Écritures, billets, nouvelles, contes, brachygrammes, poésies, prosoésies, ludilemmes, romans...

Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

mercredi 22 juin 2011

Horloge andronique (δ – Euros, soif inextinguible)

Ton vêtement, gonflé de vent, claquait, s’emplissant, se rétractant, alternativement, telle une respiration hachée, une presque suffocation. Et de cet étouffement ne reste que le souvenir, paraphrasé par les soubresauts d’un drap, les spasmes d’un drapeau secoué de tourmente. Les plissements du tissu se mêlent à l’odeur de ta peau – une odeur bien sûr caduque – s’en emparent, s’en parent, ivres.
Je suis vieux, aujourd’hui cacochyme, ma jeunesse ne s’est pas enfuie, elle s’est recroquevillée en dedans, loin, si loin que moi-même crains de ne pouvoir jamais la retrouver. Car pour ce faire, il me faudrait emprunter un labyrinthe hérissé d’épines où se blesseraient mes chairs ; tout effort de réminiscence ne fait-il pas de moi un Minotaure, aux mâchoires saignantes, saignantes d’une viande déjà corrompue ? Pour chaque goutte de sang répandue, une bribe de ma mémoire se désintègre, une souffrance du manque de toi fond dans le néant, limbes ingrats où tu te noies, itérativement. Le chemin à parcourir serait long, et ardu, j’en reste sur le seuil, par pusillanimité (je redoute la douleur) mais surtout par refus de l’oubli, je me préfère dans l’affliction, voire la désolation, où se trouvent encore des traces de toi.
Par instant, j’imagine un autre corps que le tien, par instant seulement > égarement… Toutes autres caresses seraient pourtant un misérable succédané, une copie aussi pâle que l’était le pli de ton aine, la douceur de ton creux poplité. Mais le stupre me fait défaut, rien ne saurait le pallier, pas même la mémoire ou l’imagination, la main peut-être. Je plie sous le poids de ton absence et, plus je me courbe, plus mon désir croît, inversement proportionnel, jouet de coupables mathématiques. La vie s’acharne à me faire exister, malgré moi.

vendredi 17 juin 2011

Horloge andronique (γ – Apéliote, braise levantine)

J’ai goûté la terre, son goût métallique – et le crissement qu’elle provoque sous mes dents. En d’autres temps, j’aurais juré la chose abjecte, mais les circonstances me façonnent, me laminent surtout, formant sur ma chair des monticules de stupéfaction, des cicatrices interdites. Je ne sombre pas, l’océan est trop éloigné pour m’ensevelir, le sol lui-même ne s’ouvre ni ne m’engloutit ; je ne sombre pas, le vent jamais ne m’emportera, je savoure la glaise dont mon corps se leste, je me gave de boue, je m’alourdis. Tout plutôt que la douloureuse ivresse de l’amertume.
Mes pupilles ont vibré et mes paupières, closes enfin, m’ont suggéré des landes, d’abord stériles. Le soleil s’y est levé, l’eau y a gravé son nom et, peu à peu, quelques animalcules ont été générés. Merveille que la vie liminaire, dans son balbutiement, dans son enivrante éternité ! La glèbe s’est faite fertile, les moisons se pâment, les céréales se multiplient à l’infini, tel l’humain biblique, tel le cancrelat. J’ai croqué la pulpe des fruits, la saveur en était aigre, aussi décevante que l’existence.
Tu as soufflé sur mes cils, avec fraîcheur, tu as saisi mes épaules, tu as posé ta peau contre la mienne, ton sexe contre le mien et le souvenir trace sous mon épiderme des coursives minuscules où s’agite un fiel, comme une gale amoureuse. Ta silhouette se dessine par bribes, erratique, fantomatique, la lumière transperce ta chevelure, de l’intérieur le flamboiement t’illumine, comme des viscères dévorés de feu. Les flammes ont consumé tout lien, avec cérémonie et une certaine grandeur, voire théâtralité, les flammes ont léché tes pieds et tu n’es plus.

lundi 13 juin 2011

Horloge andronique (β – Cécias, nive longue)

Entre les herbes, l’image de ton cadavre repose (te voir en rigor mortis plutôt qu’ailleurs), tes yeux fixent le ciel, reflètent les nuages qui s’y promènent, tes yeux peut-être ensevelis de boue. Tes mains rétractées forment des signes énigmatiques que nul ne saura déchiffrer.
La grêle est tombée, fracassante, et sonore – toujours son bruit t’effrayait, blotti au creux de songes impossibles. Le martellement résonne, s’alterne aux pulsations de l’horloge dont le gargouillis retentit, long borborygme, vidange.
Je suis sorti nu, sans protection, les grêlons battent ma peau, y déposent des marques rouges, puis bleuâtres, autant d’ecchymoses dont la trace décompte le souvenir. Je déambule, les rues se dévident peu à peu, les façades additionnent mes pas avec circonspection, la glace se forme dans mes cheveux, autant de grains frigides façonnant casque de givre. Mon regard se tourne vers l’est et, si la nuit perdure, l’horizon bientôt montrera son croissant diurne, et son espoir héliaque, si humain. Homme je suis, mon squelette me supporte – avec parfois quelques difficultés – mon crâne enregistre données et hypothèses, mes pupilles tentent de fuir l’essentiel ; telle est mon humanité, de chair, d’atermoiements.
Tout, alors qu’il serait si simple de se vautrer dans l’alcool, dans le stupre, avec le plaisir que l’on sait, que l’on suppose du moins. Mais comment, sans toi, jouir de l’aurore, des gouttes éphémères ? Qui sera mon bouclier ?

vendredi 10 juin 2011

Horloge andronique (α – Borée, porte béante)

Tu as fui. Vent de murmure, eau de clepsydre, souffle continu qui remonte mes nerfs en pointe grinçante.
Parmi les tourbillons, j’ai aperçu ta silhouette, flottant entre deux strates d’oxygène. Tu as disparu, ta main, une dernière fois, s’est posée sur mon épaule sans que même tu n’embrasses ni ne m’étreignes. Et minute après minute, je me languis de cet écart et de ton corps dérobé ; tu gis certainement, à moins que ton agonie n’ait point cessé. L’incertitude est ce petit rat, à l’allure presque innocente, dans un couinement ronge ce qui peut encore l’être et jamais n’octroie de repos.
Les girouettes claquent et le borée – dont le hurlement mime une conque morbide – embroussaille tes cheveux, leurs boucles seules semblent me saluer d’un adieu d’éther. Si tu étais un dieu, ta barbe s’enroulerait en spires neptuniennes, si tu étais armide, tes mains frôlant tes reins ébaucheraient un tournoiement, peut-être lascif, peut-être. Et si tu étais janusien, porteur de clefs, mon désespoir n’en serait que plus grand. Mais l’ignorance me caresse de son bénéfice, et de sa douleur. Tu avances, viril et délicat, tu te presses, fluide et voluptueux, tes formes dessinent des traits rapides, en griffures. Tu avances, tu avançais plutôt, dans un passé définitif – tu avançais, je marque une pause, inextinguible, ce temps précieux encore où les larmes offrent l’illusion de la permanence du chagrin, ce temps où l’oubli paraît impossible. Ou monstrueux.

Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
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