Écritures, billets, nouvelles, contes, brachygrammes, poésies, prosoésies, ludilemmes, romans...

Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

mardi 5 novembre 2013

Épouse-moi

Au début, je croyais vraiment que j'allais m'en tirer. Et pourtant, je voyais bien le piège se refermer sur moi. Mais je voulais croire aux contes de fées, à l’intervention d’une marraine bienfaisante ou même de n’importe quel deus ex machina
Mais les choses nécessaires ne sont pas forcément certaines. Ce soir, je jetterai mon intégrale de Perrault au feu. Évidemment, ici, pas question d’enfers, point de gémonies. Que dire alors du supplice que j’expérimente ? La foule s’accumule, quelques personnes s’asseyent sagement, attendant le moment fatidique, d’autres discutent avec légèreté, comme si le sort du monde ne se jouait pas en ce moment même. 
Dans le jardin de mon enfance, je courais sur l’herbe, je tachais mes vêtements de vert, il y avait Paul, Serge ou Anastase, tous, ou aucun. Ils se confondaient dans le chocolat qui fondait sur mes doigts, dans les jappements de Tanuki, notre chien, qui sautillait autour de nous. Ils étaient tous parfaits, tous éphémères, tous identiques. Et aucun d’eux n’a jamais su regarder à travers moi. De mes secrets, seul Tanuki était le détenteur ; je lui avais tout dit, sans exception. Avec lui, j’avais juré de ne jamais m’attacher, ni à Paul (qui avait pourtant de si beaux yeux), ni à Serge (qui m’offrait des bracelets d’herbe tressée), ni à Anastase. Quant aux autres… Alors je bondissais de plus belle, je les laissais loin derrière moi, là où était leur place. Pourquoi s’embarrasser ? J’avais mon propre mystère que je ne voulais partager, peu ou guère, voire jamais ; et il y avait toujours Tanuki, toujours fidèle, lui. 
J’ai entendu quelques raclements discrets, l’assistance s’est soudain immobilisée, la musique a jailli de nulle part, grandiloquente, banale. Les sourires lancés dans ma direction perçaient mon corps, flèches dardées sur l’agneau du sacrifice. La voix a commencé son monologue et, soudain, ma robe s’est alourdie, encore et encore, jusqu’à peser une tonne et demie, jusqu’à me clouer littéralement sur place. Sans doute un mauvais coup de Jason – pourquoi m’aurait-il donc regardée avec cet air bonnasse ? Les volants de mon jupon s’agrippaient au sol, maudits crampons ! moi qui ne rêvais que de détaler. Le blanc de la dentelle s’est répandu autour de moi, neige froide, neige carbonique. Et dans cette blancheur floue j’ai cru reconnaître le poil clair de feu Tanuki. J’ai voulu crier son nom mais aucun mot n’est sorti – heureusement d’ailleurs. Qu’aurait pensé Jason ? Jason, cet abruti qui conquit ma toison ; Jason, ou Paul, ou Serge, je ne sais plus. Mais certainement pas Anastase. 
Bizarrement, l’odeur fraîche de l’herbe de mon enfance a coloré la pâleur de mon vêtement, et ma peau, comme si j’avais la nausée. J’avais peur de parler, peur qu’en ouvrant la bouche tout ce qui s’y taisait soit révélé. Certaines choses réclament sans doute d’être tues. Sans doute, ou peut-être. 
 Dans les films, il y a toujours une voix pour s’élever et crier « Je m’y oppose ! » La fiction n’a pas rattrapé ma réalité, qu’aurais-je pu dire, jamais je n’aurais osé (et il le savait bien). J’ai senti deux cents paires d’yeux pilonner ma nuque et, encore une fois, j’ai murmuré oui.

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Les yeux des poissons portent des larmes
(Bashō Matsuo)
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