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Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

lundi 8 novembre 2010

Post coïtum (JPH n°97)

Texte à consignes du forum À vos plumes sur le thème : Obsession. La première phrase est imposée.

C’est la première fois que je ne suis pas triste quand il part. Et pour cause ! Il ne le sait pas encore mais il ne m’a pas quittée entier, pas cette fois. Je reste ici, étendue sur le lit ; je reste ici, avec son âme au creux de ma main – et il l’ignore ! Son âme qu’il m’a vendue pour une jouissance de plus, un plaisir pathétique.
Il se vautre sur mon corps, il le malaxe, le serre sous l’étau de son poids, il ahane, il éructe, il jouit enfin, enfin ! Et moi je crie, non pas de lascivité, je lui crie mon désir d’enfant, je veux sentir la chair grouiller dans ma chair, je veux que la glu blanche qu’il répand me fertilise, je hurle à la maternité. Et lui de s’obstiner à sa pauvre concupiscence, de répandre son sperme dans son réservoir de latex, de gomme stérile. Je le déteste mais sa semence est en moi, elle m’inonde de sa prodigalité et me voici enfin féconde, il n’a fallu presque rien, juste percer d’un trou minuscule les préservatifs dans leur emballage. Une épingle a suffi, cet objet insignifiant. Il y a sans doute un parallèle formel entre l’épingle et l’aiguille qui, jadis, procédait aux avortements ; mais de cet insuccès, jamais ! Les cellules se multiplieront, deux, quatre, seize, multitude, bras, jambes, sexe, visage. Je tiendrai dans mes mains cet être de peau, chaud et faible, que je protégerai de tous, bec et ongles. Et parmi ses gestes, dans ses traits, je verrai s’animer mes propres cellules, je trônerai au firmament, divine génitrice et, d’un simple revers de la main, je gommerai les gènes paternels devenus vains.
Utérus, conduis mon sang, divise ma chair, ordonne les particules ! Que de ces divines manipulations naisse un germe, une radicelle, une étincelle !

Il part et son âme sanguinolente s’écoule dans ma paume, mes ongles la déchirent, avec voracité, violence pour violence. J’allume un feu – divine sorcellerie – et au cœur du chaudron, je place l’organe rouge, ses palpitations irrégulières signent son agonie. J’y déverse le sirop de mon humiliation et, dans un bouillonnement âcre, s’élèvent vapeur et soufre. Sonnez, cloches ! Harcelez les tympans des honnêtes gens ! Fermez les portes, les clefs tournent en grinçant, les clenches jouent, définitivement.
Il part et jamais je ne le reverrai. Mieux, j’élèverai mon enfant dans la haine de cet individu, cette chose, moins qu’un homme. Lui qui m’a avilie pour mieux m’engrosser, à son insu. Lui qui ne voyait en moi qu’une poupée, objet de débauche, sans émotions, sans cervelle, sans vie. Je dévorerai son souffle captif, je serai carnassière, je m’enfuirai dans les secrètes tanières du ressentiment pour y faire croître ma descendance et je l’observerai, lui, souffrir à mes pieds, suppliant ; à terre la mâle verge ! Gémis si tu le peux, implore-moi si tu l’oses ! Tu n’as pas d’enfant car je suis toute puissante et, dans ma magnanimité, je ferai en sorte qu’il t’abhorre. Ainsi, tu auras la place que tu mérites : aucune. Et encore, c’est presque trop.

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(Bashō Matsuo)
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