Écritures, billets, nouvelles, contes, brachygrammes, poésies, prosoésies, ludilemmes, romans...

Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

samedi 27 mars 2010

Savinienne dans le four - 15

Savinienne de ses mains osseuses balaie l’espace, ses bras maigres suivent leur rythme syncopé. Savinienne fredonne, Savinienne a vingt ans, Savinienne a trente ans, les paroles s’échappent en volutes.
Ensemble, nous chantonnons, je tente de suivre les mélodies et les mots distendus que sa mémoire contrefait. Les rimes s’entrechoquent, les portées déraillent. Je débute quelques chansons ; Savinienne de les poursuivre :
« J’ai deux amours.. »
« Mon troisième est dans le four ! »

vendredi 19 mars 2010

La perfection n'est pas de ce monde

Longtemps je me suis contraint à être le personnage parfait que l’on attendait que je sois. Autour de moi, mes proches peuvent témoigner sans mensonge de l’exemplarité de mon caractère. Tous s’extasient sur ma nature égale, eux qui suffoquent de colère et d’indignation. Ils admirent la facilité déconcertante avec laquelle j’accueille les événements, qu’ils soient positifs ou non.
À grand renfort de philosophie et de bienséance, je suis devenu l’homme parfait, le mari parfait, le collègue parfait, le voisin parfait. Tant de perfection, de sentiments lisses et d’oubli de soi qui m’ont, finalement, laissé seul et désolé. Où sont les amis à qui je peux confier les tortures de mon esprit ? Où sont mes subordonnés que je peux agonir d’injures ? Et qui souhaiterait entretenir une relation – quelle qu’elle soit – avec un être idéal ?
Très tôt j’ai été promis à la sainteté, une sainteté païenne et froide, un modèle, un bibelot. Même si mon tempérament frondeur et parfois violent n’y était guère destiné, je me suis plongé avec un certain délice dans les affres de l’absolu. J’ai contré mes pulsions, les ai enfouies au cœur de mes entrailles, dans un coffre secret dont je garde jalousement et le contenu et la clef.
À ceux que je réconforte – et ils sont légion – je dérobe un pourcentage minime mais significatif de leur colère, je comptabilise leur rancœur. À leur insu, ils deviennent une partie de mon être, je m’identifie à eux.
L’humain est d’une richesse et d’une diversité phénoménales ; qui m’offre sa méchanceté, qui me traîne dans ses ragots, qui me transmet son fiel. Ainsi, je m’enrichis sans cesse, je me construis sur les bases mouvantes de l’émotion, j’extirpe de mes fondations toutes pensées manichéennes. Car je ne juge pas, je dresse une liste exhaustive des verdicts de mes semblables, je suis l’annuaire des opinions. D’acrimonie à zélotisme, j’ai, pour chaque lettre de l’alphabet, un article pertinent sur les bassesses ordinaires et je maîtrise tant mon sujet que je peux gloser des heures durant, quitte à devenir aussi assommant que l’humanité qui m’entoure – me cerne, devrais-je dire.
Mon apparence reste nette ; je suis une statue d’or qui s’emplit d’excréments, de quoi d’autre pourrais-je être garni ? Mais les immondices parviennent à saturation, ils atteignent le sommet de mon crâne. Ils poussent tant de l’intérieur que se manifestent des migraines insupportables, des élancements au niveau des tempes, des douleurs oculaires.
D’abord, l’excédent s’écoule sous forme de larmes que je ne peux contenir, accompagnées de céphalées nauséeuses. Mon corps semble absorber les vicissitudes telle l’éponge et mes glandes lacrymales ne suffisent plus à en purger le trop-plein. Bientôt, je suis pris de vomissements incoercibles, puis de diarrhées profuses. Tout mon être expulse enfin la malignité de mon prochain.
Parmi les remèdes de mon mal se trouve évidemment la schizophrénie, mais je suis dépassé par l’ampleur de la tâche. Il me faudrait cent personnalités pour m’exorciser, que dis-je cent ? des milliers ! Et ne serait-ce pas une manière de repousser l’inéluctable ?
Le monde m’encourage à devenir son substrat, son terrain d’expression. Mais qui sera mon exutoire ? Ma matière explose, ma carapace s’est déjà fendillée, elle se fissure en de multiples endroits et marque mon anatomie de plaies ; je porte les stigmates de mon environnement. Peu à peu, le fluide s’écoule et mon esprit suit sa course folle à l’extérieur de mon corps. Mes pensées s’évaporent, virevoltent, se retournent sur elles-mêmes comme un nœud sans fin. Elles se mêlent aux outrageants raisonnements dont je me suis abreuvé.
Je souffre d’une empathie chronique élevée à sa plus haute expression, un idéal d’identification. Ceux que je croise y transfèrent leurs malaises et, surtout, l’obscurité qu’ils prétendent garder scellée en eux.
Finalement, y a-t-il meilleure solution que de supprimer les obstacles à leur source ? Un œil pour un œil, un mal pour un mal. N’est-ce pas la noble motivation d’un assassin ?

mardi 9 mars 2010

Savinienne craint les chats - 14

Je m’approche de Savinienne ; ses mains sont crispées sur son chandail, jointures blanches. Ses yeux se fixent sur moi, son malaise est tangible que j’interroge.
Savinienne est effrayée, elle a peur de moi, elle craint que je lui saute au visage et la griffe. Je suis devenu un chat, immense et terrifiant.
Doucement, je m’approche d’elle, je pose sa main sur ma joue, lui fais constater mon absence de vibrisses, ses doigts suivent le contour de mes oreilles humaines. Elle se relâche à peine.
Et toute la journée de me lancer des regards en coin, coups d’œil furtifs, coup d’œil craintifs, toujours prête à dresser entre elle et moi ses bras, barrière dérisoire.

mardi 2 mars 2010

Ngul (JPH n°81)

Jeu à consigne du forum À vos plumes comportant des mots imposés : oryctérope, valétudinaire, résection, haptonomie et nèfles.

On raconte que sur l’île des Tropiques vivait une chatte noire nommée, par une ironie analogique, Afrique. Or, il advint qu’Afrique eut trois fils : Nagp, Hei et Ngul. Les deux premiers avaient le pelage nocturne de leur mère et, dès leur naissance, miaulèrent à qui mieux mieux, ne recherchant d’autre compagnie que celle des mamelles maternelles gorgées de lait. Ngul, quant à lui, naquit albinos, son poil blanc provoqua la moquerie de ses frères et ses yeux, souffrant de la lumière, étaient toujours mi-clos. Pourtant, Ngul possédait un don qu’aucun autre chat n’avait eu avant lui, celui de la parole, et Afrique, à Nagp et Hei qui sans cesse se gaussaient de ses paupières presque bridées et de son poil translucide, rappela le proverbe wolof qui assure que si l’oryctérope a un groin, c’est sa langue qui capture les fourmis. Si les deux rejetons l’avaient écoutée, ils auraient peut-être compris que toute apparence, aussi disgracieuse fut-elle, pouvait receler des trésors ; mais les chatons se ruaient sur son ventre pour boire et, dans leurs ricanements, lui mordaient les tétins.
De son côté, Ngul rêvassait invariablement et, lorsqu’il daignait enfin se sustenter, le lait était rare et sa portion congrue. Aussi, alors que ses frères croissaient en vigueur et taille, il resta chétif ; il transportait sa silhouette valétudinaire à l’extérieur de la tanière, explorait le monde, échangeant son avis avec les animaux qu’il croisait et qui lui répondait inévitablement par des meuglements, des feulements et autres piaillements. Ngul, avec son vaste vocabulaire, n’était compris de personne – il en conçut bien évidemment un sentiment d’étrangeté.
Il décida donc de s’essayer à la compagnie des hommes tout en sachant que cette résection faunistique serait sans doute sans retour, à la manière de l’eau d’une rivière qui jamais ne revient sur pas. Il se rendit auprès d’Afrique pour un dernier adieu et, à cet effet, se frotta contre elle affectueusement, la régalant de tendres caresses auprès desquelles même l’haptonomie aurait eu l’air d’un contact brutal. La mère tenta bien de sangloter un peu, mais ses yeux de chats ne le lui permirent pas – seul Ngul avait des accointances avec la race humaine. Ses frères, assis sur leurs nèfles, le regardèrent s’éloigner avec un air goguenard.
Il se rendit chez le marabout du village voisin que même les animaux considéraient comme sage. Cependant, le féticheur, tout avisé fut-il, crut le chat envoûté, secoua ses grigris tout autour de lui et, comme la bestiole pérorait de plus belle, l’homme fut pris d’une telle rage apotropaïque qu’il brandit son bâton avec énergie et l’abattit sur le crâne de l’animal qui s’effondra. À ce tournant du récit, la légende connaît différentes versions mais la plus répandue affirme que le sorcier, aussi doué en sort qu’en affaire, utilisa le cerveau du chat pour créer des amulettes contre la bêtise qui rencontrèrent, en s’en doute aisément, un fort succès commercial. Avec la peau blanche de Ngul, il se fit un ornement qui fut du plus bel effet sur son pagne. Et lorsqu’on l’interrogeait sur les vertus de ses talismans, il étirait longuement ses bras, plissait les yeux à l’extrême et répondait par un miaulement impénétrable.

Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
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