Écritures, billets, nouvelles, contes, brachygrammes, poésies, prosoésies, ludilemmes, romans...

Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

samedi 10 octobre 2009

Thébaïde

Les jours se succèdent, tous identiques, déposent dans ma mémoire des carrés réguliers et calendaires ; les dates défilent, du un au trente et un, immuablement à quelques nycthémères près. Que penser de tous ces neurones occupés si futilement ?
Au lever déjà, des cris me poursuivent, les disputes jaillissent de droite et de gauche, toutes entachées de mauvaise foi. Je me penche sur mon bol de thé, j’observe les dessins laissés par le beurre, j’écoute à l’intérieur le croustillant de ma tartine, je tente de m’absorber dans cette contemplation. Mais toujours l’agitation familiale me cerne, les bruits phagocytent ma bulle de calme, éphémère, éclatée au premier cri. Paix et foyer seraient-ils antinomiques ?
De la maison à l’hôpital, le train crisse, les téléphones vrillent, le son des rails hypnotique. Le bus me brinquebale, la cohue est humaine et automobile, tous les sens tiraillés, les yeux accrochés par les mouvements, les lumières, les publicités stupides. L’ouïe est mise à mal, bourdonnements, cacophonie, acouphènes. La promiscuité s’immisce par tous mes pores, étrangeté d’un monde qui fuit le délice du vide.
Odeur hospitalière, âcre. Tous les vieillards me harcellent de leurs regards implorants, nécessité de vigilance, constamment. Tous quémandent une attention, une parole, une ébauche de sourire, tout geste devient une panacée. Aujourd’hui, l’un d’eux est mort, avant mon arrivée, la chambre déjà désinfectée attend une autre forme, une nouvelle silhouette cacochyme, muette et sans doute elle aussi désincarnée. Existe-t-il un lieu exempt de naissance et de mort, un refuge exquis où l’existence se réduirait à l’évidence ?
Fatigue ; chacun réclame son dû : femme, enfants, collègues, amis, voisins, tous y compris les étrangers croisés au hasard des rues, des magasins. Tous envahisseurs de ma proxémie !
Moi qui rêve de quiétude suis plongé en asolitude, villégiature bruyante où tout isolement ne peut être qu’illusoire. Nul autre ne souhaite à ce point connaître une seconde de néant, enfin séparé de toute stimulation. Je fais quelques œillades à la méditation, les sages ne surnagent-ils pas dans un univers de sérénité ? Mais au premier jour, mon esprit manifeste sa véritable nature incessamment créative, les idées germent, les images se bousculent, les digressions sont sans fin. Le second jour, j’expérimente quelques vérités sur moi-même qui me laissent amer et déconfit. Le troisième, je constate que le chaos extérieur n’est rien en comparaison de mon brouhaha intérieur. Le sommeil lui-même ne m’apporte qu’une tranquillité relative, entrecoupée de rêves, hachée de cauchemars délictuels et de réveils brutaux.
Et pas une seconde je ne songe à la mort ; qui sait ce qui se trame sur l’autre rive ? Il me faut être réaliste, la multitude des défunts – quelle que soit sa domiciliation, édénique ou chthonienne – doit bien s’y terrer, prête à m’accueillir, prête à m’envahir, elle aussi. La Terre compte plus de six milliards d’individus, ce chiffre déjà insupportable ne peut être que broutille comparé au peuplement de l’au-delà.
En désespoir de cause, je harangue la foule, je l’invective, peut-être rehaussé sur une caisse, voire sur le toit d’une voiture. Et je crie « Solitude ! Solitude ! » jusqu’à en être enivré, jusqu’à ce que mes hurlements soient si présents qu’ils m’en fassent oublier mon entourage et les badauds ridicules qui m’observent en souriant, qui s’enfuient le nez sur le trottoir. Et je proclame la Solitude, comme un état souverain, un droit inaliénable. Et je proclame la Solitude ; si j’en avais appelé à une tendre thébaïde, nul ne m’aurait compris.

2 Comments:

Chrysopale said...

J'arrive vraiment pas à mettre des mots sur ce que ton texte provoque en moi... j'ai presque envie de monter sur la voiture et d'aider le narrateur à hurler sa peine...

Chloé said...

"Ah les belles joies de la Grande Ville !"

Subir un stress persistant et continu alors que l'on aspire qu'à un peu de calme, de volupté et de solitude, y a souvent de quoi fondre un plomb !

Au petit matin et le soir, la maison remplie des rires, des cris ou des disputes des enfants, c'est le lot quotidien de chaque familles.

Mais subir le même sort tous les jours au boulot et aussi dans les transports, ce doit être vraiment invivable.

Je ne quitterai pas ma cambrouse pour rien au monde. J'ai fait toute ma carrière de manière paisible à Montauban et toujours refusé un poste plus important, rien que pour ne pas aller vivre sur Toulouse. Je ne m'en suis jamais mordu les doigts, même si je sais pertinemment que j'aurais gagné un salaire plus confortable.

C'est vrai que dans les petites villes, la qualité de vie n'est pas comparable.

Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
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