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Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

vendredi 7 juin 2013

L'art d'accommoder les pestes (JPH n° 160)

Jeu littéraire du forum A vos plumes (proposé par moi-même) : écrire un texte dont au minimum la scène la plus importante devra être centrée sur la préparation d'un aliment ou d'un plat. Contrainte supplémentaire : utiliser au moins trois expressions contenant des noms d’animaux comme un temps de chien, poser un lapin, avaler une couleuvre, etc. 

Nom d’un chien ! La vache pèse un âne mort, une carcasse d’au moins cent soixante livres ! Et j’ai pourtant déjà débité la tête – ne nous décourageons pas, au boulot !  J’ai d’abord émincé un oignon, évidemment j’ai eu les yeux qui pleurnichent. J’en ai réservé un peu ; quand j’entendrai Luc rentrer, je me frotterai les paupières avec, mon regard rougi me donnera sans doute un air de remord et quelques larmes de crocodile.  
Évidemment, la première fois que Luc m’a vu découper sa petite amie du moment, il a été un peu choqué. Il s’est même permis des critiques mais elles ont glissé sur moi comme l’eau sur le dos d’un canard. Tout ça, c’est pour son bien. Et ne croyez pas que je sois ce genre de mère possessive qui veut absolument garder son fils pour elle ! Vraiment pas. Mais cette fille était trop grasse. D’habitude, je donne les os aux chiens et je fais des bougies avec la graisse ; là, j’ai de quoi faire un cierge pascal grand modèle !  
J’ai mis l’oignon à dorer dans l’huile d’olive, l’odeur a recouvert celle de la viande froide. Et il y en a une telle quantité ! Assez pour le bourguignon de dimanche (et pourtant, nous serons dix-huit à table). Je vais même pouvoir en congeler. Mais avec un fils chaud lapin, il va falloir penser à investir dans un congélateur de taille industrielle.  
J’ai découpé les cuisses en premier, enlevé la peau sans difficulté, cette peau que Luc avait caressée. Une peau flasque ; cette grue avait sans doute déjà vu le loup bien des fois, et toute la meute. Après avoir consciencieusement réduit la viande en cubes réguliers, je l’ai jetée dans la cocotte où elle a émis son grésillement caractéristique. J’ai ajouté du thym frais, quelques tours de moulin à poivre, deux ou trois gousses d’ail et – secret transmis par ma mère – un trait d’armagnac qui, en plus du vin, lui donnera une saveur unique. Mais c’est un ingrédient de fabrication que je garde pour moi, ce n’est pas demain que le chat sortira du sac.  
Avec la précédente, j’avais confectionné un énorme pâté en croûte qui avait ravi tout le monde ; même Luc m’avait félicitée. Il me fait si rarement des compliments ; j’étais aussi heureuse qu’un singe avec sa queue. Il faut dire qu’en matière de cuisine, Luc s’y entend comme un coq pour pondre des œufs. Dans ce domaine, il ne tient pas de moi, c’est évident ! Heureusement que je suis toujours là pour lui procurer une alimentation équilibrée, riche en protéines. Mais je n’oublie pas les recommandations du Ministère de la santé pour autant : j’ai épluché des carottes – l’idéal avec le bourguignon.  
J’ai touillé le contenu de la cocotte, ajouté un peu de piment (la viande peut être si fade parfois), mis le couvercle et baissé le gaz ; la cuisson à feu doux est la clef de la réussite. Puis j’ai fini mon opération d’équarrissage, un travail titanesque, je soufflais comme un phoque. J’ai mis chaque morceau dans un sac congélation dûment étiqueté et daté ; pas question d’ingurgiter quelque chose de périmé ! J’ai réuni les os et les abats pour les bêtes – j’avais déjà mis le sang en bouteille, mais je n’avais pas le courage de faire du boudin dans l’immédiat. Rien ne presse de toute façon car, comme me le répétait souvent mon père, un porc acheté à crédit grogne tout l’année.

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(Bashō Matsuo)
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