Écritures, billets, nouvelles, contes, brachygrammes, poésies, prosoésies, ludilemmes, romans...

Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

jeudi 1 mars 2012

50 noms - arvinillit (JPH n°129)

Jeu littéraire du forum À vos plumes : écrire un texte sur le thème "La voix est un second visage" comprenant un oxymore. Ce texte clos la série "50 noms" ; à lire chronologiquement en commençant par 50 noms - atausiq

Après que mourut la Créature, nous menâmes, notre enfant et moi, une vie d’itinérance, errant de lieux inappropriés en endroits moins propices encore. Déjà, sur les berges de la Tamise, l’étrangeté de ma fille avait attiré sur nous regards et jugements. À peine née, enveloppée de la fourrure blanche de sa mère, elle émit un son imprévu, mêlant accents musicaux à quelques cliquetis semblables à ceux que produit la glace lors du dégel. Cette étrange mélopée s’échappait de ses lèvres légèrement bleutées qui tranchaient avec le duvet neigeux recouvrant son visage et, au dehors, des flocons envahirent le ciel, se précipitant vers nous avec un enthousiasme amical. L’enfant avait faim, elle cria de plus belle, sa voix transmuta en chant les borborygmes de son estomac et la tempête se leva, un vent cinglant balaya la rive, un vent sans mesure avec le climat anglais. Je mâchouillai longuement un morceau de proie (lapin, perdrix, je ne sais plus), le jus exprimé s’échappa de ma bouche vers celle de ma progéniture, un sourire s’y dessina, un cri satisfait en sortit – la neige tomba avec plus de parcimonie. 
Partout, la foule attirée par le météore froid mais inhabituel s’approchait, s’émerveillait d’abord des chants qu’elle entendait puis, en découvrant la source – mon enfant, ma chair – s’épouvantait. Nous constatâmes que la superstition était chose universelle ; inévitablement, nous finissions chassés, voire battus. Seuls les scientifiques, spécialistes du génome ou de la météorologie, nous approchaient sans crainte mais tous dans d’inavouables desseins. 
Ainsi j’avais traversé à rebours la Manche et, de périples en pérégrinations, nous avions enfin élu domicile dans le Tyrol autrichien, quelque part au milieu de rien, dans les montagnes désolées, non d’existence mais d’humanité, ce qui convenait parfaitement à l’avanie dont nous étions l’objet. Le froid qui nous entourait ne dépariait pas notre environnement, nous vivions dans un gîte d’étape abandonné sur un sommet non moins déserté. Ma fille grandit, à dix ans son corps entier se couvrait d’une belle fourrure pâle, pareille à celle (souvenir de la Créature) qui ceignait mes épaules. Mais le gel constant, s’il était l’élément de ma progéniture, n’était pas le mien. J’avais vieilli prématurément, la cicatrice de ma main m’élançait atrocement, s’insinuait dans mes veines le froid chaleureux que produisait mon enfant pour sa survie. 
Je gisais sur ma couche, au dehors j’entendis la voix de ma fille, ses roucoulements surprenants, générateurs de givre, ses chants qui parfois emplissaient la montagne, recouvraient les pics de psalmodie et de blancheur. J’écoutai cette musique inspirée qui contrastait avec son physique de fauve, ses oreilles de faune, sa genèse monstrueuse, sa vie poétique que j’étais, jusqu’à présent, parvenu à protéger. 
Je sentis bientôt l’étau de glace sceller ma poitrine, mes poumons avaient déjà réduits leur capacité à sa plus simple expression. Plus que la mort, abandonner l’enfant était une souffrance, elle aussi glaçante. Ma fille jouait avec désinvolture, j’en reconnaissais les bruits, les notes cristallines. Dans un dernier souffle, je l’appelai (mais ma voix ne fut qu’un murmure – inaudible) : 
50 – Neige…

2 Comments:

Chloé said...

Bonjour Lal Behi, ça faisait un petit moment que je venais vous lire sans toutefois commenter.

Même si je n'ai pas tout compris tous les mots de votre série "50 noms", merci de me laisser, à travers ces différents textes, y voir, croire et penser que cette immense "Tornade Blanche", cette étendue diaphane de douceur, de pureté et de volupté a fini par s'ériger, tel un rempart, pour se protéger de toutes les salissures qui viendraient à la profaner ...

Chloé said...

Lal Behi, vous remarquerez que je vous lis souvent mais aussi ... sous le coup d'insomnies.
Ne voyez de ma part, dans mes propos d'hier, qu'une métaphore pour, tout simplement évoquer et sublimer le mot "AMOUR".
J'ose espérer que vous l'avez compris dans ce sens ... Amitiés et bien à vous.

Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
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