Écritures, billets, nouvelles, contes, brachygrammes, poésies, prosoésies, ludilemmes, romans...

Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

mercredi 18 novembre 2009

Bergère, et ron et ron

Texte à consigne du forum littéraire Place des mots : raconter ce qu'a vu, vécu, perçu, un objet de votre choix.

Parce que j’ai les bras grand ouverts, chacun s’octroie des privautés à mon endroit, inconnus compris. Parce que mon giron semble accueillant, on s’y vautre sans ménagement, sans plus de considération pour ma personne qu’un chien pour un réverbère.
Imaginez une vie promise à une solitude insondable tout au long du jour et dont les soirées ne seraient que le fardeau d’une succession de fondements, de taille et de consistance aussi diverses que l’odeur qui en émane.
Pour ce qui est des journées esseulées, j’avoue exagérer quelque peu car Lüm me tient le plus souvent compagnie, compagnie qui est d’ailleurs la seule à m’agréer. Lüm saute souplement sur mon assise, forme une boule compacte de son corps et, outre la douce chaleur qu’il dégage, il fait vibrer délicieusement toute mon ossature de bois de ses ronronnements satisfaits. Lüm doit son nom à son pelage d’un blanc éclatant, autant de poils ivoirins qui contrastent après son départ sur le tissu sombre, mais élégant, dont je suis recouverte. Je lui pardonnerais volontiers ses écarts pelus si Mâle ne s’escrimait à les ôter tous les soirs à grands coups de tapes vengeresses, comme si j’y étais responsable de ces traces de pilosité. Chose faite, il se laisse choir sur moi de tout son poids – et Mâle en fait un certain – en poussant de surcroît force jurons contre la gent féline.
Le plus rude vient ensuite, Mâle se vautre tant que parfois le coussin de mon assise menace de tomber avec lui bien que je tente de le retenir en haussant l’accoudoir. Car ce coussin, outre sa fonction de confort, est ma parure, mon unique rempart contre la sueur de Mâle et ses vêtements synthétiques dont mon tissu abhorre le contact.
Qui plus est, Mâle est sujet à d’horribles et malheureusement fréquentes flatulences dont il se libère sur ma personne. Vil personnage ! Que ne suis-je une soue pour les cochons, ma vie ne serait guère différente ni plus enviable ! Pour tout dire, Mâle porte bien son nom, lui qui dégage une odeur toujours virile et le plus souvent méphitique.
Certaines soirées, Femelle prend la place de son bouc et, si le poids est ainsi moindre, le reste laisse à désirer. Côté volume, Femelle écrase uniformément mon assise et je soupçonne même quelques parties d’en déborder. Pour être honnête, Femelle n’a atteint cet encombrement que depuis la venue de Morpion. Morpion est le petit de l’espèce et je crois savoir que l’on appelle les rejetons humains du doux nom de trousse-pet, appellation qui lui sied à merveille tant la chose n’a rien à envier à son géniteur quant à ses émanations anales.
Mais tout cela ne serait rien si Morpion n’avait la détestable habitude de baver allègrement sur mon revêtement qui s’en trouve ainsi irrémédiablement taché. J’ai entendu avec horreur Femelle parler de me recouvrir d’une housse ; et ses velléités en matière de décoration sont aussi raffinées que son goût pour les hommes aromatiques. Si mon menuisier paternel me voyait ainsi attifée, j’en mourrais à coup sûr de honte, lui qui m’a dotée d’une peau grise et veloutée, du plus bel effet !
Enfin, Morpion pulvérise consciencieusement ses gâteaux secs sur moi, ce qui m’occasionne de terribles démangeaisons lorsque les miettes s’insinuent sous mon coussin. Morpion est également devenu maître ès escalade, notamment de mon dossier qu’il attaque toujours par la face arrière, sournoisement, au risque que nous tombions de concert ; ce qui d’ailleurs est déjà arrivé – détestable souvenir, puisque je me suis alors renversée avec fracas et retrouvée, à mon grand embarras, les quatre pieds en l’air, offrant à la vue de tous mes ressorts découverts de leur jupe.
Pour en finir avec ces jérémiades qui sont pourtant mon lot quotidien, je me dois néanmoins de signaler que le pire reste les fins de semaine, quand le salon est envahi de populace : Mâle Bis qui s’installe sur moi les deux jambes à cheval sur mon accoudoir gauche, Femelle Ter dont le parfum nauséabond m’imprègne pour des jours, à tel point que Lüm refuse de m’octroyer sa délicate présence pendant ce temps. Mentionnons également Vieillarde dont l’incontinence n’est pas sans désagrément ou Sénile dont les pantalons en tergal font naître entre lui et moi une électricité statique et déplaisante.
Cependant, la nuit est au plus noir, le silence règne partout et, dans la pénombre, je reconnais la silhouette chaloupée de Lüm qui s’approche. Il se frotte tendrement à moi, son poil soyeux caresse mon épiderme, son poids est celui d’une plume, ses vibrisses m’effleurent avec tendresse. Le bois de mon squelette craque doucement, je courbe mes bras dans sa direction, il se love plus profondément. Nous nous endormons ainsi, incrustés l’un dans l’autre, avec chaleur, amoureusement.

1 Comment:

Genovanna said...

Objets inanimés, vous avez donc une âme et même aussi un odorat...
et un joli coup de plume pour décrire votre pénible vie.
Le titre n'est pas la moindre de tes trouvailles Lal behi.

Seuls, vieillarde et sénile m'ont fait sursauter. Dieu sait, pourtant, que l'âge trouve grâce à tes yeux.
J'aurais utilisé vénérable et géronte, même avec le texte associé.
Car une bergère, malgré tout a de la classe !

Le printemps passe

Les oiseaux crient

Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
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