touché à son déjeuner et Till se goinfre de sa pâtisserie, goulûment.


Sa mère se désespère de ce manque de tenue et le toise avec morgue ; les lèvres de Till s’étirent jusqu’aux oreilles. Et sa grand-mère le regarde d’un air attendri dévorer son dessert.


Enhardi, Till lui colle sur le nez l’étiquette qu’il a ôtée d’une clémentine. Quand elle sourit, il s’aperçoit que sa grand-mère n’a plus de dents ; il rit de plus belle. Il y a longtemps, grimée d’un nez rouge en plastique, elle lui avait fait un numéro inoubliable ; elle aussi s’était amusée comme une enfant. Aujourd’hui, le petit autocollant vert lui donne l’air d’un clown étrange échappé d’un cirque éphémère. Till interprète à son tour un spectacle, il gesticule en mimant un polichinelle.


« Je ne te le répéterai pas, menace sa mère, tiens-toi tranquille ! ». La mère arrache l’étiquette du nez de la vieille, laissant une trace rougeâtre et ovale sur sa peau fragile.


Grand-mère chuchote quelque chose, Till s’approche de son visage. Il n’entend qu’un murmure incompréhensible, pauvre souffle dans ses cheveux. Surtout, il sent son haleine un peu rance.


« Grand-mère part en eau de boudin, on dirait » clame-t-il haut et fort sans trop savoir ce qu’il dit, tout fier d’avoir fait ce qu’il pense être un bon mot.


Sa mère est furieuse, elle ouvre la porte et le pousse : « Attends-nous hors de la chambre ! »


Dans le couloir de l’hôpital, un vieux monsieur passe en traînant. Till sort de sa poche la serviette en papier qu’il a escamotée sur le plateau et la roule entre ses doigts. Il appuie le petit cylindre sur sa tête et, l’air ravi, s’avance vers le vieillard.


« Où vas-tu, Licorne ? » lui demande celui-ci, amusé.


Till s’éloigne en sautillant, il cabriole comme un cheval. À chaque bond, ses cheveux tressautent. Till galope dans les prairies de son imagination, si vite que le vent gonfle sa crinière de petit garçon. Son rire est un hennissement, ses chaussures des sabots.


« Où cours-tu ? » répète l’homme.


« Là où nous allons tous » lui crie Till en éclatant d’un rire pur.


Et il entre dans les toilettes.


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(Bashō Matsuo)
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