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Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

vendredi 11 décembre 2009

Indépendance ou le vide plein

Billet écrit après la lecture de l’opuscule d’Eigil Knuth, « Indépendance, ou la philosophie du voyage en traîneau » (ouvrage quadrilingue en français, groenlandais, inuktitut et russe, agrémenté de nombreux dessins de l’auteur).

Pour paraphraser Indépendance, peut-être eut-il fallu que la feuille restât blanche, entièrement, immaculée même. Car c’est de cela qu’il s’agit, un désert de neige, une étendue sans limite, que ce soit de géographie ou d’esprit.
Au fur et à mesure que les pages de cet opuscule se feuillettent, les édifices nivéens prennent forme, se sculptent de silhouettes multiples – fantômes protéiformes qui hantent ce néant ; le vide se pare de plein. Le traîneau file, traverse la page, se fraie un chemin entre les caractères, atomes noirs et labiles qui épousent sa trajectoire. Le temps n’a pas de prise qui s’étire amoureusement, oublieux même de la nuit, éternelle aube.
La liberté enfin s’impose, aveuglante, statuesque dans son immensité mais sans cesse changeante comme chaque horizon, chaque détour de montagne.
Le texte de cet étrange ouvrage s’égrène en français, groenlandais, inuktitut et russe. Peu importe notre capacité à déchiffrer ces langues millénaires ou à traduire ces signes kabbalistiques, la magie opère, le mystère de la traversée de l’inlandsis s’épaissit encore sous ces alphabets sibyllins. Leur lecture reste énigmatique, à l’instar de ce monde glaciaire où la chaleur brûle le cœur de l’homme et ravive son cerveau.
Imaginons : alors que les triangles, les courbes sinueuses et les diacritiques minuscules de l’inuktitut apparaissent, un doigt avide de retrouver les sensations de l’auteur glisse sur les phrases incompréhensibles. Par un phénomène d’empathie, l’encre se dissout sous la pulpe, des lignes sombres naissent et s’étirent comme les coupures des traîneaux, les ornières peu à peu disparaissent, se font vestiges. Encore un effort et la page devient à son tour inaltérée, quelques manipulations supplémentaires et le livre en son entier recouvre sa virginité.
Ne serait-ce pas un sublime hommage à Eigil Knuth que de lui rendre son ouvrage ainsi purifié, ayant nous-mêmes inclus sa substance dans notre chair, vide de toute empreinte humaine, prêt pour de nouvelles explorations et – souhaitons-le – pour les mêmes extases, les mêmes découvertes mystiques.

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