Écritures, billets, nouvelles, contes, brachygrammes, poésies, prosoésies, ludilemmes, romans...

Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

samedi 17 mars 2012

Et semblait un réseau tissu de laine blanche (JPH n°130)

Jeu littéraire du forum À vos plumes. Écrire un texte se déroulant dans un cadre enneigé et contenant au moins cinq des six mots suivants : laid, charbon, plomb, ivre, clef, brandir. 

Mes jambes me faisaient atrocement souffrir, mon bras droit semblait suspendu à la verticale, comme en apesanteur ; seule ma main gauche pouvait encore bouger – bien que faiblement. Cette main gauche qui, dans son agitation, avait préservé une poche d’air, réduite mais vitale. Mes pensées se recollèrent pout former un tout plus ou moins cohérent, l’avalanche et mon corps ballotté. Je reprenais connaissance, et conscience de ma précarité. 
Par moment, le poids de la neige accumulée menaçait de me broyer entièrement de son plomb réfrigéré comme il l’avait sans doute déjà fait de mes jambes douloureuses ; l’instant suivant, mon cerveau ivre s’égarait et je ne savais où se trouvaient le haut ou le bas. Quand la raison s’imposait, je m’alarmais du peu d’air dont je disposais. Il faisait très sombre, alors que j’avais imaginé le manteau nivéen d’une pureté telle qu’à travers ses constituants la lumière se répandrait, ceignant toute personne enfouie d’un halo clair et encourageant. C’était oublier que la glace cristallisée s’agglomérait sur un cœur de poussière ; chaque flocon posséderait-il une âme noire, une microscopique psyché de charbon, éros virginal emmurant un thanatos fuligineux ? 
Surtout, ne pas paniquer ! Chaque accélération de ma respiration réduirait d’autant mes possibilités de survie ! 
Mon bras involontairement brandi à la verticale passait doucement – mais inexorablement – de l’endolorissement à l’insensibilité ; si mes neurones tentaient de se dissocier des élancements de mes jambes, mon bras avait quant à lui pris de l’avance sur ce processus. Il s’était déjà désolidarisé de mon corps, dissout dans la neige. Ce n’est qu’alors que je pris conscience du froid extrême qui m’entourait de toute part et je songeai, avec quelque amertume, à deux alexandrins dont je ne parvenais d’ailleurs à retrouver l’auteur : 
La neige autour de lui croulait du firmament, […] 
Pour servir de linceul au voyageur errant. 
Lorsque je les avais lus, ces vers m’avaient paru convenus. Ils étaient pourtant fort à propos et n’aurait pu mieux traduire le sort qui m’attendait certainement – je dis certainement parce que je constatai qu’en cette circonstance, fût-elle désespérée, un espoir saugrenu mais réel me rattachait à la vie, cette vie que je sentais disparaître, engourdie par le gel, un gel qui conserverait peut-être la chair tout en exprimant le souffle, maigre consolation. 
Derrière moi – et je crus d’abord mes sens hallucinés par le froid – retentit une musique, entrecoupée des craquements qui naissaient de la gangue ivoirine dont j’étais prisonnier. Et ces notes qui s’élevaient auraient pu être la clef de ma survie lorsque je réalisai qu’il s’agissait de la sonnerie de mon téléphone émanant de mon sac-à-dos. De ma main libre, je sentis la lanière dudit sac mais aucun autre mouvement ne fut possible. Avec une certaine ironique climatique s’égrenèrent les notes chaleureuses et mouvementées du Concerto d’été de Joaquín Rodrigo. Aussi, je concentrai mon attention sur le violon et l’orchestre ; la pièce devait durer une vingtaine de minutes tout au plus et si la technologie n’avait pas mis en route le répondeur de cet inaccessible téléphone, le concerto m’aurait sans doute accompagné jusqu’à ma fin.

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Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
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