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Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

dimanche 15 janvier 2012

50 noms - pingasut (JPH n°126)

Jeu littéraire du forum À vos plumes : écrire un texte dans lequel un embouteillage joue un rôle important.
Contrainte supplémentaire imposée par moi seul : cette histoire fait suite aux deux précédentes. Pour lire les textes dans l'ordre chronologique, commencer par 50 noms - atausiq.

    23 – Tendre lys ! aurais-je pu me nommer, ainsi vêtue que j’étais de ma robe longue, d’une virginité faussement candide. Il faisait frais dans la voiture qui me menait à l’église, je m’étais entourée de l’étole que Luka m’avait offerte, l’étole de fourrure blanche d’un fauve quelconque prétendument chassé par ses soins au Népal, ou au Ladakh.
    Père conduisait, pestant contre le froid de décembre qui provoquait de la buée dans l’habitacle et lui interdisait d’ouvrir la fenêtre. « Et quelle idée de se marier la veille de Noël, quel curé a pu accepter de vous unir un 24 ! »
    24 – Nativité glaciale, murmurai-je, sans trop savoir pourquoi.
    À mesure que nous avancions, la circulation se faisait plus dense, une horde d’acheteurs retardataires partait à l’assaut des magasins. Père râla à nouveau, contre les ralentissements et les passants qui traversaient dangereusement, les gens sont fous !
    25 – Givrés ! ajoutai-je.
    L’embouteillage ne semblait vouloir se résorber, quelques klaxons retentirent tels des carillons célestes (et enroués par le gel) célébrant avant l’heure mon alliance. Et plus les conducteurs s’impatientaient en trompetant, plus mon hymen rejoignait les cieux.
    Puis je vis tourbillonner quelques flocons (la neige elle-même fêtait mes épousailles) qui, lorsqu’ils atteignaient la chaussée, se dissolvaient instantanément. Père maudissait les bouchons mais je me sentais calme. La neige redoubla, par réflexe je m’emmitouflai dans mon étole, m’en couvris même la tête au risque de froisser mon chignon élaboré, quelques uns des longs poils me chatouillèrent les joues. Et plutôt que de songer à Luka s’inquiétant de mon retard, je tentais d’imaginer le bruit minuscule des flocons s’écrasant à terre :
    26 – Éclat !
    27 – Bing blême !
    28 – White bang ! Celui-ci m’amusa beaucoup, je pouffai, Père leva les yeux au ciel. Ses mains étaient crispées sur le volant de la voiture immobile : « 14h30 ! C’est l’heure ! » Je consultai ma montre, il n’était que 29…
    29 – Iztac
    30 – Hvítt (presqu’onomatopéique)
    Des noms sans suite germaient dans mon esprit. Nous n’avancions plus, la neige accomplissait peu à peu son œuvre de recouvrement sous l’œil effaré de Père. Mais il fut plus sidéré encore lorsque j’ouvris la portière et, au mépris des éléments, sortis. Père m’interrogea du regard.
    31 – Mystère (glacé ?)
    Enveloppée de ma fourrure sauvage, je ne craignais pas la faible température. Je zigzaguai entre les véhicules à l’arrêt, le blanc de la neige formait un camaïeu poétique avec ma tenue du même coloris. Mon voile qui léchait le sol dessinait des arabesques et mes souliers qui dérapaient à l’envi marquaient de leur empreinte délicate la voie. Je rejoignis le trottoir et m’engageai dans une rue adjacente. Au lointain, j’entendis Père me héler :
    Alba ! Alba ! (pour 32 et 32 bis)
    Mais je ne pouvais interrompre ma course, la neige recouvrait l’étole poilue, une odeur carnassière s’en échappa. J’étais prise d’une folie hivernale qui transcendait ma volonté. Je me transmutais dans les météores hexagonaux, j’étais une étoile…
    33 - …polaire
    Et, à défaut d’épouser Luka (car, dans mon ivresse glaciaire, je n’aurais su retrouver le chemin de l’église), les flocons se mariaient merveilleusement avec l’ivoire satiné de ma robe.

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Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
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