Écritures, billets, nouvelles, contes, brachygrammes, poésies, prosoésies, ludilemmes, romans...

Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

dimanche 15 septembre 2013

Voyage, voyage (JPH n°164b)

Jeu littéraire du forum A vos plumes. Écrire un texte dont le sujet est : Vous (ou votre héros ou héroïne) vous apprêtez à partir en vacance lorsqu’une personne de votre famille ou un proche, disparaît. « Disparaître » sera pris ici au sens propre et non au sens de « mourir », même si en fin de compte le disparu (ou la) peut se révéler mort.

Jacques prépare sa valise, le soleil s’incruste à travers les jalousies entrouvertes. Jacques prépare sa valise, peut-être même faudra-t-il une malle. 
Une pierre. 
Deux maisons. 
Trois ruines (admettons que deux sur les trois sont celles des maisons précédentes, histoire d’alléger un peu les bagages). 
Quatre fossoyeurs (sans doute pour inhumer les ruines…). 
Un jardin (celui où les croque-morts creuseront leur trou). 
Des fleurs. 
UN PAQUET DE CROQUETTES. 
 Lune se promène, tour à tour captivé et indifférent aux activités de son maître. Il le regarde avec intérêt tenter de caser le troisième fossoyeur dans la malle, mais quand Jacques pousse un juron en découvrant que le quatrième larron mesure au bas mot deux mètres dix, l’animal s’éloigne nonchalamment, vibrisses condescendantes envers les vulgaires tâches humaines. 
Une douzaine d’huîtres, un citron, un pain (le tout dans une glacière). 
Pas besoin du rayon de soleil prévu, il y en a déjà à foison dehors.
Quant à la lame de fond, Jacques fera avec celle de rasoir, plus utile et moins susceptible de causer des ravages dans le bel ordonnancement de ses affaires. 
Six musiciens ! N’en prenons que deux, les quatre fossoyeurs n’auront qu’à s’improviser trompettiste, percussionniste ou trianguliste. 
UN AUTRE PAQUET DE CROQUETTES. 
Jacques aperçoit dans le couloir Lune en toilette appliquée, léchage de patte, léchage de fondement, léchage derrière l’oreille ; de la pluie en perspective ? Tant pis, plus de place de toute façon pour le rayon de soleil. 
La fleur qu’on appelle envie (en réalité, il s’agit de celle appelée souci mais, au dernier moment, Jacques s’est ravisé).
Jacques tente de caser trois sauterelles (avec facilité) et un strapontin (avec plus de difficulté). Il relève la tête ; Lune a quitté son champ de vision. Il rajoute les six parties du monde et les cinq points cardinaux, indispensables pour voyager avec précision et fantaisie. Et, pour clore son bagage, PLUSIEURS PAQUETS DE CROQUETTES. Il enfourne l’ensemble dans sa voiture transformée pour l’occasion en trente-huit tonnes rutilant. 
Ne manque que Lune. 
Lune ? 
Luuunnneeee ! 
LUUUUUUNNNNNNNNNE !!!!!!! 
Impossible de retrouver l’animal, Jacques fouille l’appartement pièce après pièce, même sous les édredons où le chat aime se réfugier. Il agite un des fameux paquets de croquettes rescapé. En vain. Pas une trace de la bestiole dans chambre, ni dans la cuisine, encore moins dans le salon. La salle de bain est vide de tout félin. Jacques suit la piste des poils perdus qui s’arrête brutalement au milieu du couloir, comme si le chat s’était volatilisé. 
À l’extérieur, le soleil a pris une teinte étrange, presque bleutée. Dans la rue, les voitures sont toutes à l’arrêt, aucun piéton n’arpente les trottoirs. Si Jacques avait ouvert la fenêtre qui donne sur le jardin public, il n’aurait entendu aucun oiseau, aucun cri d’enfant. 
Ce sont les voisins qui ont téléphoné à la police, alertés par les miaulements du chat, Lune rodait autour du corps sans vie de son maître. On a également retrouvé dans sa voiture soixante-dix-sept paquets de croquettes. Quant aux fossoyeurs, ils avaient déjà accompagné Jacques en voyage ; seules les sauterelles ont survécu – et encore, l’une d’elles s’est échappée quand on a ouvert la malle.

Pas du tout (JPH n°164a)

Jeu littéraire du forum A vos plumes : écrire un texte illustrant la photographie suivante.


Dès l’automne, elle vend des violettes. Parmi toutes les fleurs qu’elle transporte, elle a un faible pour celles-ci, délicates, fragiles, froissées au moindre coup. Des coups, elle en porte elle-même, partout sur son corps, partout où ils ne se voient pas. La couleur des violettes lui rappelle peut-être celle des ecchymoses. Elle pourrait aimer leur odeur également, mais ses yeux sont si tristes, son visage si affligé qu’on craint qu’elle ait perdu l’odorat. Comme si toute possibilité de consolation parfumée lui était refusée. Une véritable ironie vu sa profession. L’hiver, les violettes se découpent sur le blanc de la neige, quand il y en a.  
L’hiver, elle tremble de froid et d’horions.  
Personne ne connaît son nom. On aurait pu l’appeler Blanche-Neige mais son Prince n’a rien de charmant. Alors les gens du quartier l’on baptisée Viola, à cause des violettes, ou d’autre chose, allez savoir avec les surnoms… 
Viola vend des violettes, voilà ! Tout ça pour quelques allitérations.  
Viola vend donc des violettes, ou des bleuets, ou du muguet, d’autres fleurs encore. Ce que le Prince lui octroie de sa main rude. Mais ce que les gens lui achètent le plus, ce sont bien les violettes ; peut-être parce que sa silhouette vulnérable s’accorde avec cette variété. De l’argent contre les violettes, des coups contre son argent – car de l’argent, il n’y en a jamais assez. Quant aux coups, il y en a toujours trop.  
Un jour de crise, un jour d’inflation, le Prince a échangé les piécettes contre trop de coups. Il a perdu au change, elle a perdu la vie. Le Prince a sur les bras le corps inerte de Viola et une charrette de violettes, une cargaison qui vaut bien quelques dizaines de pièces – et presque autant de coups.  À la mise en bière, tout le quartier est là. Le visage de Viola a viré au bleuâtre, en totale harmonie avec les bleus qui émaillent son cadavre, à l’extérieur et au-dedans. Chacun a accepté la version de la chute dans les escaliers et le Prince échange les violettes contre la culpabilité des voisins et un peu de leur monnaie. Certains déposent les fleurs dans le cercueil, tout autour du cadavre – la pièce est suavement parfumée. Pauvre Viola qui ne sentait déjà rien de son vivant. Sauf les coups. 
Quand on descend le cercueil dans le trou, d’aucuns y jettent des pétales violettes. Puis il se met à pleuvoir doucement, à l’image des pleurs de l’assemblée, parcimonieux. La pluie colle les pétales sur le couvercle, comme si le bois lui-même se couvrait à son tour d’ecchymoses minuscules, comme si celles de Viola le transperçaient pour surgir au dehors. Le Prince a vendu toutes les violettes, sans exception – c’est sans doute la première fois que la charrette revient entièrement vide. Dans sa poche résonnent les pièces, dans son crâne ne résonne aucune trace de responsabilité. Ni aucune raison d’ailleurs. Et dans ses mains, les montants de la charrette qu’il traîne, avec lenteur, ses mains pleines d’échardes entrées dans la chair, pleines de coups rentrés, prêts à jaillir.  
Le Prince trouvera une autre Viola. Les Viola vendent des violettes, voilà tout. Les Princes en comptent les pétales, ou les effeuillent, un peu, beaucoup, etc., jusqu’à pas du tout.

Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
Accueil

Retour à l'haut de page