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Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

mercredi 13 novembre 2013

Le genèse de Bran Iliade

Olli avait les cheveux roux et une carnation diaphane qui ne bronzait jamais. L’été, nous partagions un grand lit de la maison familiale ; dans la pénombre de la nuit, sa peau semblait fluorescente, pareille à celle d’une chimère ou d’un spectre. C’était aussi mystérieux qu’effrayant - je me réfugiais le plus loin possible, blotti sur le bord du lit, presque à en tomber. 
Olli est mon cousin mais, moi, j’ai le poil noir. « Bran, tu es mon corbeau ! » a l’habitude de me dire ma mère en m’ébouriffant les cheveux. Il est certain qu’adulte je serai doté de sourcils broussailleux et d’une poitrine velue. Olli aura toute sa vie une peau glabre. 
Pour son anniversaire, Olli a eu un cheval, un petit cheval en bois rouge, d’un rouge si intense que ses cheveux en paraissaient ternis. Il a ouvert son cadeau et, immédiatement, je me suis mis à détester les canassons - sans trop savoir pourquoi. Les enfants agissent dans l’instant, sans se poser la question des conséquences possibles ; le présent se suffit à lui-même. J’ai volé le cheval d’Olli, puis j’ai eu peur d’être pris et, naïvement, je l’ai repeint en bleu pour le rendre méconnaissable. J’ai étalé la peinture tant bien que mal, j’ai taché mes vêtements ; je regardais, fasciné, le rouge chaud s’éteindre sous l’indifférence du bleu. Évidemment, le lendemain, ma tentative de camouflage a été découverte, la couleur n’était pas même sèche. Maudit pigment et maudite cavale ! Olli a pleuré, ses yeux aussi rougis que sa tignasse - sa peau en paraissait plus transparente encore, à un point tel que je voyais à travers elle la rancune qu’il éprouvait pour moi. Ma mère m’a puni, autant pour le larcin que pour mon pull irrémédiablement maculé du coloris accusateur. 
Aujourd’hui, je déteste toujours les bourriques hennissantes. Mais j’ai gardé une attirance, sans doute ambivalente, pour les peaux claires et la rousseur en général. On ne vieillit jamais tout à fait, ou pas suffisamment - et lorsque l’on s’en aperçoit, il est de toute façon trop tard. Je n’ai pas revu Olli depuis une bonne décennie, au moins. Quant au cheval de discorde, je ne sais même pas s’il avait pu retrouver sa teinte d’origine. Et comme prévu, j’ai une barbe dure, des cheveux rebelles et une pilosité généreuse. 
Je déjeune souvent à la brasserie Regen ; la serveuse est rouquine mais elle a trop de taches de rousseur à mon goût. Je connais Noé, le patron, depuis des années, il m’accueille systématiquement par sa boutade favorite : « Alors, Monsieur Iliade, quelle odyssée ce jeudi (ou ce vendredi, ce samedi, etc.) ? ». Et il éclate de son rire franc. Sous son hilarité, ses dents sont presque aussi blanches qu’est blanche la peau de mon souvenir d’Olli. 
J’ai mes habitudes au Regen, je commande sempiternellement le même repas, et j’y mange souvent plusieurs fois par semaine. Que voulez-vous, on est obsessionnel ou on ne l’est pas ! Et ici, hormis la chevelure de la serveuse, pas de rouge, tout est en bois clair, chaleureux et neutre. 
 Noé m’apporte un apéritif, quelques pistaches, nous discutons. Il sort inutilement son carnet pour noter ma commande. 
Et vous le voulez comment aujourd’hui votre steak de cheval ? 
Bleu.

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(Bashō Matsuo)
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