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Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

lundi 25 mai 2009

Liquide (JPH n°63)

Jeu littéraire du forum À Vos Plumes. Contrainte : écrire un texte en s'inspirant d'une chanson connue du répertoire français.

Pour contrer la poussée d’Archimède, j’appuie longuement sans laisser mon esprit voguer sur la théorie des corps flottants. Je sens sous mes mains les épaules et les clavicules délicates de Clara, et j’avoue ne pas m’être attendu à une telle résistance de sa part. Pourtant, mon action est efficace : j’ai surgi dans son dos puis exercé ma pression. La mer est étale, rien ne perturbe l’inéluctabilité de sa mort.
En cas d’immersion, un reflexe d’apnée se met en place qui peut durer de quelques secondes à deux minutes environ selon les circonstances. Puis, la respiration reprend ses droits et l’eau envahit les poumons. Évidemment, je n’ai pas le loisir – ou la présence d’esprit scientifique – de chronométrer la noyade de Clara, mais le temps me paraît bien long avant qu’elle ne daigne cesser ses mouvements désordonnés pour boire enfin une bonne et ultime tasse.
Une fois la chose faite, Clara coule à pic et je regarde ses cheveux onduler, emportés par le poids de son corps, comme une méduse chatoyante plongeant vers les abysses.
Tout cadavre de noyé est promis à un futur flottement lorsqu’il se retrouve gonflé des gaz issus de sa propre fermentation. Cependant, la mer abonde de créatures merveilleuses, des plus microscopiques aux plus démesurées, qui, comme des organites sanguins, veillent à son équilibre – une homéostasie aquatique, en somme. Et contrairement à l’espèce humaine, chaque individu y respecte le rôle qui lui échoit.
J’ai une confiance toute particulière dans les crabes qui, en plus de posséder une chair délicate et savoureuse, sont des nécrophages féroces. Leur appétit et celui de quelques uns de leurs congénères les conduira amoureusement vers le corps de Clara dont ils ne feront, si j’ose dire, qu’une bouchée des parties molles. Quant aux composants plus coriaces de son anatomie, je compte sur l’aide de la salinité marine et des prédateurs moins regardants. Et puis, Clara a les os fins, très fins.
J’écoute le bruit désabusé des vagues. Ce n’est pas encore le crépuscule mais le soleil a déjà disparu et l’eau, parée de teintes métalliques, semble une masse de mercure à peine mouvante. Les efforts conjugués de Clara et Archimède n’ont pu vaincre l’alliance que les puissances marines et moi avons conclue.
Je suis impressionné par le calme de la mer quand on songe aux événements qu’elle a abrités et à ceux qui se trament en son sein : pourrissement et dévoration. Les éléments sont sans états d’âme et l’océan n’a besoin ni de raison ni d’excuses pour produire raz-de-marée ou tempêtes. En quoi le cas de Clara serait-il différent ?
L’eau suit son ressac innocent et hypnotique – sans malice ? – et toujours, la mer, qu’on voit danser le long des golfes clairs, a des reflets d’argent, sonnant et trébuchant.

2 Comments:

Chrysopale said...

Au risque de me répéter (je le prends!), l'idée d'imaginer ce qui a bien pu inspirer une chanson est très original (quoique, un peu... glauque ici, non?).
Je n'avais pas compris cette réflexion à temps que pour l'apprécier correctement au moment de mon vote.

Lunatik said...

Dommage que je ne lise ton texte que maintenant, tu aurais eu mon vote coup de coeur sans hésitation, encore une fois...

Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
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