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Découvrez les lalbehyrinthes, partez en exploration, perdez-vous éventuellement… Chacun d’eux possède une issue, mais chaque sortie conduit irrémédiablement vers un nouveau dédale. Les textes s’imbriquent et tissent une toile dont le motif général pourrait être le mien, ou celui de tout autre personnage, selon mon humeur. Bref, la vérité est – sans doute – ailleurs, ou ici, ou nulle part.

mercredi 12 mars 2014

Qui conquit la toison

D’abord, je t’ai menti. Mais si peu ! Effectivement, il y a eu Clotilde - de façon brève, presque anecdotique. Clotilde aimait trop les bijoux. Et mon banquier détestait les bijoutiers. Équation à multiples inconnues qui a conduit à notre rupture. Concède que si je ne t’avais pas confessé cette incartade, tu ne te serais aperçue de rien. Faute tue n’est jamais sue, dit-on ; j’aurais pu faire mien ce proverbe de bon sens… Alors que de cette erreur pourtant avouée, tu n’as jamais su me pardonner, ni à moitié, ni même au quart d’ailleurs. 
Pourtant, de tes propres péchés je t’ai absoute. Était-ce une manière de rétorsion ? Était-ce pure vengeance que ce Clovis que j’ai retrouvé dans tes bras ? Lui !? Lui, sous mon toit ! Lui dans mon propre lit ! Lui sur ta peau, ou dedans ! Je n’ai pas tant été choqué par la position dans laquelle je vous ai découverts, que par sa moustache, une moustache rousse et démesurée. Toi qui me voulais toujours glabre, arguant le soi-disant inconfort que provoquait ma barbe. Et cette couleur rousse, presque identique à celle du chat ! Aussi, chaque fois que je vois Clotaire traverser l’appartement, chaque fois que je le nourris de croquettes, son pelage, qui autrefois me charmait, m’horripile. 
Mais j’ai passé l’éponge. Sans doute est-ce cela l’amour, cet amour aussi ridicule que stupide qui me ravale au rang d’un abruti harlequinesque. 
Mais j’ai passé l’éponge et elle est devenue rouge. Pourtant, je n’avais pas frappé fort ; Ou si peu, comme le mensonge. Ton corps adoré ne bougeait plus guère, mais ta poitrine se soulevait encore, régulièrement. Ta poitrine délicieuse que les poils roux de Clovis avaient souillée. L’amour n’est que le pépin d’une figue… Ne serait-il également qu’un téton de ton sein ? Ton sein taché d’un amant rousseau et de quelques traces de sang. Ton téton déplacé par ta respiration, en haut, en bas, haut, bas, hypnotique. Malgré la position étrange de tes membres, tu vivras. Tu vivras pour d’autres Clovis, d’autres roux avec ou sans moustache, d’autres roux peut-être bruns qui sait. Ou blonds. Tu vivras, transportant ta trahison et mon incommensurable amour qui n’a fait qu’ébaucher ta fin. 
Clotilde, Clovis, Clotaire, tous se mélangent. Ils se mêlent l’un à l’autre, femme, homme, animal, chacun empruntant à l’autre quelques particularités, quelques attributs. Deux d’entre eux ne partagent-ils pas la même couleur ? Pourtant, Clotilde n’était pas rousse ni n’avait de moustache… Tout bien considéré, le rouge du sang, même en partie absorbé, est d’un coloris trop cru, trop franc - et entre nous, plus de franchise, sauf celle de l’amour peut-être, et des coups. 
Clotilde ! Clovis ! Clotaire ! Comme je vous hais ! Vous, et vos séides cupidons ! J’ai déjà jeté le chat par la fenêtre, il retombera sur ses pattes, éventuellement. Quant au cadavre de Clovis, il continuera de dégoutter, car pour lui je n’aurais jamais eu assez d’une éponge. J’ai jeté le chat par la fenêtre et je vais bientôt suivre son exemple. Je retomberai moi aussi peut-être sur mes pieds, je l’ai toujours fait. Il faut dire que je n’ai jamais été encombré de poils roux. Ni de moustache.

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(Bashō Matsuo)
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