Écritures, billets, nouvelles, contes, brachygrammes, poésies, prosoésies, ludilemmes, romans...

Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

samedi 31 mars 2012

Comme l’œuf pour la mouillette (JPH n°131)

Jeu littéraire (et sujet de mon cru, d'ailleurs) du forum À vos plumes : écrire un texte dont l'action débute sur un canapé en incluant les sept couleurs de l'arc-en-ciel (rouge, orange, jaune, bleu, vert, violet, indigo).

Prologue : 

« La femme est faite pour l’homme 
Comme le pommier pour la pomme, 
Comme le trou pour la souris 
Et la poule pour le riz. » 

Corps (littéral) du sujet : 

Ainsi chantait Madame Raymonde (http://www.madameraymonde.com) lorsqu’Elena m’enfourcha. À défaut de riz, j’avais au moins la souris ou la poule et, bien évidemment, le trou ; quant à la pomme… Inutile de gloser sur celle qu’Adam croqua imprudemment, fruit qui lui resta d’ailleurs coincé au travers de la gorge. 
Ma nuque, coincée contre l’accoudoir du canapé, formait un angle droit du meilleur inconfort ; Elena immobilisa mes bras au-dessus de ma tête, les maintenant avec une telle vigueur que j’étais certain qu’ils seraient émaillés d’un bleu à chaque emplacement de ses doigts. Malgré l’incommodité de ma position, je pris un rythme de croisière régulier, ahanant pareil au maillot jaune d’un tour de France génital, bien qu’en fait de pourtour, je me concentrais surtout sur son centre. 
Elena libéra enfin mes bras et, de mes mains, je tâtai à tâtons (et ton ton taine !) ses seins et sa croupe dont je sentis sous mes phalanges la légère peau d’orange, petit détail connu qui ne ralentit pas ma frénésie. Au vu des gémissements qui florissaient de la poitrine d’Elena, je songeai que j’avais sans doute (sauf à ce qu’elle simulât, ne révulsant l’indigo de ses yeux que pour mieux me mentir) la main verte pour l’amour – bien que, techniquement, il ne se fût agi en l’occurrence que d’un doigt métaphorique, lui-même vert et pas mûr. 
Notre chien, sans doute attiré par le bruit de nos ébats (ou par son odeur, allez savoir ce que perçoit précisément un chien !), s’approcha et je craignis un instant qu’il ne se joignît à notre sautillante entreprise. Je l’écartai d’un vif mouvement du coude et en profitai pour donner à ma nuque un angle plus humain ; sous ce soubresaut supplémentaire, le canapé émit lui aussi un gémissement sonore. Ainsi délivré de cette tension cervicale, je concentrai toute mon attention sur la zone de contact que je partageais avec Elena. Celle-ci émettait des borborygmes incongrus dont je ne pouvais définir s’ils s’apparentaient davantage au couinement de la souris ou au gloussement de la poule – les deux d’ailleurs déjà mentionnées. J’étais le Professeur Violet d’un Cluedo orgasmique, brandissant l’arme du crime qui allait conduire, il fallait l’espérer du moins, à la (petite) mort, bien que le nom originellement anglais du protagoniste, Professor Plum, eût mieux convenu de par l’analogie formelle et fendillée de la prune et de la vulve (comparaison pour faire valoir ce que de droit). 
Notre divan émit un nouveau craquement (j’avais craint un instant que la crépitation n’émanât d’Elena elle-même) mais je conservai mon cap – et mon/notre rythme – je n’aurais pour rien au monde voulu déchoir jusqu’au statut de lanterne rouge, celle-ci étant pourtant emblématique de bien des plaisirs. 

Épilogue (ou chute – également littérale) : 

« Oh ! Que ne fais-je mes achats 
Chez notre Grand Ami Suédois 
Pourvoyeur d’endurants sofas, 
[…] Car mon canapé s’effondra ! »

samedi 17 mars 2012

Et semblait un réseau tissu de laine blanche (JPH n°130)

Jeu littéraire du forum À vos plumes. Écrire un texte se déroulant dans un cadre enneigé et contenant au moins cinq des six mots suivants : laid, charbon, plomb, ivre, clef, brandir. 

Mes jambes me faisaient atrocement souffrir, mon bras droit semblait suspendu à la verticale, comme en apesanteur ; seule ma main gauche pouvait encore bouger – bien que faiblement. Cette main gauche qui, dans son agitation, avait préservé une poche d’air, réduite mais vitale. Mes pensées se recollèrent pout former un tout plus ou moins cohérent, l’avalanche et mon corps ballotté. Je reprenais connaissance, et conscience de ma précarité. 
Par moment, le poids de la neige accumulée menaçait de me broyer entièrement de son plomb réfrigéré comme il l’avait sans doute déjà fait de mes jambes douloureuses ; l’instant suivant, mon cerveau ivre s’égarait et je ne savais où se trouvaient le haut ou le bas. Quand la raison s’imposait, je m’alarmais du peu d’air dont je disposais. Il faisait très sombre, alors que j’avais imaginé le manteau nivéen d’une pureté telle qu’à travers ses constituants la lumière se répandrait, ceignant toute personne enfouie d’un halo clair et encourageant. C’était oublier que la glace cristallisée s’agglomérait sur un cœur de poussière ; chaque flocon posséderait-il une âme noire, une microscopique psyché de charbon, éros virginal emmurant un thanatos fuligineux ? 
Surtout, ne pas paniquer ! Chaque accélération de ma respiration réduirait d’autant mes possibilités de survie ! 
Mon bras involontairement brandi à la verticale passait doucement – mais inexorablement – de l’endolorissement à l’insensibilité ; si mes neurones tentaient de se dissocier des élancements de mes jambes, mon bras avait quant à lui pris de l’avance sur ce processus. Il s’était déjà désolidarisé de mon corps, dissout dans la neige. Ce n’est qu’alors que je pris conscience du froid extrême qui m’entourait de toute part et je songeai, avec quelque amertume, à deux alexandrins dont je ne parvenais d’ailleurs à retrouver l’auteur : 
La neige autour de lui croulait du firmament, […] 
Pour servir de linceul au voyageur errant. 
Lorsque je les avais lus, ces vers m’avaient paru convenus. Ils étaient pourtant fort à propos et n’aurait pu mieux traduire le sort qui m’attendait certainement – je dis certainement parce que je constatai qu’en cette circonstance, fût-elle désespérée, un espoir saugrenu mais réel me rattachait à la vie, cette vie que je sentais disparaître, engourdie par le gel, un gel qui conserverait peut-être la chair tout en exprimant le souffle, maigre consolation. 
Derrière moi – et je crus d’abord mes sens hallucinés par le froid – retentit une musique, entrecoupée des craquements qui naissaient de la gangue ivoirine dont j’étais prisonnier. Et ces notes qui s’élevaient auraient pu être la clef de ma survie lorsque je réalisai qu’il s’agissait de la sonnerie de mon téléphone émanant de mon sac-à-dos. De ma main libre, je sentis la lanière dudit sac mais aucun autre mouvement ne fut possible. Avec une certaine ironique climatique s’égrenèrent les notes chaleureuses et mouvementées du Concerto d’été de Joaquín Rodrigo. Aussi, je concentrai mon attention sur le violon et l’orchestre ; la pièce devait durer une vingtaine de minutes tout au plus et si la technologie n’avait pas mis en route le répondeur de cet inaccessible téléphone, le concerto m’aurait sans doute accompagné jusqu’à ma fin.

jeudi 1 mars 2012

50 noms - arvinillit (JPH n°129)

Jeu littéraire du forum À vos plumes : écrire un texte sur le thème "La voix est un second visage" comprenant un oxymore. Ce texte clos la série "50 noms" ; à lire chronologiquement en commençant par 50 noms - atausiq

Après que mourut la Créature, nous menâmes, notre enfant et moi, une vie d’itinérance, errant de lieux inappropriés en endroits moins propices encore. Déjà, sur les berges de la Tamise, l’étrangeté de ma fille avait attiré sur nous regards et jugements. À peine née, enveloppée de la fourrure blanche de sa mère, elle émit un son imprévu, mêlant accents musicaux à quelques cliquetis semblables à ceux que produit la glace lors du dégel. Cette étrange mélopée s’échappait de ses lèvres légèrement bleutées qui tranchaient avec le duvet neigeux recouvrant son visage et, au dehors, des flocons envahirent le ciel, se précipitant vers nous avec un enthousiasme amical. L’enfant avait faim, elle cria de plus belle, sa voix transmuta en chant les borborygmes de son estomac et la tempête se leva, un vent cinglant balaya la rive, un vent sans mesure avec le climat anglais. Je mâchouillai longuement un morceau de proie (lapin, perdrix, je ne sais plus), le jus exprimé s’échappa de ma bouche vers celle de ma progéniture, un sourire s’y dessina, un cri satisfait en sortit – la neige tomba avec plus de parcimonie. 
Partout, la foule attirée par le météore froid mais inhabituel s’approchait, s’émerveillait d’abord des chants qu’elle entendait puis, en découvrant la source – mon enfant, ma chair – s’épouvantait. Nous constatâmes que la superstition était chose universelle ; inévitablement, nous finissions chassés, voire battus. Seuls les scientifiques, spécialistes du génome ou de la météorologie, nous approchaient sans crainte mais tous dans d’inavouables desseins. 
Ainsi j’avais traversé à rebours la Manche et, de périples en pérégrinations, nous avions enfin élu domicile dans le Tyrol autrichien, quelque part au milieu de rien, dans les montagnes désolées, non d’existence mais d’humanité, ce qui convenait parfaitement à l’avanie dont nous étions l’objet. Le froid qui nous entourait ne dépariait pas notre environnement, nous vivions dans un gîte d’étape abandonné sur un sommet non moins déserté. Ma fille grandit, à dix ans son corps entier se couvrait d’une belle fourrure pâle, pareille à celle (souvenir de la Créature) qui ceignait mes épaules. Mais le gel constant, s’il était l’élément de ma progéniture, n’était pas le mien. J’avais vieilli prématurément, la cicatrice de ma main m’élançait atrocement, s’insinuait dans mes veines le froid chaleureux que produisait mon enfant pour sa survie. 
Je gisais sur ma couche, au dehors j’entendis la voix de ma fille, ses roucoulements surprenants, générateurs de givre, ses chants qui parfois emplissaient la montagne, recouvraient les pics de psalmodie et de blancheur. J’écoutai cette musique inspirée qui contrastait avec son physique de fauve, ses oreilles de faune, sa genèse monstrueuse, sa vie poétique que j’étais, jusqu’à présent, parvenu à protéger. 
Je sentis bientôt l’étau de glace sceller ma poitrine, mes poumons avaient déjà réduits leur capacité à sa plus simple expression. Plus que la mort, abandonner l’enfant était une souffrance, elle aussi glaçante. Ma fille jouait avec désinvolture, j’en reconnaissais les bruits, les notes cristallines. Dans un dernier souffle, je l’appelai (mais ma voix ne fut qu’un murmure – inaudible) : 
50 – Neige…

Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
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