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Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

vendredi 20 mars 2009

À la grâce des dieux (JPH n°58)

Jeu Presqu’Hebdomadaire du forum À Vos Plumes. Texte à consignes : situer l’action dans l’antiquité et débuter par « La construction du palais allait bientôt commencer ».



La construction du palais allait bientôt commencer sur la plus haute plateforme de la ziggourat. Le bâtiment dominerait ainsi la ville d’Uruk et serait, dans un an à peine, le siège du lugal Gilgamesh. Rien ne l’égalerait en splendeur sur toute la terre de Kiengi.

Pour la glorification de ce descendant des dieux, un temple consacré au culte d’Innana serait également bâti. La magnificence de la demeure royale et la sainteté du sanctuaire rayonneraient bien au-delà de la cité.

À la différence de la populace enthousiaste, je restais réservée. Père, lettré parmi les lettrés, m’avait offerte au temple pour y devenir hiérodule. J’avais vu sa propre main graver la tablette d’argile qui m’immolait à ce sort. Son calame n’avait pas tremblé en apposant mon nom ; sa faveur auprès du roi en serait décuplée.

Un prestige certain rejaillissait sur toute famille dont la progéniture était sujette à l’hiérogamie. Mais, par le biais de Père qui hantait la cour du lugal, je connaissais les coulisses du pouvoir depuis mon enfance. Officiellement, seul le roi lui-même m’honorerait à chaque lunaison, pour rappeler son ascendance divine et apporter les bénédictions sur le peuple. Innana n’était-elle pas la déesse de l’amour, de la guerre et de la fertilité ? Gilgamesh se devait de l’adorer et la craindre simultanément.

Dans la réalité, je savais bien qu’hormis ce rituel d’union, je deviendrais l’objet des prêtres, des devins de haut rang et sans doute même des kurgarrû, ces extatiques pervers. Pour Père même, je perdrais mon statut de fille pour n’être plus qu’une prostituée sacrée. Qu’Asag l’emporte et lui fiche son calame dans le cœur ! Puisse-t-il tous les traîner dans un enfer de poussière et d’oubli !

Je serai parée d’or et vêtue de soie, ointe d’onguent. Des peignes de nacre rarissime orneront mes cheveux. Tant de somptuosité jusqu’à ce que mon corps se mette en gestation. Tous me regarderont alors avec horreur, comme une divinité déchue, impure. Je serai bannie du temple, répudiée loin du palais, dans d’odieuses maisons si Utu me sourit, sinon abandonnée aux esclaves. Innana se verra offrir d’autres vierges et pendant ce temps, Père sera l’oreille du roi – gloire au seigneur Gilgamesh !

Depuis hier, Asarluhi, le dieu des ondées, sans doute ému par mon désarroi, faisait s’abattre une pluie serrée, retardant d’autant le séchage des briques d’argile nécessaires à la construction. Après tout, il faudrait presque une année pour que le palais et le sanctuaire soient achevés et se parent de leurs ultimes hauts-reliefs.

La vie des hommes était dédiée au service et au confort des dieux. Que dire alors de celle des femmes ? Je serai la glorificatrice des Annunaki, la parèdre du roi, la servante de Père.

Ce matin, Père m’a offert un collier de perles d’argent magnifiquement travaillées. Il a saisi mes mains, posé son regard dans le mien et m’a murmuré :

« Vois Nintu, ma fille, il y a une perle pour chacune de tes années. L’an prochain, lorsque tu seras vénérée dans le temple, nous en ajouterons une neuvième. »

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(Bashō Matsuo)
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